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Relations collectives : un ovni


1er octobre 2013, Hellendorff Yves

Infirmier, secrétaire national du non-marchand à la Centrale nationales des employés (CNE)

La vision globale et multidisciplinaire de la santé, de même que l’articulation des professionnels au sein d’une équipe à vocation plus égalitaire et plus participative interroge les pratiques patronales et syndicales traditionnelles. La maison médicale fascine, trouble et effraie. Yves Hellendorf interroge le développement du modèle « maison médicale » à la lumière des relations collectives.

Alors qu’en temps de crise, les replis identitaires et corporatistes sont légions, les maisons médicales continuent à montrer que la complémentarité et la coopération n’ont rien à envier à la concurrence et au protectionnisme en matière d’efficience. Pourtant, au niveau de la pratique médicale, les préjugés ont la vie dure. Et sans doute pas autant par transmission universitaire que par mimétisme lors des nombreux mois de stage. La liberté thérapeutique, érigée en colonne vertébrale de la science médicale reste une raison souvent invoquée pour refuser de travailler en équipe multidisciplinaire. De même une pratique intégrée dans un financement forfaitaire apparaît davantage comme une contrainte que comme une opportunité. La raison : la crainte exacerbée d’une sous-consommation (si les prestations comprises dans le forfait ne sont pas prestées) et d’une limitation des choix thérapeutiques.

Par contre, à un moment où la profession médicale se féminise et se renouvelle, le modèle du « médecin-de-famille-martyr-sacrifié-et-adulé » tend à s’estomper. Une attention accrue est portée à la conciliation vie familiale-vie professionnelle, et donc aussi au temps de travail. La continuité des prises en charge, en même temps qu’elle est fragilisée par la pénurie de médecins et les gardes médicales de plus en plus difficiles à assurer, semble davantage garantie dans une pratique de groupe.

Patrons, salariés : des rôles brouillés

En matière de relations collectives, le modèle des maisons médicales éprouve énormément de difficultés à trouver sa place. De ce fait, il risque de n’apparaître intéressant - et donc à promouvoir - que parce qu’il est marginal. Plusieurs éléments participent à cet état de fait.

L’identification des pôles patronal et syndical au sein des maisons médicales est délicate, dans la mesure où elles fonctionnent de manière plus ou moins marquée en autogestion. Or qu’on le veuille ou non, les rôles et fonctions ne sont pas facilement interchangeables entre des professionnels qui assurent des niveaux d’implication et de responsabilité différents. Un rôle de gestion, et donc de régulation, n’est pas aussi facile ni aussi bien accepté s’il émane d’un personnel assumant une fonction administrative ou de soutien que s’il s’agit d’un médecin par exemple. La confusion des pôles participe à rendre les mandats ambigus dans les filières de représentation collective. Difficile, dans ces conditions, d’intégrer les intérêts du secteur dans les priorités respectives des deux bancs des relations collectives.

Avec des associations financées à la fois par les Régions (accueil, prévention) et le Fédéral (soins), le suivi des « Accords non-marchand » reste problématique. Une place spécifique au secteur est donc régulièrement réclamée, ce qui en fait un acteur « compliqué » à prendre en compte, et donc à défendre. Et au sein de la commission paritaire des Etablissements et services de santé (CP 330), les maisons médicales n’ont aucun poids pour développer un modèle spécifique adapté à leur réalité (à côté des hôpitaux, maisons de repos et autres…). Les organisations syndicales restent enfin mal à l’aise face à certaines demandes qui pourraient être acceptées dans le cadre strict de pratiques autogestionnaires, mais qui risquent de créer un précédent pour l’ensemble du secteur. C’est le cas par exemple en matière de prestations de moins de 3 heures [ndlr : règle qui interdit à tout professionnel du secteur de réaliser une prestation de moins de 3h ; une règle qui pose problème, notamment pour les infirmières en maison médicale qui travaillent parfois pour des durées moins longues, par exemple pour leur tournée du matin ou du soir].

Participer pour se développer

Pour les organisations syndicales, il n’y a aucun doute sur l’utilité de défendre le développement des maisons médicales. Mais les nécessités d’adaptations mutuelles sont encore loin d’avoir été rencontrées. Au sein des maisons médicales, le syndicat reste trop souvent perçu comme hostile aux pratiques autogestionnaires, et sclérosant en matière de flexibilité des conditions de travail. D’un autre côté, « avoir raison tout seul » ne suffit pas pour changer le monde : les maisons médicales existent dans un contexte économique, politique, institutionnel, social et de santé, dont elles doivent tenir compte et qu’elles doivent intégrer si elles veulent l’influencer.

Pour développer leur modèle, les maisons médicales ont donc tout intérêt à participer activement aux dispositifs paritaires. Cela a déjà été démontré. A plusieurs reprises les maisons médicales ont par exemple bénéficié d’emplois supplémentaires à travers les Accords non-marchand ou le Maribel social. Un nombre important de ces emplois a été réservé à des jeunes maisons médicales qui se lançaient. Les maisons médicales utilisent aussi largement les dispositifs de financement des fonds sociaux paritaires pour de la formation, des intervisions, des supervisions et autres recherches-actions.

Le modèle de maisons médicales, loué par certains, continue à en effrayer d’autres. Il ne faudrait pas que, pour rassurer ses opposants, le modèle se dilue jusqu’à n’apparaitre plus que comme une pratique médicale de groupe, du style d’un service de garde. Ceci dit, il est difficile dans le cadre actuel de préjuger des tendances qui prédomineront dans les prochains mois et prochaines années. Une chose est sûre, l’évolution institutionnelle du pays restera un enjeu particulièrement prégnant. Si on ne peut qu’applaudir l’intégration du curatif et du préventif sous une même autorité normative et subsidiante, en tant que francophones wallons et bruxellois, nous devons aussi craindre un amoindrissement des moyens publics affectés aux soins de santé dans le contexte d’une sécurité sociale régionalisée.

Cet article est paru dans la revue:

n° 66 - octobre 2013

Sens et diversité : le terreau des maisons médicales

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

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