Venant du niveau « macro » de la politique de santé, l’ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé Magda De Galan, aujourd’hui bourgmestre de Forest a repris les fonctions de l’échevinat de la Santé. En prenant appui sur les ressources locales et entre autres le tissu associatif, elle tente d’articuler la participation de sa commune aux campagnes nationales de santé avec le développement de projets locaux notamment en termes de prévention, de promotion de la santé et d’accès aux soins.
La commune de Forest comptait officiellement 48.906 habitants au 1er janvier 2008. Les questions de santé sont assez faciles à identifier, et elles sont liées aux inégalités [1]. On n’est pas globalement dans une entité pauvre, mais la commune est très clairement divisée en deux, avec des zones où les problèmes de santé sont récurrents et liés à la pauvreté et aux conditions et habitudes particulières de vie des populations issues de l’immigration maghrébine, des pays de l’Est et d’Afrique équatoriale.
« Les conditions de logement comptent parmi les causes des problèmes de santé. La malbouffe est un enjeu prioritaire. Le diabète est devenu un problème majeur, lié à l’hérédité, à la sédentarité, et aux habitudes alimentaires. L’état de santé se détériore de manière tangible, en particulier dans les populations d’origine étrangère. Dans le quotidien de l’activité communale, dans les écoles, on peut voir ces phénomènes dans la proximité, et pas de loin comme les voit le ministre de la Santé, en termes de chiffres globaux.
L’évolution démographique dans ma commune est également déterminante. On compte 4.000 habitants de plus en deux ans. Et ce sont de jeunes ménages, avec de petits enfants. La démographie des enfants explose ».
« Pour rencontrer tous ces enjeux, nous nous investissons auprès des associations et des services communaux pour soutenir leurs projets.
Avec une nouvelle maison médicale dans la commune, nous mettons en place dans le cadre du contrat de quartier un dispositif d’accueil de jour pour les personnes âgées confuses.
Avec le CPAS, nous avons mené une renégociation de l’encadrement INAMI à la maison de repos. Il s’agissait de requalifier une partie des lits en statut de maison de repos et de soins pour obtenir un meilleur financement. Nous travaillons beaucoup avec l’association Forest Quartier Santé, avec laquelle on a construit un projet subventionné par la Commission communautaire française pour organiser des activités sportives avec des femmes, principalement des musulmanes. Les femmes de cette association gèrent aussi un potager qui se trouve sur un site communal qui sera un jour le centre culturel forestois.
Une de mes grandes préoccupations, c’est la santé en prison, puisqu’il y a sur le territoire de Forest deux grandes institutions pénitentiaires. La maison d’arrêt pour hommes la plus grande du pays : 420 places, et 700 détenus. Et une prison pour femmes. Et il y a encore la prison de Saint-Gilles juste en face. La commune n’y a aucun pouvoir, mais il existe un décret napoléonien, non abrogé, qui exige du bourgmestre d’une commune où se trouve une prison de « goûter une fois l’an l’ordinaire des prisonniers ». Et qu’est-ce que l’ordinaire ? Peut-on se limiter à cet aspect ? Il y a des aspects culturels qui rendent la vie commune difficile, comme en période de ramadan, par exemple. La santé mentale et physique est évidemment très mauvaise en prison. On essaie de travailler la prévention : toxicomanie et santé en général. On essaie de soutenir l’amélioration des infrastructures, en liaison avec les ministres de tutelle.
D’une manière générale, on rentre des dossiers. On les structure. Dans le cadre des projets communaux de santé [2], on vient d’obtenir chez la ministre Laanan un budget pour un projet nouveau de concertation autour des questions de santé. On a lancé un projet à la Fondation Roi Baudouin pour créer un café Alzheimer.
On soutient les actions d’éducation pour la santé dans les locaux communaux.
On organise par exemple des journées de dépistage du diabète et de prévention du SIDA (encouragement ou dépistage, usage du préservatif). De même, nous sensibilisons avec Forest Quartier Santé aux risques du tueur silencieux (monoxyde de carbone).
Par contre, il n’y a pas de personnel communal compétent et dédicacé à la santé. Il y a pourtant une compétence échevinale santé, que j’ai reprise lorsque l’échevine en titre a choisi un mandat parlementaire (le cumul n’est pas autorisé, ici) ».
« J’ai toujours rêvé de devenir médecin. Mais j’ai eu un gros problème de santé à l’adolescence, et j’ai dû être hospitalisée pendant plusieurs mois. À la suite de ça, mon père m’a suggéré de renoncer à la carrière de médecin pour protéger ma santé. J’avais l’exemple d’un oncle médecin de campagne. A cette époque, la pratique de la médecine générale était éprouvante. Mon père m’a proposé d’essayer le droit, comme il l’avait fait. En me promettant de me laisser faire la médecine si j’échouais. Mais j’avais fait l’expérience du jury central pour éviter le redoublement scolaire après mon hospitalisation. J’étais devenue une machine à ingurgiter et restituer la matière. J’ai donc réussi très brillamment ma première candidature. Ç’aurait été idiot de ne pas poursuivre. J’ai donc poursuivi mes études de droit, en gardant ce regret.
Guy Spitaels, alors ministre, m’a appelée en janvier 92, alors que j’étais à peine députée. Il me proposait une place dans l’exécutif communautaire. J’avais 10 minutes pour me décider, et pas le droit d’en parler autour de moi ! Et il n’avait pas encore choisi la matière qu’il voulait me confier… J’ai accepté, et il m’a donné la Santé et les Affaires sociales en Communauté française. Et je me suis amusée comme une folle…
J’ai pu lancer un tas de projets qui me tenaient à coeur. J’ai, par exemple, ressorti le décret maisons médicales du placard. J’avais en charge la prévention sur l’ensemble de la Communauté française et les compétences étaient très larges sur la Wallonie : les infrastructures maisons de repos, les infrastructures hospitalières… En fait, tout ce qui a été régionalisé lors de la phase suivante de la réforme de l’état, en 1993. Après, cette réforme je suis restée, en quelque sorte, la ministre des toxicomanes et de l’ONE ! Et puis, à l’occasion d’un remaniement ministériel, j’ai remplacé Laurette Onckelinx à la Santé, l’Environnement et l’Intégration sociale dans le Gouvernement fédéral.
J’essaie de repérer les éléments liés à toutes les grandes problématiques de santé dont j’ai vu l’impact macro quand j’étais ministre de la Santé, et d’identifier leurs dimensions locales. C’est le cas pour les maladies cardiovasculaires, pour le bon usage du médicament, l’usage des génériques, et tant d’autres choses. J’ai gardé des relais, bien entendu. Et j’essaie de les activer au bénéfice de projets portés par des associations locales.
J’ai la passion de la médecine qui s’inscrit dans l’action sociale, sans mépris pour les spécialistes ».
« Il n’y a pas de mission en santé prescrite pour les pouvoirs locaux, si ce n’est la responsabilité qu’ils ont sur le suivi de la vaccination des enfants de leur commune. Mais ils ont un rôle essentiel à jouer en matière de prévention et d’éducation pour la santé. Ce rôle, il faut le prendre. Les pouvoirs locaux sont sollicités par les ministres compétents lors des grandes épidémies, par des fondations dans le cadre d’appels à projets, très rarement par des appels européens, par la médecine du travail pour des campagnes de vaccination grippe. Mais ce sont des opportunités à saisir. Ce sont les élus qui doivent se mobiliser, et mobiliser les services et les associations pour répondre à ces appels.
On devrait surtout se concentrer sur la prévention primaire. Comment la médecine scolaire se mobilise-t-elle ? Que voient les professeurs de gym ? Les intervenants du CPAS ? Qu’en font-ils ? On peut travailler avec tout le monde l’attention aux signes, aux clignotants de la pauvreté, et le relais.
Certaines communes, comme Bruxelles-ville ont un CPAS qui gère de grosses institutions hospitalières et ont alors des leviers pour agir sur le curatif. La commune est dans les conseils d’administration pour orienter la politique hospitalière. Ce n’est pas notre cas. Forest fait partie de l’intercommunale Iris-sud, où elle ne siège pas.
Toutefois, les pouvoirs locaux ont à se saisir, à leur mesure, des questions d’accès aux soins de première ligne. Le problème est complexe, il se pose à de multiples niveaux, et les solutions ne viendront pas sans une articulation dans laquelle les communes ont une place. Ici encore, elles peuvent organiser la mobilisation des acteurs locaux, les aider à formuler des propositions novatrices, et les soutenir à d’autres niveaux de pouvoir, où des moyens peuvent être dégagés ».
Quelques enjeux se dégagent de l’aperçu statistique de la commune de Forest
• À l’échelle communale, la population est relativement mixte, tant sur le plan de l’âge, de l’origine, que du statut socio-économique. Cela multiplie donc les types de besoins, pas toujours aisément conciliables. On doit toutefois relever une importante différentiation spatiale au sein de la commune, où le lien entre topographie et caractéristiques de la population est clair : cela ce traduit notamment par différentes compositions de la population, par des inégalités entre le bas et le haut de Forest en termes de revenu, de niveau d’éducation ou d’insertion sur le marché du travail. Ceci est le reflet de la position de la commune dans la Région, à cheval entre le croissant pauvre et le quadrant sud-est mais aussi entre la première et la seconde couronne d’urbanisation. Au-delà des moyennes communales, il est donc nécessaire d’examiner systématiquement, quand c’est possible, les variations intra-communales.
• Une grande partie du parc de logements du bas de la commune, anciens et moins bien équipés dès l’origine ne correspondent plus aux exigences minimales actuelles. C’est d’autant plus problématique que cela concerne largement les familles avec enfants et que c’est dans cette partie de la commune que l’espace public est le plus difficile à aménager, devant concilier besoins des habitants et contraintes des nombreuses activités économiques insérées dans le tissu urbain. Le problème de la reconversion des friches industrielles, qui se pose depuis les années 1980 impose des arbitrages globaux entre fonctions (locaux à vocation économique ou culturelle, logements,…) mais aussi plus finement au sein des fonctions : dans le logement, laisse-t-on proliférer les lofts ou induit-on une certaines mixité ?
• La commune héberge une importante communauté immigrée, installée de longue date. Une bonne partie de ces personnes sont présentes depuis plusieurs générations. L’insertion semble assez bien fonctionner pour elles, ou en tout cas mieux que dans d’autres communes du croissant pauvre. Cependant, les difficultés d’insertion sur le marché du travail existent toujours, particulièrement pour les jeunes des quartiers du bas de Forest, et ce pas uniquement en raison d’un niveau de qualification faible. Par ailleurs, il faut noter que si le flux d’immigration vers Forest a changé dans le temps en termes de nationalités, il concerne toujours des populations pour lesquelles l’insertion sur le marché du travail bruxellois n’est pas assurée.
Rencontre avec Magda De Galan, bourgmestre de Forest.
[1] Lire l’encadré, extrait de la fiche communale n°7 d’analyse des statistiques locales en région bruxelloise publiée par ULB-IGEAT et l’Observatoire de la santé et du social. http://www.cocof. irisnet.be/site/fr/ affsoc/cohesion/Files/ IGEAT_F_FOREST
[2] Lire l’analyse de ces projets en Hainaut page 65.
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