Située à quelques encablures de la célèbre Barrière de Saint-Gilles, le collectif de santé La Perche vit depuis longtemps en grande proximité avec son quartier. Elle n’a jamais mis les questions de santé mentale entre parenthèses ; leur prise en compte semble même faire partie de son ADN. Rencontre avec Catherine Brémont, psychologue et responsable du volet santé communautaire.
D’abord, l’accueil
Psychologue de formation, Catherine B. a été engagée au collectif de santé La Perche pour mettre sur pied des actions communautaires. Au même titre que ses collègues assistantes sociales et responsable administratif, elle est également chargée, à temps partiel, de l’accueil des patients. Des patients qu’elle connaît bien désormais, puisqu’elle exerce cette fonction depuis douze ans déjà. Elle nous dépeint comment les problématiques de santé mentale s’appréhendent et se travaillent à La Perche..
« Il y a ici une sorte d’historique par rapport aux questions de santé mentale ». Depuis bon nombre d’années, le Dr Patrice Slinger, psychothérapeute psychanalyste y tient des consultations deux demi-jours par semaine ; s’il n’y a pas de places disponibles, les personnes sont orientées vers les services de santé mentale les plus proches.
Une des fondatrices de La Perche, Claire Remy, a quant à elle a participé à la création du Réseau d’aide aux toxicomanes, également situé à Saint-Gilles. Ce réseau est né de la volonté de médecins généralistes de répondre aux demandes de personnes confrontées à des problèmes d’assuétudes. Dans divers lieux de consultation, ces médecins les accueillent, les accompagnent, les orientent. La Perche comprend encore à ce jour une antenne du Réseau d’aide aux toxicomanes. « Les personnes qui y sont suivies ne sont pas forcément des patients de la maison médicale, mais des liens peuvent être établis entre les deux. ».
Que ce soit à travers les consultations psychiatriques ou le Réseau d’aide aux toxicomanes, la santé mentale est au cœur du travail de La Perche. Mais cette attention ne s’arrête pas là. Forte de sa formation de psychologue et de son travail mené parallèlement pour l’association Françoise Dolto, Catherine Brémont fait également de la guidance pour certains patients. « Je ne fais pas de psychothérapie, précise-t-elle. Je les reçois, je débroussaille et j’oriente, notamment quand il y a des questions touchant à la parentalité ».
Les réunions d’équipe, tous les mardis midi, font aussi la part belle à ces problématiques. Un mardi par mois est consacré au « psycho-social » : « On échange autour des patients. C’est une sorte d’intervision, avec la présence du psychiatre de la maison médicale. ».
Un moment qui permet d’échanger tant pour « savoir à qui il faut faire attention au moment de l’accueil » que pour relayer certaines informations aux médecins généralistes qui suivent ces patients. Car l’accueillant, tout comme les médecins généralistes, est un réceptacle pour toute une série de problématiques sociales ou psychiques.
L’accueil est bel et bien un pilier du centre intégré. « Ce n’est pas un accueil isolé, il se fait au milieu de tous. Quelques patients viennent ici non pas pour venir consulter, mais juste pour prendre un café, pour dire bonjour. Quand on ne voit pas certains d’entre eux passer pendant deux jours, on s’inquiète. ».
En douze ans, l’accueil a beaucoup changé : « Il est beaucoup plus structuré pour le public, nous avons fait un gros travail sur l’accessibilité notamment dans le cadre de la démarche d’évaluation qualitative - DEQ [1] ». Les effets de cette réorganisation ? L’équipe a plus de temps pour dialoguer avec chaque patient, nous explique Catherine. Et de préciser aussi que l’équipe de la maison médicale « fait preuve de souplesse à l’égard de certains patients agités, perdus ou intoxiqués dans la salle d’attente : même s’ils n’ont pas rendez-vous, on essaye de les intercaler entre deux patients ».
Le médecin généraliste est une autre porte d’entrée pour détecter les problèmes de santé mentale : demandes récurrentes de somnifères, maux de dos incessants sans qu’aucun examen ne mette en évidence une quelconque pathologie... Les exemples sont légion. « Certains patients disent constamment qu’ils ont mal partout. Mais il s’agit en fait de dépressions, de découragement. ».
Avec 20-25 minutes de consultation, il est parfois difficile de consacrer du temps à ces questions. « Mais les médecins sentent parfois que ces personnes ont besoin de parler, et ils prennent ce temps parce qu’ils se rendent compte qu’elles n’iront pas ailleurs ». Ou bien ils relayent vers l’accueil, vers une assistante sociale, vers les activités de santé communautaire - un groupe de parole, des activités cuisine, des ballades... Ces projets contribuent à briser l’isolement et favorisent l’expression : ils « font soin » à leur manière.
Patients psychotiques, toxicomanes, personnes alcooliques, déplacées, exilées, réfugiées, sans abri… les profils des patients psychiquement plus fragiles sont diversifiés. Et avec eux, le lot de problématiques à régler. Et de ponts à construire avec d’autres services : une convention signée avec une maison d’accueil, une collaboration avec le service de traduction et d’interprétariat social (SETIS) ou un partenariat avec des appartements supervisés destinés à des personnes qui sortent d’hôpitaux psychiatriques...
« Nous relayons aussi les patients vers les trois services de santé mentale qui sont proches de nous », expose Catherine Brémont. « On a déjà rencontré les équipes, mais nous n’avons pas toujours de retour. Est-ce que les patients ont des rendez-vous, dans quels délais … ? ». Les assistantes sociales travaillent beaucoup en réseau autour de toute une série de problématiques, et l’accueil tient une « farde de réseau », qui permet d’orienter une personne en détresse vers le service adéquat, en prenant, au besoin, directement contact avec lui.
Il est mentionné également l’intérêt de l’équipe pour les « Cliniques de concertation » [2], une approche originale consistant à réunir l’ensemble des intervenants psycho-médico-sociaux autour d’un usager, son entourage et l’usager lui-même. Ensemble, en confrontant points de vue et compétences, il s’agit de faire avancer une situation.
Il y a de plus en plus de familles isolées, en manque de repères, et une plus grande précarisation, notamment liée aux flux migratoires, mais pas uniquement : « Les gens du quartier ont de plus en plus de mal. Le logement est un gros souci. Il est parfois tellement inadapté qu’il engendre des problèmes de santé mentale. Par le bruit, la mauvaise entente entre les locataires ou encore une certaine insécurité dans le quartier. Ce sont des choses qui touchent particulièrement les personnes âgées. ».
Si les cas « trop lourds » sont finalement assez rares, il reste difficile de gérer certaines situations. Des situations de violences par exemple, choquantes pour certaines accueillantes. « Les médecins essayent de nous protéger. Inversement on essaye de protéger les médecins. On a également installé un système de ‘google talk’, qui nous permet de nous parler de bureau à bureau via notre ordinateur. ».
L’équipe de La Perche se sent-elle outillée pour faire face à la lourdeur de certaines situations ? « On est obligés de communiquer beaucoup plus qu’avant et l’équipe soignante est amenée à intégrer de plus en plus la prévention au sens large. Il y a beaucoup de relais dans l’équipe. C’est une équipe assez stable. La confiance, la stabilité, la démocratie dans l’équipe, ce sont des facteurs positifs ». Toutefois, les professionnels de La Perche l’expriment clairement : face aux demandes croissantes, offrir plus de plages de consultation ‘psy’ serait nécessaire.
[1] Processus d’auto-évaluation interne imposé par le décret ambulatoire en Région bruxelloise, NDLR.
[2] Un dispositif thérapeutique collectif initié en 1996 par le Dr Jean Marie Lemaire. Voir article dans ce dossier « La position du mulet ».
n° 70 - avril 2015
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...