Dans son tableau de bord annuel, le service études de la Fédération des maisons médicales analyse les données relatives à la vaccination contre la grippe. Ce geste simple de prévention est particulièrement utile chez les patients à risque de complications graves en raison de leur âge ou de pathologies chroniques.
Cinquante-huit équipes en Wallonie et à Bruxelles nous ont envoyé des données de santé, ce qui représente un peu plus de 125 000 patients dont près de 10 700 âgés de 65 ans et plus (chiffres au 31 décembre 2017). Ces derniers constituent un groupe-cible, car plus de 95% des décès attribuables à la grippe surviennent dans cette tranche d’âge.
Le tableau de bord montre que le taux de vaccination chez les 65+ est de 52,3%. Il est nettement plus élevé que chez les plus jeunes (15,1% pour les 50-64 ans, qui bénéficient pourtant aussi du remboursement du vaccin) et, au sein des 65+, la couverture augmente de façon continue jusqu’à 80 ans. Le tableau de bord relève également une meilleure vaccination des 65+ qui sont diabétiques (60,5%), qui ont un antécédent d’infarctus du myocarde (64,6%) ou qui présentent un facteur de risque comme l’obésité (58,6%).
Paradoxalement, dans ses dernières recommandations, le Conseil supérieur de la santé ne fait pas des fumeurs un groupe à vacciner prioritairement, tout en mentionnant qu’ils ont un risque accru de complications [1]. La littérature confirme ce risque et mentionne aussi parfois un taux plus faible de vaccination au sein des fumeurs [2]. Avec seulement 48,9% de fumeurs vaccinés, nous observons dans notre tableau de bord cette même réduction de couverture vaccinale parmi les 65+.
On constate aussi que seulement 29,5% des plus 65+ non en ordre de mutuelle sont vaccinés. Pourtant, ils sont particulièrement fragiles en termes de risque de complications, en raison notamment d’une faible accessibilité aux soins.
Tableau de bord
Il est construit à partir de données extraites des dossiers santé informatisés (DSI) des patients. Leur analyse permet de visualiser les caractéristiques de la patientèle (âge, sexe, BIM…), de sa santé (diabète, hypertension…), de facteurs de risques (tabagisme, surpoids…) et de certaines activités de prévention (vaccination, dépistage…). Les équipes participantes reçoivent un rapport décrivant leurs résultats ainsi que des données de comparaison. En outre, un séminaire annuel ouvert aux personnes intéressées présente des sujets particuliers sélectionnés par le service études et recherches en charge du projet.
Le tableau de bord de 2008 montrait un taux de vaccination de 66% pour les 65+. Nous avons donc perdu près de 14% en dix ans (11% si on ne garde que les maisons médicales qui ont participé aux récoltes de données de 2008 et 2018). Solidaris [3] note, au sein des affiliés des Mutualités socialistes, une chute identique sur la même période en Wallonie et à Bruxelles et, dans une moindre mesure, en Flandre. L’épidémie de grippe H1N1 de 2009 et la défiance, tant des patients que des soignants, qui se développe depuis lors vis-à-vis des programmes de vaccination en sont probablement la cause.
Le tableau de bord met en avant une puissante corrélation, indépendante de l’âge, entre le nombre de contacts annuels avec un médecin généraliste et la probabilité qu’a son patient d’être vacciné : 38% des 65+ qui voient leur médecin traitant moins de trois fois par an sont vaccinés. Le taux grimpe à 58% s’ils le voient plus fréquemment. De son côté, Solidaris a relevé une corrélation forte entre le taux de vaccination et le fait d’avoir ouvert un Dossier médical global auprès de son médecin traitant ou d’avoir le statut de malade chronique. Le tableau de bord permet de supposer que la fréquence des contacts entre le médecin traitant et son patient est l’élément déterminant pour expliquer cette corrélation.
La comparaison des taux de vaccination au sein des maisons médicales participant au tableau de bord montre de grandes disparités, que n’expliquent ni la taille ni l’ancienneté des structures. On observe que les équipes performantes pour la vaccination contre la grippe le sont également pour la vaccination contre le tétanos ou pour le dépistage des cancers du sein, du col ou du côlon. Cela traduit très probablement des stratégies mises en place : l’expérience de terrain permet de confirmer l’importance de l’implication du pôle infirmier, du pôle accueil et du pôle administratif dans leur réussite.
La Fédération des maisons médicales développe des programmes de soutien aux activités de prévention menées par les équipes pluridisciplinaires auprès des patients. Concernant la vaccination contre la grippe, depuis plus de vingt ans, nous avons élaboré des outils et activités de support à partir des observations sur le terrain. Ainsi, avant l’existence du tableau de bord, les équipes étaient soutenues pour identifier les groupes-cibles et invitées à renvoyer annuellement leurs résultats de vaccination. Des séminaires d’échanges d’expériences et de formation ont permis d’élaborer progressivement les étapes et les paramètres d’une campagne au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Aujourd’hui, les outils mis à disposition encouragent une démarche qualité. L’organisation d’une campagne y est valorisée comme un moyen pour développer une démarche systématique, concertée et planifiée. La répartition des rôles y tient une place importante, ainsi qu’une information des membres de l’équipe et des patients. L’évaluation à chacune des étapes doit permettre les ajustements nécessaires. Une démarche similaire peut être reproduite pour d’autres programmes de prévention : désignation d’un coordinateur, définition des objectifs de campagne, répartition des tâches, briefing de l’équipe, communication avec les patients, questions particulières et préparation des évaluations.
En matière de santé publique, il serait opportun d’envisager de faire des (gros) fumeurs un groupe à vacciner prioritairement ; de faciliter l’accès au vaccin (par exemple en le délivrant sans prescription aux plus de 50 ans) et à la vaccination (par exemple via des permanences dans des dispensaires infirmiers) aux patients qui consultent rarement leur médecin traitant.Un suivi régulier du taux de vaccination devrait être mis en place au niveau fédéral et des stratégies élaborées si la chute du taux de vaccination se confirme.
Au niveau de l’organisation au sein des équipes, si l’implication du médecin généraliste est primordiale pour expliquer au patient l’intérêt de la vaccination, la mise en place d’une stratégie pluridisciplinaire est favorable à l’obtention d’une couverture vaccinale élevée au sein des différents groupes à risque. Un suivi du taux de vaccination des fumeurs, en cours et en fin de campagne, devrait permettre de diminuer les risques pour ce groupe plus vulnérable. De même, afin de réduire les inégalités sociales de santé, les patients qui ne sont pas en ordre de mutuelle doivent faire l’objet d’un meilleur suivi de la vaccination. Outre l’information des patients, il ne faut pas négliger celle des membres de l’équipe, notamment sur les différents groupes à risque et les raisons de les vacciner. Enfin, les compétences en termes d’évaluation doivent permettre aux équipes d’ajuster au mieux l’organisation de leur campagne de vaccination.
[2] Cleveland Clinic Journal of Medicine, vol 22, n°10, octobre 2005.
[3] Analyse du taux de vaccination de la grippe des plus de 65 ans, Stat Info Solidaris.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...