Les négociations de la convention médico-mutuelliste surviennent dans un contexte de politique générale difficile. Mais cela ne rend que plus pertinentes une série de revendications susceptibles de produire plus de santé pour un coût mieux maîtrisé. Fond commun aux mesures proposées, elles s’axent autour d’une redéfinition et une optimalisation des tâches et financements des différentes « lignes » de soins et professions de santé.
Fin de l’année, c’est le moment des négociations en « médicomut ». La commission de convention médico-mutuelliste est un lieu stratégique essentiel au sein de l’INAMI : elle gère près de 7 milliards d’euros, soit un petit tiers de l’ensemble du budget de l’Institut : c’est l’ensemble des honoraires médicaux. A titre de comparaison, c’est quasi autant que l’ensemble du budget de la Région wallonne… Ses décisions ont un impact déterminant sur l’avenir de notre secteur : l’argent est « le nerf de la guerre », dit-on.
En concertation avec le Groupement belge des omnipraticiens -GBO, nous avons balisé une série de revendications pour le budget 2012 et j’ai le plaisir de vous en livrer l’essentiel.
La presse a relaté une diminution d’environ 4% des prestations en médecine générale : cette régression, qui ne touchait auparavant que les visites, touche aussi maintenant les consultations. Il ne peut être question d’en profiter pour réduire le budget. Cette diminution est due essentiellement à la pénurie de généraliste qui s’installe, et donc leur moindre disponibilité. C’est un réel danger pour le système parce que cela crée un déplacement vers la médecine spécialisée, plus coûteuse. Pour nous c’est clair : le budget doit être maintenu et les marges dégagées doivent être réinvesties dans la revalorisation de la profession et dans le renforcement de l’accessibilité par réduction des tickets modérateurs.
Dans un contexte où le burn-out des généralistes devient un véritable problème, une meilleure organisation de la garde est un des éléments susceptibles d’alléger leur charge de travail. Les expériences pilotes de postes de garde (PMG, postes médicaux de garde), de même que les systèmes d’appel centralisés ont montré leur pertinence. Mais il faut prévoir des moyens suffisants pour financer leur généralisation progressive et créer un cadre juridique pour permettre le tri des appels par un préposé.
La grande majorité des jeunes médecins généralistes souhaitent travailler en groupe, et c’est une des réponses possibles à la pénurie de généralistes notamment parce que le travail en groupe permet de mieux concilier vie professionnelle et exigences personnelles. Mais on constate que ces pratiques restent minoritaires : les obstacles sont importants (salaires insuffisants, lourdeur administrative...) et il est indispensable d’établir un cadre juridique et de financement adéquat pour les lever. La ministre Onkelinx s’y est montrée favorable. Décider d’un financement en médico-mut permettrait d’accélérer la mise en place du cadre juridique. Différentes formules sont proposées pour répondre aux attentes des professionnels : réseaux, groupes monodisciplinaires sous le même toit, groupes mutidisciplinaires, lesquels ont bien entendu notre préférence
Nous n’aimons pas trop le terme « échelonnement » car il insinue qu’il y aurait une hiérarchie dans les soins, alors que notre expérience démontre la pertinence d’une vision plus systémique dans laquelle le patient est au centre, la première ligne directement autour, les deuxième et troisième lignes en cercles concentriques. Mais ce vilain mot a l’avantage d’être compris par tous.
Nous plaidons pour des mesures qui incitent le patient à consulter d’abord en première ligne. La première consiste à augmenter l’accessibilité financière : développement des pratiques forfaitaires, réduction du ticket modérateur (la part payée par le patient) en première ligne, facilitation de l’application du tiers-payant, informatisation de la facturation… Des mesures d’organisation pourraient aussi être soutenues : par exemple, faciliter la prise de rendez-vous chez le spécialiste via internet quand c’est un médecin généraliste qui le demande.
Les spécialistes rétrocèdent à l’hôpital où ils travaillent près de la moitié des honoraires qu’ils y perçoivent ; les hôpitaux ont impérativement besoin de cet argent pour équilibrer leur budget. Ce système est pervers à plus d’un titre : il incite les gestionnaires à pousser les médecins à multiplier les actes ; les spécialistes sont tentés de quitter l’hôpital pour développer des pratiques privées plus lucratives. Les hôpitaux, en manque de médecins, recrutent des généralistes au prix fort pour pallier au manque de spécialistes pendant que, par exemple, des cardiologues font du suivi d’hypertension en ambulatoire : c’est le monde à l’envers et la pénurie de généralistes s’accroit.
Le problème est ardu est ; y remédier demande une solide réforme du système. Mais fermer les yeux ne résoudra rien et il est impératif qu’un groupe de travail soit constitué pour élaborer des solutions qui permettent aux médecins d’être payés pour leur travail, et aux hôpitaux d’être financés pour les infrastrucutres et le personnel qu’ils mettent à disposition.
Ce problème est lié au précédent, mais le champ qu’il englobe est beaucoup plus vaste. Les difficultés liées à la pénurie dans certaines professions nécessitent, au delà de revalorisations financières indispensables, que l’on redéfinisse certains métiers. On pourrait s’inspirer de ce qui se fait au Canada notamment, où certaines infirmières ont la possibilité des poser des actes qui sont ici réservés aux médecins. Ce travail ne peut pas se faire à l’intérieur de la « médico-mut » : nous plaidons pour la mise sur pied d’un groupe de travail interprofessionnel pour réfléchir à ces questions et faire des propositions. Mais l’accord de la « médico-mut » doit le prévoir.
La prescription de médicaments s’est améliorée (notamment en matière d’antibiotiques), tant en terme de quotas de génériques que de qualité de prescription. Mais il est possible d’aller plus loin. Les campagnes d’information vers le grand public comme vers les médecins ont montré leur efficacité. D’autre part, nous demandons que des mesures soient prises pour réduire l’influence de l’industrie sur les prescripteurs (que ce soit en termes de publicité, de cadeaux …) et parallèlement développer une information publique objective et accessible sur les bonnes pratiques.
La prescription à l’unité est une piste intéressante. Il s’agit de la possiblité de prescrire le nombre de cachets (ou de toute autre forme de médicament) qui corespond à ce que le patient doit recevoir, en place du système actuel où le médecin n’a d’autre choix que de prescrire des boîtes dont le contenu excède les besoins. Cela devrait certainement permettre d’éviter des gaspillages : dans une première étape, nous demandons que cette possibilité soit expérimentée dans les maisons de repos.
Les généralistes s’inquiètent d’une tendance lourde qui consiste à voir se développer de très grosses maisons de repos accueillant un grand nombre de résidents et dans lesquelles l’aspect humain a tendance à être laissé de côté. Il faut revoir les législations pour faciliter le développement de petites structures. Parallèlement, il faut veiller à ce que le médecin généraliste extérieur garde toute sa place : c’est parfois le dernier regard qui subsiste sur certaines situations critiques.
La pratique du tiers payant a tendance à s’étendre : c’est une nécessité pour garantir une accessibilité maximale. Mais la charge administrative s’alourdit d’autant pour les professionnels : nous demandons que l’informatisation de la facturation, par exemple via « my carenet » et la carte d’identité électronique, soit implémentée le plus rapidement possible.
La nomenclature des actes médicaux est largement obsolète et conduit à des écarts de revenus insoutenables entre les spécialités dites « intellectuelles » (dont la médecine générale) et les spécialités fortement techniques. Un groupe de travail consacré à cette problématique a été mis sur pied mais il ne fonctionne pas. Nous demandons que ce groupe soit activé et, à défaut, que les autorités prennent leurs responsabilités, d’une manière ou d’une autre, pour corriger rapidement ces disparités.
La croissance budgétaire étant réduite à 2%, cela laisse peu de marge pour les politiques nouvelles. Nous plaidons donc pour une « redistribution équitable de la masse d’index ». Ceci veut dire qu’en n’indexant pas certaines prestations déjà surfinancées, on pourra réinjecter des moyens financiers dans des domaines qui ont besoin d’oxygène, particulièrement en première ligne.
La liste des tâches n’est pas terminée, mais ce sont des éléments essentiels et nous demandons que les représentants de la médecine générale les mettent sur la table. Ce n’est pas gagné d’avance : rappelons qu’à la « médico-mut » l’Association belge des syndicats médicaux (ABSyM) - et donc le lobbie des spécialistes - est majoritaire sur le banc des organisations professionnelles et que la médecine générale a parfois du mal à se faire entendre. Et ce sera d’autant plus difficile que le contexte budgétaire ne permet pas de faire des folies. Une note positive : sur l’autre banc, les deux plus grosses mutuelles se sont montrées récemment plus attentives à nos revendications que dans le passé.
n° 58 - octobre 2011
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...