Dans un contexte de malbouffe, de marketing santé farfelu et de précarité croissante, la place d’un accompagnement diététique sérieux en première ligne de soins est incontestable.
Les domaines d’activité professionnelle du diététicien sont très diversifiés et ne cessent d’évoluer. Cette formation très complète mène entre autre à travailler en milieu hospitalier, dans les organismes d’éducation à la santé, dans l’industrie agro-alimentaire, dans les organismes de contrôles de la chaîne alimentaire, dans les cuisines de collectivités et également en cabinet privé pour les consultations individuelles ou de groupe…
Diplômé en 1992 de l’Institut Paul Lambin à Bruxelles, je réalise des informations dans des écoles maternelles et primaires, des suivis de sportifs de haut niveau, je consulte dans une académie de basket et un club de football de deuxième provinciale (dont plus de 500 jeunes). Toutes ces activités me permettent de diversifier grandement la pratique de mon métier. Et je travaille aussi depuis 1995 à la maison médicale La Glaise à Marchienne-Docherie (dans l’entité de Charleroi). Ma fonction principale est d’y recevoir des patients en consultations privées et d’y donner chaque trimestre une information de groupe sur le petit déjeuner et le diabète de type II, ainsi que, depuis peu, un atelier sur le sevrage tabagique. Avec un panel d’environ trois mille patients, à ce jour, je consulte tous les mardis (environ 9 à 10 heures de consultations) en ayant débuté par quelques heures par mois… une belle progression.
La première chose est de savoir si le patient vient spontanément ou s’il vient suite à une prescription médicale : la différence est essentielle si la demande concerne la diététique de base ou s’il s’agit d’une diétothérapie. En effet, on n’aborde pas de la même façon une personne voulant perdre du poids pour une amélioration esthétique, une personne grand fumeur, un usager de l’alcool ou un patient atteint d’insuffisance cardiaque et d’hypercholestérolémie.
Après avoir accueilli le patient et lui ayant expliqué le déroulement de l’entretien, l’intimité et la confidentialité de celui-ci, une phase de diagnostic s’en suit.
Des données générales, tant administratives que socioprofessionnelles sont déterminées dans un climat serein et de confiance. Il est primordial d’instaurer un dialogue d’échange positif a n de se donner les meilleures chances de réussite. Il est de mon devoir d’apprendre à écouter avant de conseiller. Suivent des données cliniques (âge, poids, taille, indice de masse corporelle, historique du poids, lecture de la biologie sanguine, existence de troubles digestifs, existence de trouble du comportement alimentaire, antécédents médicaux et diététiques).
Ensuite, des données sur les conditions de vie (composition de ménage, univers socioculturel et religieux, évaluation du niveau de vie, évaluation de l’activité physique, évaluation de la consommation tabagique et/ou de drogues, évaluation de la consommation de boissons alcoolisées, appréciation du niveau de compréhension, estimation des capacités et compétences culinaires).
Tous ces paramètres permettront la mise en oeuvre d’un traitement nutritionnel adapté en fonction de la prescription médicale et /ou de la demande spontanée du patient.
Une plani cation d’objectifs à cours, moyens et longs termes liés à une évaluation de la motivation est essentielle pour se lancer dans un travail en profondeur et en durée.
L’objectif ultime est que le patient devienne son propre gestionnaire et le spécialiste de son alimentation.
Une anamnèse diététique complète et détaillée est également effectuée lors du premier entretien. Cette anamnèse permettra d’évaluer, tant au niveau quantitatif qu’au niveau qualitatif, le mode alimentaire du patient. L’élaboration du traitement nutritionnel adapté découle de toutes ces données et se fait en parallélisme avec les désidératas du patient. Il est bien plus aisé de faire passer un message au travers d’un programme souple et évolutif qu’au travers d’un régime strict et draconien, d’où l’élaboration d’une stratégie pour aboutir aux actions réalisables par le patient.
Cette consultation initiale dure environ une heure, les consultations de suivis durent quant à elles environ de vingt à trente minutes. L’évaluation des résultats obtenus se fait par l’intermédiaire d’une mesure des paramètres corporels, par l’interprétation du carnet alimentaire ainsi que par l’évaluation des résultats, de la motivation et de la satisfaction du patient.
La consultation finale consiste en un bilan nutritionnel suite à l’accomplissement de l’objectif. Cette consultation se déroule en quatre étapes sur un an, une par saison : nous ne mangeons pas de la même façon en hiver qu’en été.
Chaque consultation, chaque nouveau dossier est un dé permanent qui me tient particulièrement à coeur.
Les habitudes alimentaires de notre population montrent qu’elle mange trop gras (sauces, fritures…), trop sucré, trop salé, qu’elle consomme trop peu de fruits et de légumes et qu’elle est souvent trop sédentaire. Lié à cela un problème de tabagisme accru et souvent une consommation de boissons alcoolisées trop importante. Sur base de ces constatations, je pense que la fonction de diététicien fait incontestablement partie intégrante des soins de première ligne tant au niveau préventif que curatif.
Deux fois par an, une évaluation pluridisciplinaire est effectuée au sein de la maison médicale avec les médecins généralistes et moi-même permettant de coordonner les actions spécifiques du diététicien en fonction des résultats attendus quant au suivi des patients.
Trimestriellement, une animation nutritionnelle est organisée dans la salle d’attente après un test d’indice glycémique. Cette animation comprend une explication du diabète de type II par les infirmières, les médecins généralistes et moi-même. Suit un dialogue ouvert par le biais d’un questions-réponses sur le petit déjeuner et puis sur l’alimentation en général, tout cela se déroulant autour d’un petit déjeuner convivial.
Depuis peu, en collaboration avec les médecins généralistes, je participe également à un atelier traitant du sevrage tabagique en y apportant le concours d’une information nutritionnelle adaptée.
Des consultations à domicile pour un diététicien, ce n’est pas une pratique courante hormis des cas de force majeure tel que des personnes à mobilité réduite ou malvoyantes. J’effectue en fait ces déplacements dans un tout autre objectif : pouvoir interagir en conditions réelles, c’est-à-dire comprendre dans quelle mesure le mode alimentaire interfère avec le mode de vie (matériel de cuisine à disposition, gestion des achats et des réserves de denrées alimentaires, connaissances culinaires, organisation des repas, …). C’est effectivement entrer dans l’intimité pour pouvoir mieux agir tout en créant un climat de confiance. La motivation du patient s’en ressent au fil des entretiens. C’est une démarche innovante avec de belles perspectives d’avenir (prise en charge familiale de groupe, cours de cuisine,…).
La pratique de la diététique peut paraître ingrate mais certaines réussites effacent toutes les déceptions. Mon premier patient... mon père, une belle réussite, une perte de 17kg et une réduction significative de son hypercholestérolémie. Ma grande fierté... un patient de 160kg souffrant de diabète de type II : en deux ans il a perdu 50 % de son poids de départ, soit une fulgurante réduction de 80kg avec des glycémies stabilisées. Il m’a remercié d’avoir métamorphosé sa qualité de vie… avec une bonne bouteille de vin. Ma première énigme : une patiente n’arrivait plus à perdre de poids malgré un programme adapté et bien suivi, je lui ai conseillé de faire un test de grossesse qui a révélé qu’elle était enceinte de trois mois ! Mon combat le plus difficile fut mené avec une adolescente anorexique. Maintenant elle est maman et bien proportionnée... il est souvent plus difficile de bien grossir que de bien réduire son poids. Et encore tellement d’autres...
Malgré tout, des inquiétudes subsistent face aux défis qui se posent. L’accessibilité demeure problématique quant au remboursement des consultations diététiques, il y a trop peu de prise en charge par les mutuelles. Cela est vrai pour tout un chacun mais le problème est décuplé face à la gestion inexistante de l’alimentation par rapport au problème de précarité d’une partie de notre population.
Il faut sans cesse maintenir une vigilance nutritionnelle face aux « nouveaux aliments » : aliments enrichis, aliments lights ou allégés, compléments alimentaires, substituts de repas, denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière, vendus aussi bien en magasins « bio », « diététiques », « naturels », grandes surfaces, parapharmacies, via internet… Sans oublier ces régimes alimentaires farfelus au succès porté par l’obsession de minceur mais avec des risques « santé » élevés.
Le marketing est un adversaire redoutable, la publicité télévisée de l’industrie agroalimentaire visant les enfants est de plus en plus alarmante.
Le mode de vie actuel pose aussi des problèmes toujours plus difficiles, que ce soit en termes de sédentarité de plus en plus importante de notre population, d’automédication en plein essor par le biais d’internet.
Beaucoup reste à faire…
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...