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Les inégalités sociales de santé, une question épineuse ?


avril 2007, Dr Pierre Drielsma

médecin généraliste au centre de santé de Bautista van Schowen et membre du bureau stratégique de la Fédération des maisons médicales.

De la préhistoire jusqu’aux observations les plus récentes, Pierre Drielsma propose un voyage “secouant” dans un monde où les inégalités ont certainement du sens, mais peut-être pas de légitimité...

Introduction

C’est dans un article d’Aiache que j’ai lu pour la première fois la formulation : inégalités sociales de santé, auparavant je parlais sans m’inquiéter des inégalités de santé. Mais les inégalités de santé ne peuvent complètement disparaître, car dans la meilleure société du monde, le hasard distribuera toujours les misères de façons strictement aléatoire : que ce soit d’un point de vue génétique ou accidentel. Certes un jour, plus très lointain, nous irons curer les mauvais gènes avec un bistouri moléculaire, et nous aurons des moyens de transport fiables, sécurisés et non polluants, etc... Nous allons ainsi restreindre la part de la chance à maigre portion, mais portion il restera.
Les inégalités sociales de santé, c’est autre chose, ce sont des inégalités de santé fabriquées par l’organisation sociale ; c’est-à-dire qu’en théorie du moins, elles sont vulnérables à l’action collective, l’action politique. C’est la raison pour laquelle, un humble membre de la cellule du même nom a pris le clavier d’assaut.

Les inégalités sociales : où prennent-elles leur source ? Sont-elles légitimes ?

Une thèse classique voudrait attribuer une origine animale aux inégalités. Pour Darwin, l’évolution biologique est générée par la compétition entre les êtres vivants pour des parts du gâteau Terre.

Dawkins, sur une base génétique que Darwin ne pouvait connaître, va préciser le mécanisme fin de la machine bio-évolutive. Ce sont les gènes qui sont en compétitions : nous (les vivants, donc les hommes) sommes programmés pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gènes. Chaque ADN entrerait en compétition avec les autres au travers des protéines dont il programme la forme et la fonction. C’est pour cela que les sociobiologistes ont parlé de gène égoïste. En effet, si l’on admet la loi de sélection naturelle de Charles Darwin (la lutte pour la vie), les gènes sont les réels compétiteurs de la lutte pour la vie et pas les individus.

Cette thèse est éminemment critiquable, mais elle présente certainement un bout de vérité. Dans une ruche, les ouvrières ne peuvent se reproduire, leur vie est courte, l’explication actuelle des mécanismes qui la font se sacrifier pour la ruche est qu’elle partage 50% de gènes avec la reine et donc que les enfants de la reine sont un peu ses enfants.

La lutte pour la vie c’est la lutte pour l’immortalité ; ceux qui ont lu Platon, savent que pour Socrate, l’amour a pour fonction la reproduction et donc l’immortalité. (Agréable cohérence d’analyse). Nous voyons donc que pour les sociobiologistes, nos gènes se servent de nous pour se perpétuer et se multiplier.

Quels mécanismes les gènes ont-ils mis en place pour arriver à cette fin ? Ils ont mis en place des mécanismes de survie en cas de crise, et des mécanismes de multiplication en dehors des crises. Nous noterons avec intérêt que la sociobiologie comme la psychanalyse insistera sur l’inconscient, elle dira que nous n’agissons pas, mais que nous sommes agis.
Dès qu’il y a danger ou pénurie, c’est le stress qui travaille. Prenons un groupe de chimpanzés qui doit se partager un nombre trop petit de bananes, ils vont entrer en compétition. Après bagarre, une hiérarchie va s’établir pour le partage du gâteau, ça s’appelle la dominance. La dominance, permet ensuite de se partager, inégalitairement, le gâteau sans désordre et sans énergie gaspillée. La dominance permet de régler les problèmes de pénurie alimentaire dans le groupe (tant pis pour le plus faible).
La territorialité permet aussi de régler l’occupation d’un espace étroit par un nombre considérable de familles, chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. C’est l’agression qui est le mécanisme de régulation de la dominance et du territoire.

Il faut bien comprendre que sans dominance et territorialité, l’agression serait quasi permanente pour l’acquisition des ressources rares. Sur le plan social c’est l’usage de la dominance et de la territorialité qui permet d’économiser l’énergie et les vies : l’agression tue. La dominance permet aussi d’éviter de voir le groupe entier disparaître par manque de ressource, la concentration de celle-ci sur le dominant lui permettra de survivre.

Ces mécanismes se sont perpétués jusqu’à nous, mais il ne faut pas oublier deux choses : il n’y a pas toujours pénurie, l’animal peut fabriquer des mécanismes d’abondance. Par ailleurs, l’animal peut utiliser des mécanismes pour diminuer sa tension d’agression. L’abondance, la tiédeur, la douceur c’est le paradis. Frans Dewaal observe que plus la vie des singes est précaire, plus leur vie est agressive, les mécanismes de dominance et de territorialité jouent à plein, la rareté tue. De tous les grands singes, les bonobos (chimpanzés pygmées) sont les plus pacifiques, pourquoi ? Ils vivent dans l’abondance en plein cœur de la forêt congolaise sur la rive gauche du fleuve Congo, peu de concurrence aussi. La preuve de l’abondance environnementale est donnée par un chercheur japonais qui a étudié les bonobos en liberté, il explique que ceux-ci n’ont pas inventé d’outil pour capturer les insectes, car ils n’en ont pas besoin….. De plus ils contrôlent les mécanismes d’agression par l’utilisation de la sexualité : quand ils se trouvent dans une situation de concurrence ou d’agression (par exemple un croisement sur une branche étroite), un petit câlin et le tour est joué.

Et l’homme dans tout ça ?


L’homme est aussi agi par tous ces mécanismes, mais en plus c’est un animal culturel (la culture existe aussi chez les singes mais à l’état rudimentaire). Il a donc construit un monde particulier, le monde des idées dans lequel il navigue seul.

Essayons de comprendre les grandes crises de l’homme. Supposons l’homme comme une sorte de bonobo tranquille, fornicateur et jouisseur. Soudain une catastrophe géologique l’expulse du paradis terrestre, il doit quitter la forêt tropicale pour rejoindre la savane (l’East-side story de Coppens). Il garde dans ses images (?) le souvenir nostalgique de l’abondance et de la paix.
Mais la savane c’est dur, il y a pénurie, c’est bourré de grands prédateurs, guère d’arbres pour se réfugier. L’homme comme le babouin confie la direction du clan à un mâle agressif, celui-ci est prêt à mourir pour le groupe (les femmes et les enfants d’abord). Ce mâle cumule probablement les deux fonctions de dominance et de leadership (le leadership c’est juste de confier au plus expérimenté la tâche de mener le groupe vers le lieu le plus clément).

Mais l’homme devient de plus en plus intelligent (quadruplement du volume du cerveau, apparition du langage (probablement tardive). Progressivement, il transforme la nouvelle pénurie en abondance rien qu’avec son cerveau. Un bushmen ou un aborigène ne meurt jamais de faim, travaille peu (maximum quatre heures) passe bien plus de temps à s’amuser que nous. (Marshall Sahlin). Nous avons maintenant un homme qui vit en société très petite et égalitaire il a reconstitué (d’instinct ?) le monde des bonobos. En plus, il chasse, d’abord des petites bêtes puis de plus en plus grosse jusqu’à les exterminer (mammouth, rhinocéros laineux, cerf géant, aepyornis, Moa, mégathérium et autres). L’homme si doué a créé du paradis avec sa tête, envahi la planète entière. Il y a des guerres hélas, mais elles obligent la société à rester petite (small is beautiful).

La crise néolithique


En 8000 avant Jésus-Christ, l’homme a eu la bonne (?) idée de cultiver la terre. Cette idée a coûté très cher, la démographie s’est emballée, la nature a reculé, l’agriculture permet de nourrir des foules nombreuses, par contre la santé moyenne s’est dégradée, la paléo-pathologie nous montre l’apparition de nombreuses maladies inconnues jusqu’alors ; en gros on peut dire que l’homme est passé d’une vie de qualité à une vie de quantité. Ce n’est pas le capitalisme qui nous a mis dans le trou, mais la révolution néolithique, et d’ailleurs cette révolution technique a un lien très fort avec le pouvoir politique centralisé. Ce qui n’est pas très clair c’est de savoir si l’agriculture a précédé le despotisme ou le contraire. Nous pouvons citer DIAMOND : en même temps qu’elle a suscité pour la première fois la division de la société en classes, l’agriculture a peut être également exacerbé les inégalités entre les sexes qui existaient déjà. Les femmes se sont vu bien souvent octroyer une part de labeur plus grande, elles ont été épuisées par des grossesses plus fréquentes et elles ont donc souffert d’une santé plus médiocre.

Pour Pierre CLASTRES, comme pour des auteurs français qui ont étudié le pouvoir dans l’antiquité scandinave, le despotisme est apparu même dans des sociétés de chasse-cueillette. C’est peut être la caste dominante qui a inventé l’agriculture. Dans ce cas, la série serait chasse-cueillette -> an-archisme -> despotisme -> agriculture -> renforcement du despotisme. Quoiqu’il en soit, avec la révolution néolithique nous voyons apparaître tout ce que nous haïssons : la surpopulation, la dictature d’une minorité (la classe des accapareurs), la maladie, une intense souffrance morale des classes dominées. Ce n’est peut être pas un hasard si nous voyons apparaître concomitamment une religion constituée. Clastres regarde la crise du néolithique avec amertume, mais sa mort prématurée ne lui permettra pas de répondre à la question cruciale : comment est-on passé de la bande égalitaire à l’Etat despote ?

Benoît Dubreuil dans sa récente thèse de philosophie (ULB) cherche à poursuivre l’œuvre interrompue de Pierre Clastres, sa conclusion sur l’origine de l’Etat peut se lire dans le résumé ci-dessous :

La taille des sociétés humaines est sensible à un effet de plafonnement . Ceci s’explique par le caractère conditionnel de la coopération humaine et par la mémoire limitée des humains en contexte social. Ce plafonnement de la taille des groupes ne peut être surmonté que si les humains créent des institutions qui permettent une division sociale du travail de sanction, ce qui à son tour dépend de l’émergence chez l’homme d’un langage et d’une théorie de l’esprit complexes. L’argument proposé est de type fonctionnaliste et vise à appuyer les théories en sciences sociales qui s’intéressent à l’évolution de la culture et des formes politiques.

Qu’il faille un Etat pour gérer les grands groupes on s’en doutait un peu, mais pourquoi l’homme qui résistait vaillamment aux grands groupes y a-t-il succombé. Là encore, on reparle d’une crise climatique qui aurait favorisé le nouveau mode de vie.

Bien, nos sociétés sont inégalitaires mais il y a du champ entre les sociétés scandinaves et les Etats-Unis.

Pourquoi donc maintenir ses inégalités ?

Pour les économistes classiques l’inégalité est un moteur de la croissance et la croissance génère de la santé. (cf. le site de l’OMS cité ci-dessous.) Mais est ce bien exact ? En la matière, la Banque Mondiale parle d’or (forcément) :
Une répartition non optimale des revenus a-t-elle un effet bénéfique ou préjudiciable sur le développement d’un pays ? Les opinions divergent à ce sujet et, par exemple, sur la question de savoir s’il vaut mieux que le coefficient de Gini soit plus près de 25% (comme en Suède) ou de 40% (comme aux États-Unis). Il faut considérer les arguments suivants.
Une répartition des revenus parfaitement égale peut être préjudiciable à l’efficacité de l’économie. Prenez, par exemple, le cas des pays socialistes, où le maintien d’un niveau d’inégalité délibérément réduit (en l’absence de bénéfices privés et avec des écarts minimes entre les traitements et salaires) a privé les individus des incitations propres à leur faire prendre une part active à la vie économique — de quoi stimuler l’assiduité au travail et un fort esprit d’entreprise. L’égalisation des revenus instituée par le système socialiste a eu diverses conséquences : manque de discipline et d’initiative parmi la main-d’œuvre, choix limité et faible qualité des biens et services, lenteur des progrès techniques et, en fin de compte, surcroît de pauvreté du fait d’une croissance économique moins soutenue.
En revanche, des inégalités excessives ont un effet négatif sur la qualité de la vie des individus. L’incidence de la pauvreté s’en trouve accrue, ce qui entrave les progrès en matière de santé et d’éducation et contribue à la criminalité
.

Nos brillants économistes sont donc incapables de trancher entre une société fortement égalitariste (la Suède) et une autre très inégalitariste (les Etats-Unis). On croit rêver….
Au surplus, sur les considérations partiellement exactes à propos des économies planifiées, ils ne se posent pas la question de savoir si d’autres facteurs n’ont pas déterminés la stagnation économique, par exemple la course aux armements. On se souviendra que, durant les 30 glorieuses, les pays désarmés (Allemagne et Japon) ont eu la croissance la plus spectaculaire.
La banque mondiale pense que l’égalité de revenus est néfaste à l’initiative, mais un des pays les plus dynamiques, la Finlande est fortement égalitariste. Le lien entre inégalité et croissance est tout sauf évident.

Les inégalités sociales ont-elles un impact sur la santé et si oui lequel et comment ?

Les inégalités sociales ont un impact évident sur la santé puisque les pauvres sont plus malades (qu’on le mesure objectivement ou subjectivement) et meurent plus tôt que les riches. Ce constat est connu depuis des siècles, mais il est souvent occulté, même sur le TITANIC, les pauvres ont payé un tribut proportionnellement supérieur à celui des riches, ce qui reste proprement fascinant. Ce phénomène est observable aussi chez les animaux sociaux.

L’IRDES vient de remettre la question sur le métier la question des inégalités sociales de santé dans une publication toute récente.

Cette étude (Share) démontre les impacts conjugués des héritages, surtout paternel (donc le Nom du père n’est pas complément disparu, certes il ne forme plus la norme, mais la réussite sociale !). Il s’agit d’une étude multivariée, ce qui permet d’étudier les facteurs individuellement puis groupés. La profession des parents à un impact, celle de la mère est directe mais se dilue dans la multivariée. Celle du père se maintient mais via la profession de l’enfant (effet indirect). La santé des parents semble avoir un impact, mais est-il génétique ou culturel, l’étude ne peut le dire. Le niveau d’étude du descendant peut contrecarrer l’impact parental (social). Le niveau d’étude obtenu quelques soit l’origine sociale est aussi un facteur positif (probablement en agissant sur le sentiment de maîtrise, objectif et subjectif….).
Le plus étrange c’est que les auteurs concluent que ces inégalités de santé sont injustes (puisqu’héritées), et qu’il faudrait en conséquence donner des cours de prévention dans les écoles… comprenne qui pourra ?

Donc premier constat, que ce soit au niveau des populations ou au niveau des individus la santé dépend de la position sociale, classiquement on utilise deux indicateurs : le revenu et le niveau d’étude. Ces deux variables ont évidemment une forte corrélation.

Un premier débat a porté sur la cause et l’effet, est-ce la pauvreté qui induit la maladie ou la maladie qui induit la pauvreté. La plupart des études fixent clairement le sens pauvreté -> maladie plutôt que l’inverse. Mais cela ne nous dit pas encore comment la pauvreté induit la maladie. Un premier bouquet d’hypothèses porte sur les facteurs biologiques : malnutrition, mauvais environnement, faible accès aux soins de santé, … Un autre ensemble sur des facteurs psychosociaux malencontreusement appelés style de vie : tabagisme, alcoolisme, toxicomanies, comportements à risque…ces deux facteurs sont évidemment pertinents. L’amélioration de ces facteurs produirait un gain de santé. Enfin, certains insistent sur l’effet « pur » de position sociale, l’explication serait psycho-neuro-hormonale. La position inférieure engendre un stress du dominé qui génère une cascade d’effets toxiques sur l’organisme. Ce processus a été mis en évidence chez les singes, mais aussi dans l’étude de Whitehall.

Il en a résulté un grand débat qui n’est pas encore terminé et que je vais proposer à votre sagacité. Preston en 1975, Rodgers en 1979 et enfin Wilkinson en 1986 défendront l’hypothèse du lien entre la distribution des revenus et la mortalité. Les études écologiques (qui travaillent sur des données agrégées) montraient que les pays les plus inégalitaires avaient de moins bonnes espérances de vie que les pays les plus inégalitaires.

Rodgers dans son article princeps avait d’ailleurs expliqué la logique de cette différence en montrant la courbe exponentielle négative inverse. Cette courbe qui plafonne aux limites de la longévité humaine, génère des gains de survie de plus en plus petits au fur et à mesure où l’on injecte des facteurs favorables : argent, soins de santé, c’est la courbe des rendements décroissants bien connue des économistes et de Malthus en particulier qui y voyait une raison de limiter les naissances. Donc dans une distribution inégalitaire, le pauvre est loin du maximum et un petit gain en argent (moyen) aura un grand impact santé tandis que la petite perte du riche n’occasionnera pas de diminution de sa santé.
L’impact de l’article de Rodgers fut très important, celui de Wilkinson encore plus, au point que j’avais espéré l’inviter à un congrès de notre belle fédération. Sa méconnaissance du français l’avait malheureusement tenu éloigné de notre merveilleux petit Royaume. Comme bien on se doute, cette thèse fut combattue car elle devait en gêner d’aucun. On a par exemple pu lire que la fameuse exponentielle négative inverse de Rodgers constituait un artefact. Il est vrai que la courbe de Rodgers n’implique pas le 3e facteur social mais un simple effet de saturation de l’ensemble des facteurs de santé. Cela étant, elle justifie pleinement le choix d’une politique égalitariste pour obtenir la meilleure santé. Et cela suffit amplement. Le débat donc porte sur la réalité de cette courbe c’est-à-dire est-ce vraiment comme cela que ça se passe. Les études les plus récentes ne le mettent pas en évidence, ce qui ne veut pas dire que cela n’est pas. Comme le disent les plus prudents des contradicteurs, la santé a forcément des déterminants variés, dont certains sont colinéaires (ont parle de multi-colinéarités). Les calculs statistiques résistent mal à cela.
Ainsi dans les études, l’effet de position est mélangé au style de vie et à l’environnement et ces 3 varient globalement de concert. Pour faire des études multivariées, il faut des données au niveau des individus. Or l’inégalité d’une société est une valeur groupale, l’intégrer dans les valeurs individuelles n’est pas simple on ne peut l’utiliser comme le revenu ou le niveau d’étude. Il faudrait théoriquement mesurer la perception d’être dominé de chaque individu ce qui est une variable d’enquête donc peu connue dans les études de populations, enfin étudier le lien entre ces variables subjectives et la structure macro-sociale…

Il faut souligner que l’impact de la distribution de revenu sur la santé infantile se maintient dans les nouvelles études ce qui donne plutôt à penser que la distribution de revenu peut se voir à son émergence la naissance, mais qu’après les chemins de vie (une autre variable de plus en plus étudiée) se diversifient et estompent l’effet inégalitaire « pur ».

Pour conclure, la Big Idea de Preston, Rodgers & Wilkinson est très probablement exacte, mais la structure de la variable inégalité de revenus est problématique. Le 3e facteur social existe et mérite l’attention. Il est utile d’étudier ce facteur pour lui-même (par exemple dans les maisons médicales et leur sacré tableau de bord). Par contre il n’est pas nécessaire de prouver l’existence du 3e facteur ni de la Big Idea pour que les acteurs de santé publique combattent les inégalités dès aujourd’hui car il y a déjà les deux autres….et comme c’est précisément le 3e facteur qui engendre le 2e.

L’égalité est donc une stratégie de santé publique.

A ce sujet il n’est pas mauvais de se pencher sur l’utilitarisme ou plutôt les utilitarismes.

Reprenons la phrase de Bricmont citée par notre camarade Hoffman dans la livraison précédente de Santé Conjuguée : On entend souvent dire - et on cite Hume à ce sujet - qu’on ne peut pas déduire logiquement des jugements de valeur à partir de jugements de fait. C’est certainement vrai, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas une façon scientifique de raisonner en matière éthique qui, à nouveau, s’oppose à l’attitude religieuse. Cette approche est l’utilitarisme qui repose sur un seul principe éthique non factuel, à savoir qu’il faut globalement maximiser le bonheur . Ce principe ne peut évidemment pas être justifié scientifiquement. Mais, une fois qu’il est admis, à cause de son caractère intuitivement évident…..
Ces 2 évidences donnent bien évidemment à penser…

Le principe d’équité et l’utilitarisme

L’utilitarisme est une piètre boussole pour s’orienter, je cite : On doit aussi à Mill la reconnaissance de la dimension qualitative des plaisirs. Contrairement à Bentham, qui ne hiérarchise pas les plaisirs et s’intéresse uniquement à la quantité de ceux ci, John Stuart Mill défend une différence de qualité entre les plaisirs. On peut ainsi préférer une quantité moindre d’un plaisir de plus grande qualité à une quantité supérieure d’un plaisir de qualité plus médiocre.
On voit d’emblée de grandes difficultés, la hiérarchie des plaisirs sera-t-elle universelle (même négociée), ou bien le libre choix déterminera-t-il chaque maximum subjectif ? Nous allons essayer de relever brièvement ce qui peut nous être utile dans l’immense littérature touchant l’utilitarisme, pour ceux qui veulent creuser la question de nombreux sites (dont ceux cités ci-dessous) constituent une mine de renseignements inépuisables.
Il n’empêche l’utilitarisme est pratique car dans les meilleurs cas il permet de faire des choix sur base d’un calcul de préférences « communes ». Par exemple les calculs de Qaly (années de vie ajustées pour la qualité de la vie).

L’utilitarisme est un égalitarisme comptable (un compte pour un). L’utilitarisme est conséquentialiste (la valeur d’un acte, ou d’une règle, est mesurée à ces conséquences, toutes ces conséquences. Par exemple, si je sauve le petit Adolphe Hitler de la noyade, mon acte, quoique généreux, est néfaste.) L’utilitarisme est un naturalisme (le bien est la rencontre avec notre nature ; mais l’homme a-t-il vraiment une nature ?) L’utilitarisme est un maximalisme (il veut produire le maximum de bien global). L’utilitarisme peut conduire à de fortes inégalités de résultats, car la distribution du bonheur lui est indifférente (seule compte la moyenne, pas l’écart type).

Par opposition, un « vrai » égalitariste s’intéresse aussi à l’écart type, nous avons déjà analysé ce point plus haut. L’utilitarisme peut donc sacrifier les plus pauvres à la maximisation du bien-être global, Denis Collin montre bien que ce sacrifice social est différent du sacrifice généré par la quarantaine ou le cordon sanitaire en santé publique. Comme le dit très bien Collin, il est possible que des gens préfèrent une société globalement moins prospère mais plus égalitaire ; encore faut il leur poser la question pour le savoir !

Quand on sacrifie quelqu’un, qui est-ce et sur quel autel ?
Pour la gauche il faut sacrifier le riche. Mais le risque actuel c’est qu’il s’en aille ; cependant le jour ou la terre sera un seul peuple, une seule loi, où le riche ira-t-il cacher son pognon ? A quand la mondialisation fiscale ? (C’est-à-dire la disparition de la concurrence fiscale)
Pour Rawls, on peut sacrifier n’importe qui pourvu que ce soit au bénéfice du plus pauvre.
Pour Pareto, il n’y a qu’un optimum global mais dans cet optimum global, toute modification conduit à une détérioration de l’état d’au moins une personne sans amélioration des autres. Il s’agit donc ici d’un optimum économique. Il peut y avoir plusieurs optimums de Pareto dans une société donnée. Comme chez les utilitaristes, la moyenne est prépondérante, mais on se préoccupe de maximiser aussi chaque individu. Mais comme cela se passe dans le cadre d’une économie libérale, les inégalités peuvent être fortes. De plus il faut distinguer le bien-être (Pareto) du bonheur (Stuart-Mill).

Au total nous voyons que, à supposer acquis qu’un Gini à 20% (Suède) n’est pas moins performant qu’un de 40% (USA), le choix utilitariste doit aussi nous conduire à une société plus égalitaire (20%). La surmortalité massive assumée par le système américain ne peut elle s’assimiler à un crime contre l’humanité passible de la cour de Justice internationale ?

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Cet article est paru dans la revue:

n° 40 - avril 2007

Les inégalités sociales de santé

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...