Bien sûr, on a de tout temps exprimé ses opinions sur les murs, mais jusqu’il y a deux ans je n’y prêtais pas une grande attention. Tout a commencé un jour, en traversant la forêt de Soignes à vélo. Je me suis retrouvé au pont de Groenendael devant un embouteillage monstre d’automobilistes exaspérés klaxonnant à qui mieux mieux, prisonniers dans leurs voitures, et à cause de leurs voiture ; dans le même temps, mon regard a été attiré par une inscription bombée sur le parapet du pont, qui disait : « l’aliénation suréquipée ». Le déclic a été immédiat entre la situation sur le terrain et l’analyse très précise de cette même situation. En deux petits mots… : il y a donc des gens, femmes, hommes, jeunes, vieux, qui ne sont pas dupes ! Et qui dans le contexte de pensée unique et de chaos organisé de notre quotidien, sur le plan social, politique et culturel, ont choisi cette façon de parole libre, et pouvant être vue de tous pour montrer les contradictions dans les choix qui nous sont imposés…
C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire un travail de recherche sur cette forme d’expression et de l’archiver par l’intermédiaire de la photo. Depuis deux ans donc, je parcours la ville à vélo, à pied, en transport en commun, en privilégiant l’écrit par rapport à d’autres formes d’expression, parce que l’écrit m’est directement compréhensible.
Je suis parti comme un explorateur à la redécouverte de ma ville, et je n’ai pas été déçu…
Je me suis très vite rendu compte que cette parole, fruit d’une expression individuelle la plupart du temps, touchait à l’universel, au politique, au poétique aussi…
Car comment nous parle-t-on, en nous demandant de travailler plus vite, moins cher, sans garantie d’emploi, comme le rappelle cet écrit sur un pont d’autoroute « Beaucoup, loin, vite, mal », et que se cache-t-il derrière la mondialisation heureuse, la modernité, les technologies avancées, si ce n’est un retour au XIXe siècle, avec les moyens du XXIe siècle pour en arriver peut-être à cette autre parole libre, également sur un pont d’autoroute, « Prozac über alles », et pour tous, sans doute. Orwell n’est pas loin, la macdonaldisation est en route et à part quelques exceptions, les media se chargent de la faire avancer ; avec violence, vulgarité, elle envahit notre quotidien. Le discours d’annonce du politique, rarement suivi d’effet, le mensonge et la manipulation, qu’on nous présente comme la seule alternative possible.
L’histoire serait-elle vraiment finie ? « La paix économique, c’est la guerre » nous dit un autre pont d’autoroute, et pourtant, pourtant, toutes ces paroles ne sont pas que des constats sans espoir, je crois qu’ils sont aussi des cris d’alarme, d’éveil, qui nous forcent à réfléchir, qui nous aident à comprendre que l’histoire des humains c’est aussi la résistance, partout dans la société civile des voix s’élèvent, des nouvelles cultures montent des quartiers populaires, avec des poésies fortes et revendicatives, partout des groupes s’organisent pour arrêter de détruire notre terre. Ils nous montrent que l’histoire ne s’arrête jamais et qu’il y a des alternatives à notre auto-destruction, que le racisme n’est pas une fatalité et que la résistance, le respect de l’autre, la dignité, l’amour, la compassion et le dialogue envers et contre tout, font aussi partie de notre destinée d’humain.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...