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POLITIQUE

Les maisons médicales disent non au TTIP


1er septembre 2015, Hilda Philippart et Jacqueline Rossi

pour les maisons médicales Alpha Santé et le Noyer

Le collectif de soignants et patients de deux maisons médicales a récemment pris une position très nette contre le TTIP [1]. Nous reprenons ici la carte blanche publiée dans La Libre du 5 juin 2015.

Une médecine a deux vitesses accentuée par la marchandisation des soins compromettra l’accessibilité aux soins pour tous. Et le mode de négociation de ce traité est en totale opposition avec nos valeurs de gestion participative et transparente. A toutes celles et ceux qui ne savent pas encore ce que c’est, et qui détestent les sigles, nous répondons que cette ignorance est normale puisque tout a été fait jusqu’ici pour nous y maintenir. Nous sommes qui  ? Des professionnels travaillant dans des maisons médicales, des patients utilisant les services des maisons médicales. Travailleurs et patients, unis dans une même inquiétude citoyenne, nous observons avec effroi des projets de traités qui pourraient menacer la santé publique.

Le TTIP est un traité de libre-échange commercial entre les États-Unis et l’Union européenne. Ce libre-échange doit concerner les biens et les services. Les négociations, menées par la Commission européenne pour l’Union européenne, ont démarré en 2013, dans le plus grand secret, et n’ont pas encore abouti.

Heureusement  !

Car ces accords, s’ils aboutissent, nous concernent tous, Européens et Américains, ce qui fait un paquet de monde, et ils auront un impact majeur sur nos modes de vie, ce qui rend le secret légèrement indécent, sur le plan démocratique.

Ce joli mot d’harmonisation cache ici une réalité inquiétante

Ces traités de libre-échange ne portent pas uniquement sur les barrières douanières à faire tomber mais, bien plus grave, ils portent sur toutes les barrières non-tarifaires et concernent les règles administratives, environnementales, sanitaires,… à harmoniser, de manière à permettre l’ouverture totale des marchés et à protéger de manière tout aussi totale les investissements.

En Europe, on applique le principe de précaution  : on ne peut commercialiser un produit que s’il est prouvé sans danger.

Aux États-Unis, on applique le principe inverse  : un produit n’est interdit à la commercialisation que s’il est prouvé toxique (et même là, ce principe n’est pas toujours respecté puisque l’amiante dont la toxicité est prouvée, n’est pas interdite).

Dès lors, dans quel sens penchera l’harmonisation  ? Peut-on vraiment croire que les intérêts économiques à la manœuvre vont s’aligner sur le principe de précaution européen  ? Du peu qui filtre des négociations, nous savons que les Américains sont intraitables sur le bœuf aux hormones et les organismes génétiquement modifiés  ; quant au laxisme face aux pesticides, n’en parlons pas  ! Mais ce traité comporte un autre danger.

Depuis 1965, des clauses de protection des investissements qui seraient menacés par des politiques nationales existent déjà et ont fait pas mal de dégâts.

Là où ça devient vraiment très grave, c’est que les traités en chantier prévoient des tribunaux arbitraux, primant sur les tribunaux nationaux.

Ces tribunaux seront habilités à traiter les plaintes contre les mesures légales de protection de l’environnement ou de santé publique, émises par les Etats et que des investisseurs trouveraient menaçantes pour leurs intérêts. On croit rêver  ! L’Etat de droit, légiférant démocratiquement pour le bien de ses citoyens, perd sa souveraineté et plie le genou devant des intérêts privés  ! La liberté tant prônée est donc à deux vitesses  : on peut commercer et investir sans entraves pour un profit privé maximum  ; on ne peut pas légiférer dans un souci de bien public ou environnemental.

Et les services publics dans tout cela  ?

Ils sont menacés par ces traités commerciaux multinationaux, tous négociés dans l’opacité la plus épaisse  :

  • par le TTIP, qui vise à créer un vaste marché transatlantique Etats-Unis–Union européenne, avec d’une part la libéralisation des échanges commerciaux et de la circulation des capitaux et d’autre part la protection des investisseurs. Il vise à supprimer un maximum d’obstacles au commerce pour faciliter l’achat et la vente de biens et de services entre l’Union européenne et les Etats-Unis, au risque de faire converger vers le bas tous les acquis sociaux ainsi que les normes sanitaires, environnementales, culturelles et de protection des consommateurs et des travailleurs. Tout cela à la demande des multinationales. Nos producteurs seraient alors mis face à une concurrence des exploitations américaines beaucoup plus industrielles et produisant donc à bas coûts et à moindre qualité, tandis que nos services publics seraient ouverts à la concurrence américaine (écoles, logement sociaux, hôpitaux, traitement des déchets…) vu que de très nombreux biens et services seront privatisables. De ce fait, les mesures de discrimination positive, prises par les pouvoirs publics en faveur de l’emploi, de l’économie locale, du développement durable, ou dans l’intérêt de la santé publique seraient visées. Ces mesures en effet ne favorisent pas les multinationales et pourraient être rendues inapplicables au nom de la libre concurrence.
  • par le TISA [2], grand frère du TTIP, basé sur les mêmes principes de la marchandisation et de la concurrence. L’ensemble des domaines concernés par les négociations du TISA ne sont pas encore connus à ce stade, mais on sait déjà que certains secteurs sont particulièrement visés par lui  : le transport maritime, les technologies de l’information et de la communication, l’e-commerce, les services informatiques, les services postaux, les services financiers, les marchés publics de services, etc. Devant de telles menaces bien concrètes, peut-on accepter les assurances lénifiantes des responsables politiques qui déclinent sur tous les tons l’antienne «  Ne vous en faites pas, ces traités nous promettent un avenir radieux  »  ?

Pour nous, méfiance et vigilance active doivent rester les maîtres mots, le but étant que ces traités, privés de signature, restent lettre morte  !

Parce que les maisons médicales défendent des valeurs d’équité, de justice sociale, qu’elles s’inscrivent dans un projet de société solidaire.

Parce qu’elles veillent à placer le sujet au centre du processus de soins.

Parce qu’une médecine à deux vitesses accentuée par la marchandisation des soins compromet l’accessibilité aux soins pour tous.

Parce que le mode de négociation du traité est en totale opposition avec les valeurs de gestion participative et transparente défendues par les maisons médicales.

Parce que ces traités ne prévoient ni amendement, ni adaptation ni phase d’évaluation permettant de le remettre en question. Il ne prévoit pas de lieu de dialogue avec les citoyens qui en assumeront les conséquences.

Parce qu’une valeur historique des maisons médicales est la mobilisation et la proposition d’alternatives à ce qui semble établi et sans appel possible.

Elles lancent un signal d’alarme aux citoyens, à nos représentants politiques belges et européens. 

[1Transatlantic Trade & Investment Partnership ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.

[2Trade in Services Agreement ou Accord sur le commerce des services (traité initié par les Etats-Unis et l’Australie, en cours de négociation entre l’Union Européenne au nom de ses 28 pays membres, plus 24 autres pays membres de l’Organisation mondiale du commerce).

Cet article est paru dans la revue:

n° 72 - septembre 2015

Devenir... Regards sur les vieillissements

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...