Contexte : un nouveau décret en gestation.
L’évaluation récemment faite sur le secteur de la Promotion Santé à la demande de la Ministre, réaffirme : d’une part l’adhésion à la définition large de la promotion de la santé telle qu’établie dans la Charte d’Ottawa ; d’autre part, que beaucoup d’axes de cette stratégie dépassent les seules compétences du ministère de la santé.
Malgré ces principes, la crainte des acteurs exprimée dans le plaidoyer est que le nouveau décret mette en place des dispositifs renforçant des stratégies médico-centrées au détriment de celles qui visent les déterminants de la santé : notamment l’action communautaire qui exige du temps et des moyens tant humains que financiers.
Une telle vision médico-centrée prédominait avant le décret actuellement en vigueur, qui a fait évoluer beaucoup de pratiques. Perdre les acquis du chemin parcouru serait extrêmement dommageable en termes de santé et d’équité. C’est en tant qu’acteurs de santé travaillant dans une optique globale, que nous souhaitons ici rappeler l’importance fondamentale des stratégies axées sur les déterminants non médicaux de la santé.
Les maisons médicales sont des équipes de soins de première ligne, pluridisciplinaires et proches de la population. C’est à partir de cette place que nous voulons souligner l’importance des stratégies, des activités, qui améliorent la santé sans être de l’ordre du soin curatif ou préventif. Certaines de ces stratégies et activités sont d’ailleurs depuis toujours menées par nos équipes, parce que notre mouvement est basé sur une juste perception des limites des services de santé traditionnels.
Ces services sont évidemment nécessaires pour soigner les malades et prévenir certaines pathologies ; leur accessibilité et leur qualité peuvent, et doivent, être améliorées en Belgique. Mais ils sont loin de pouvoir améliorer de manière significative le niveau de santé de la population. En effet, il est aujourd’hui parfaitement démontré que la plupart des problèmes de santé sont inextricablement liés aux conditions de vie : càd à des facteurs socio-économiques, culturels, environnementaux, qui se renforcent mutuellement et sur lesquels les soignants ont peu de prise. Certaines études internationales montrent d’ailleurs qu’à accessibilité égale des services de santé, les inégalités sociales en matière de santé persistent.
Ce n’est pas nouveau : si la mortalité par maladies infectieuses a fortement diminué au cours du 19è siècle en Europe, les services de santé n’ont eu qu’un rôle marginal dans cette évolution [1]. C’est avant tout l’amélioration des conditions de vie qui a eu un impact déterminant.
C’est pourquoi, dès le début de leur création, les maisons médicales ont inscrit leurs activités de soins dans la perspective plus large de la promotion de la santé.
Nous tenons à rappeler que ces deux stratégies se différencient et n’appartiennent pas au même niveau. La prévention est un des axes de la promotion de la santé : elle intervient en synergie avec les autres axes de la Charte d’Ottawa pour améliorer le niveau de santé des populations.
La prévention vise à empêcher l’apparition d’une maladie (prévention primaire : vaccination par exemple), à en freiner le développement (prévention secondaire : dépistage par exemple) ou à en limiter les complications (prévention tertiaire, intriquée au curatif : suivi des patients diabétiques par exemple).
La prévention primaire et secondaire intervient avant que la maladie apparaisse ou soit perçue : Il s’agit de lutter contre des facteurs de risque (agent infectieux, tabagisme, HTA, alcoolisme, surpoids, exposition au plomb,…) associés, de manière relativement directe et causale, à une ou plusieurs pathologies spécifiques.
Ces stratégies constituent, en intégration avec les soins curatifs, un « paquet global » indispensable en première ligne.
La promotion de la santé ne fait pas nécessairement référence à des facteurs de risque ou à des pathologies précises : elle vise, plus globalement, à agir sur les éléments favorisant l’émergence, le maintien, le développement de la santé : càd sur les déterminants de la santé.
Il est difficile d’avoir une alimentation saine lorsque l’argent manque ; de faire de l’activité physique dans les quartiers où il n’y a pas d’espaces verts ni d’infrastructures sportives accessibles ; d’avoir des rythmes de vie réguliers si les conditions de travail ne le permettent pas ; d’éviter le stress et l’isolement lorsque l’insécurité est quotidienne ; de prendre soin de soi si l’on n’a pas accès aux soins, au logement, au travail, etc.
Différentes stratégies s’adressent à ces déterminants, elles sont proposées dans la Charte d’Ottawa de l’OMS :
L’équité est une valeur centrale en promotion de la santé : la lutte contre les inégalités sociales en santé est dès lors centrale dans cette approche. Ces inégalités sont en croissance partout et ne concernent pas que les extrêmes : elles sont perceptibles entre tous les barreaux de l’échelle sociale (selon un gradient qui n’est pas toujours linéaire).
Les stratégies axées sur les campagnes grand public ou de dépistage qui absorbent actuellement une grande part du budget de la promotion santé ne sont-elles pas primordiales, suffisantes ?
NON : toutes les études montrent que ce sont souvent les populations les plus favorisées qui bénéficient le plus de ces stratégies. Dès lors, leur donner la priorité ne fait qu’accroître les inégalités. Les informations, les conseils donnés dans les campagnes générales sont parfois très éloignés de la vie des gens, inapplicables dans leurs contextes de vie et parfois culpabilisants, voire stigmatisants. Tous ces éléments peuvent éloigner les personnes les plus vulnérables de la prévention ou même des services de santé par incompréhension, inadaptation, voire par peur d’être jugées. Il faut donc faire plus, autre chose, qu’une prévention qui accroît les inégalités.
Tous les soignants savent qu’il est difficile de soutenir leurs patients pour qu’ils mènent une vie plus saine, modifient leurs comportements à risque, évitent les complications d’une maladie, si leurs conditions de vie restent inchangées ou se dégradent objectivement. Au fil des ans, certains soignants ont un sentiment d’impuissance difficile à supporter.
Bien sûr le travail en équipe pluridisciplinaire permet, mieux qu’un travail en solo, d’aborder ces situations difficiles, de s’appuyer sur des compétences utiles, complémentaires à celles du médecin. Mais il faut aussi que les actions de promotion de la santé menées en maison médicales soient soutenues, puissent être menées en collaboration avec d’autres acteurs, d’autres secteurs ; et que les stratégies que les maisons médicales n’ont pas la possibilité de mettre en œuvre soient travaillés à d’autres niveaux.
Sans ces soutiens actifs organisés à des niveaux plus collectifs, l’activité de soin devient une « routine » qui pallie tant bien que mal les manques de notre société en matière de sens, de logement, d’espaces verts, d’emploi, de solidarité … mais qui ne change rien aux conditions qui déterminent la santé.
Cela est particulièrement vrai pour les souffrances psycho-sociales, largement présentes dans nos patientèles et qui constituent un poids considérable pour les équipes.
Toute notre expérience montre que les soignants qui prennent en compte les aspects sociaux de la santé quand ils proposent des soins (préventifs et curatifs), souhaitent pouvoir s’appuyer sur et faire alliance avec d’autres acteurs...
Aujourd’hui, beaucoup de gens en difficulté voient leurs conditions de vie s’empirer avec de lourdes conséquences sur leur santé, tandis qu’en même temps le système de santé se fragilise (e.a. pénurie des médecins généralistes). Il faut plus que jamais trouver (aussi) des réponses ailleurs que dans le système de soins.
Les soignants de première ligne ont absolument besoin de voir leurs efforts complétés, soutenus par des acteurs plus à même d’influer sur les aspects qui concernent les conditions de vie des gens.
Les collaborations doivent se mettre en place à différents niveaux. En effet, si certains besoins sont présents dans l’ensemble de la population, certains sont plus spécifiques et/ou plus importants dans une région, une localité, un milieu de vie, un sous-groupe. La perception des besoins peut également être fort variable, ainsi que les conditions de vie et les ressources que les intervenants peuvent mobiliser. La concertation avec le public concerné et avec les acteurs proches de lui est dès lors fondamentale en termes d’adéquation et d’efficience : tant pour décliner sur le terrain les stratégies conçues à un niveau global, que pour évaluer les besoins et ressources du terrain ainsi que pour stimuler les dynamiques locales et l’autonomie des gens.
La Fédération souhaite vivement…
Recommandations concrètes pour conclure, et en cohérence avec tout ce qui précède.
La Fédération des maisons médicales estime :
- qu’au niveau du ministre responsable de la politique de la santé en Communauté française, le plan d’action et le dispositif en cours d’élaboration devraient comprendre :
- un renforcement de l’action communautaire pour la santé ainsi que le développement des compétences et moyens d’action du public et des professionnels de tous les secteurs concernés par les déterminants de la santé ;
- des concertations formalisées avec les ministères responsables de compétences (domaines) ayant un impact majeur sur la santé (environnement, santé, enseignement, mobilité, logement…).
La Fédération des maisons médicales estime également :
- que la promotion de la santé, approche par définition transversale, devrait être considérée dans un cadre interministériel. Elle souhaite dès lors que soit déposée une proposition de résolution parlementaire préconisant une « loi santé » [2] : c’est-à-dire un système attribuant au ministre de la santé la responsabilité de garantir une politique transversale en matière de santé ; chaque nouvelle mesure étant soumise à l’approbation du ministre de la santé dans une perspective de bien-être global et de lutte contre les inégalités pour la population.
Cette loi serait mise en œuvre au minimum au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles ; idéalement, elle devrait également s’appliquer à tous les niveaux de pouvoirs, du fédéral au communal. Une disposition « d’impact de développement durable » existe en Wallonie, ce qui montre bien que l’idée n’est pas irréaliste malgré des contraintes institutionnelles importantes.
- que le conseil d’avis doit avoir une vision transversale de la Promotion de la santé. Il doit veiller à ce que la Promotion de la santé soit traduite sur le terrain dans le respect de la Charte d’Ottawa. Il doit représenter l’ensemble du secteur.
[1] Réduire les inégalités en matière de santé par une action sur les déterminants sociaux de la santé, Déclaration OMS 2009. Un appel à l’action pour prévenir les maladies non transmissibles à partir des approches de la promotion de la santé, Union Internationale de Promotion de la Santé et d’Éducation pour la Santé et du Réseau francophone international pour la promotion de la santé (messages clés), 2011. Efficacité de la promotion de la santé, actes du colloque organisé par l’Inpes avec la collaboration de l’UIPES, hors-série, International Union for Health Promotion and Education, 2004.
[2] Rapport explicatif relatif à la loi fédérale sur la prévention et la promotion de la santé (loi sur la prévention, LPrév) 25 juin 2008 - Office fédéral de la santé publique OFSP Confédération suisse. "L’état de santé de la population suisse, actuellement meilleur que la moyenne en comparaison internationale, ne pourra être maintenu qu’en renforçant les principes de prévention et de promotion de la santé au niveau politique, et en les ancrant plus solidement non seulement dans le système et la politique de santé, mais aussi dans d’autres secteurs politiques (p. ex. politique de l’éducation, politique économique et sociale, politique de l’environnement". – extrait de l’introduction, page 2.
n° 62 - octobre 2012
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...