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Paysage avec hôpitaux, soins primaires et mutualités


juillet 2006, Antoine Bernard

directeur de l’action sociale à Partenamut.

L’évolution du contexte économique global entraîne une modification du rôle des mutualités. Dans le nouveau paysage, les soins primaires passent au second plan.

. Santé conjuguée : Plusieurs grandes mutualités sont gestionnaires d’hôpitaux. On peut penser que, de ce fait, elles ont peu d’inté- rêt à soutenir les soins de santé primaires.

. Bernard Antoine : Une remarque prélimi- naire : toutes les mutualités ne sont pas gestion- naires d’hôpitaux, tant s’en faut. Par exemple, les mutualités libres (troisième grande union nationale mutualiste en Belgique) ont choisi de ne pas être gestionnaires d’hôpitaux et ce en vertu du principe de libre choix du patient. La question doit être envisagée dans le contexte actuel : la plupart des mutualités tendent à se défaire des hôpitaux dont elles sont directement gestionnaires. Dernier exemple en date, César de Paepe, hôpital des mutualités socialistes, a fusionné avec Saint-Pierre et est ainsi passé dans le réseau IRIS des hôpitaux publics de Bruxelles. On peut le comprendre : le monde hospitalier est complexe et ses intérêts ne sont pas toujours convergents avec ceux des mutuali- tés. Les soubresauts réguliers des commissions de convention à l’INAMI en sont une illustration : l’harmonie est loin de régner en maître . entre les médecins (les hôpitaux) et les mutuali- tés. Les institutions hospitalières directement liées à l’une ou l’autre mutualité sont donc de plus en plus rares. Toutefois, les mutualités . socialistes et chrétiennes qui sont celles chez qui la culture de gestion hospitalière est la plus présente (c’est explicable historiquement), maintiennent - voire renforcent - leur influence dans le secteur hospitalier au travers des organes de gestion et des piliers politiques en occupant systématiquement des postes de pouvoir dans les fédérations hospitalières (AFIS, AEPS, FIHw...) et les fédérations du non-marchand (CENM, UFENM, UBENM...). Leur influence dans les cabinets ministériels est également extrêmement prégnante.

. Comment s’explique cette transformation du rapport entre hôpitaux et mutualités ?

. Pas seulement par la volonté d’occuper des postes symboliquement et politiquement « porteurs ». Le monde mutualiste est en pleine mutation, il est actuellement confronté à la réalité de la concurrence commerciale. En effet, le core-business mutualiste sera de moins en moins l’assurance obligatoire et de plus en plus l’assurance complémentaire, le bien-être, la prévention plutôt que la santé pure et dure. Pourquoi ? Parce que les technologies de com munication raccourcissent les procédures entre prestataires et INAMI et diminuent les flux informatifs opérationnels ce qui implique que les mutualités -institutionnellement parlant perdent progressivement leur raison d’être historique. Elles sont donc confrontées à la nécessaire mutation, d’autant que le splitsing communautaire des soins de santé est inscrit dans les astres, que la concurrence avec le sec- teur privé est effrénée et que les rapprochements au niveau européen pointent lentement leur nez. Donc, toujours très pragmatiques - malgré les habituels discours idéologiques solidaristes - les mutualités dites politiques (socialistes et chré tiennes) occupent le terrain institutionnel afin de peser sur la gestion politique des soins de santé et de rester à la manoeuvre dans un environnement manifestement très secoué et qui va le rester.

Dans ce paysage en recomposition, quels seront les rapports entre soins de santé pri maires et mutualités ?

La difficulté à soutenir les soins primaires doit se lire au travers de la réalité de cette muta- tion : le monde de la santé et des soins n’échappe pas à la globalisation et à la marchandisation. Le secteur des mutualités est dès lors écartelé entre ses positions doctrinales et ses objectifs historiques d’une part et le pragmatisme commercial imposé par le libéralisme ambiant d’autre part. C’est manifestement ce dernier qui a gagné la partie. Qu’on le veuille ou non. Dans ces conditions, certaines mutualités peuvent juger que leur intérêt immédiat consiste à s’allier à des structures fortes à haute valeur économique ajoutée à savoir les institutions hospitalières qui sont les seules à appliquer de la technicité de pointe en matière de soins. Dans ce cadre, les soins primaires passent au second plan : ils sont moins rentables économiquement, moins maîtrisables socialement (les prestataires de soins primaires sont pour la plupart indépendants et « solistes ») et moins chargés de sens symbolique.

Ceci étant, puisque la demande en matière de prévention, d’approche santé élargie au bien- être (assurance complémentaire) est une réalité de plus en plus prégnante et que les opérations relatives à l’assurance obligatoire (les remboursements de soins, les problématiques d’invalidité, d’incapacité etc.) sont en diminution constante, la mise en place de nouvelles synergies entre mutualités et secteurs de santé primaire sera un des challenges à relever dans les années à venir. Cela nécessitera l’ouverture d’un dialo gue franc et transparent entre prestataires (le généraliste au premier chef) et mutualités. Chacun y sera-t-il déterminé ? Le libre choix sera-t-il demain un concept partagé par l’entièreté des mutualités ? Chacun demande à voir… .

Cet article est paru dans la revue:

n° 37 - juillet 2006

Course d’obstacles pour soins de santé primaires

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...