On entendait jadis répéter : « les voies du Seigneur sont impénétrables ». Le témoignage que vous allez lire donne à penser que les chemins de la santé (au sens large) sont imprévisibles.
Encore maintenant je reste admirative de la manière dont une famille a géré ses fragilités sociales et est sortie de la précarité. Je voudrais faire ici une relecture du chemin parcouru par ces personnes.
Il y a plus de 20 ans, j’habitais et je travaillais dans un quartier en périphérie d’une ville wallonne. Dans ce quartier, se côtoyaient des familles qui étaient là de génération en génération et de nouveaux arrivants dont de nombreuses familles vivaient une précarité sociale. Une vraie solidarité existait entre les gens. Mes voisins, un couple, deux enfants, un garçon, une fille avec tout un lot de fragilités comme bagages pour la vie. Des liens se sont rapidement noués entre ma famille et la leur par l’intermédiaire de Nancy, la fille aînée de sept ans qui appréciait de venir jouer avec mes enfants plus jeunes.
La mère, fragilisée par son passé d’enfant abandonnée, bénéficiait d’une faible scolarité. Le père, aussi fragilisé par son passé d’enfant mal traité et par un handicap, était alcoolique et très violent sous imprégnation éthylique. Leur logement était petit, sombre et difficile à chauffer. Les parents n’avaient pas de boulot fixe. Le père avait de temps en temps un petit travail non déclaré et, sans doute, une allocation sociale. Ils exprimaient qu’ils n’avaient pas suffisamment de revenus, notamment pour payer les frais scolaires. La mère avait le désir de s’en sortir, de ne pas reproduire avec ses enfants l’abandon qu’elle avait vécu. Elle voulait un avenir différent pour ses enfants et elle le disait. C’était une incroyable ressource pour sortir de la précarité mais le quotidien ne laissait pas prévoir un bel avenir. La vie de tous les jours, c’était des difficultés financières, un rejet des enfants à l’école, des crises de violence du père obligeant la mère et les enfants à se réfugier régulièrement chez nous pour aller ensuite dans une maison d’accueil… Ce n’était pas toujours rassurant d’être leurs voisins.
Un jour, un terrible malheur frappa cette famille. Une grande solidarité de quartier s’est alors organisée pour les soutenir et aussi pour agir afin que les mêmes faits ne puissent plus se reproduire. Ils toucheront par la suite un dédommagement important d’une assurance. Par après, lors d’un rite religieux, la famille m’a choisie comme marraine de Nancy et un personnage important du quartier a accepté d’être son parrain. Leur vie a beaucoup changé dans les années qui suivirent. La famille a acquis un meilleur logement. Le père a arrêté de boire et a trouvé du travail. Nancy a fait les mêmes études que moi, un niveau de graduat, avec une volonté hors du commun d’y arriver. Elle est mariée, elle a deux enfants. Le couple a acheté une maison qu’il restaure avec goût.
J’ai l’intime conviction que notre famille a été un des modèles de référence pour celle de Nancy. Nous n’avons jamais fait de choses extraordinaires pour cette famille. Simplement être là, parler avec eux, les écouter dans une relation d’égal à égal. Ce sont eux qui ont mis la plus grande énergie dans la relation mais sans jamais être envahissants. Je vois dans ce récit de vie au moins quatre éléments qui ont permis à cette famille de sortir du marasme : le désir et l’énergie d’en sortir d’une mère, désir transmis à sa fille ; le coup de pouce financier qui a pu amorcer une sortie de la déglingue ; la solidarité de quartier qui a montré à ces gens qu’ils avaient de l’importance, qu’ils occupaient une place ; des modèles auxquels ils ont pu s’identifier.
Récemment, sa mère, me prenant à témoin dans une réunion de leur famille, me dit avec fierté et un large sourire : « Nancy, elle a bien réussi ».
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...