L’émergence des maisons médicales est multiple et l’initiative ne vient plus seulement des professionnels de la santé. Les déterminants non médicaux de la santé sont passés par là... Qui sont les moteurs de ces initiatives ? Petit focus de France Defrenne sur les maisons médicales soutenues ou lancées par des tiers, notamment par des pouvoirs publics locaux ou des CPAS.
Si l’émergence des maisons médicales est le plus souvent le fait de personnes issues du domaine médical qui souhaitent travailler ensemble, ce n’est pas toujours le cas. Nous avons par exemple vu par le passé des maisons médicales qui ont émergé dans le giron des mutualités : deux structures sont nées dans les années 90 dans la province du Luxembourg à l’initiative de la Fédération luxembourgeoise des mutualités socialistes [1].
Première implantation à Arlon en 1994. Une structure qui s’est autonomisée pour devenir la maison médicale Porte Sud. Non sans difficultés d’ailleurs, car les différences de fonctionnement en termes de remboursement des prestations ont créé la confusion chez les patients.
La maison médicale de la mutualité se trouvait dans les locaux de la mutualité. Les patients ne faisaient pas de différence entre les deux structures. La maison médicale fonctionnait à l’acte et donc lorsque le patient sortait de chez le médecin, il se faisait rembourser directement par la mutualité et lorsqu’il allait voir un médecin en dehors de la structure hébergée par la mutualité, cette dernière remboursait également le patient. Lorsque la maison médicale de la mutualité s’est autonomisée pour devenir la maison médicale Portes Sud, elle est passée au forfait et les consultations hors de la maison médicale ne furent plus remboursées. Le passage de l’acte au forfait a dès lors engendré une vague massive de désinscriptions et ralentit la relance de la maison médicale Portes Sud en 1999.
Seconde structure, à Marche-en-Famenne, en 1999. Celle-ci a rencontré, comme le rapporte un journaliste du Soir [2], l’opposition des médecins généralistes du coin qui y ont vu une concurrence déloyale. Le problème résidait dans le fait que la structure proposait une médecine générale « gratuite ». Il suffisait en effet de s’abonner et d’être affilié à la mutualité socialiste pour bénéficier de la gratuité des prestations. Un droit d’inscription annuel était par contre demandé aux personnes non affiliées. La maison médicale était en défaut par rapport à la législation européenne en matière de concurrence. Il y avait aussi un gros problème au niveau du recrutement des médecins généralistes en termes de fiabilité. Eléments qui ont contraint la structure à fermer ses portes au bout de quelques mois.
Plus récemment, des projets citoyens à l’initiative de collectifs voient le jour. Quelques exemples. Visa santé. C’est le nom donné à un groupe de citoyens de Woluwe. Le projet est soutenu par le Centre d’action sociale globale qui accueille le groupe dans ses locaux. La philosophie de cette structure, nous confie le groupe, « sera déterminée par les personnes qui la fréquenteront ; le projet sera basé sur le respect de l’autre, l’ouverture à tous et la tolérance ; il sera porté par une équipe fonctionnant en autogestion et travaillant en interaction avec le réseau ». Un beau projet, en gestation. Nous y reviendrons peut-être lors d’un prochain cahier de Santé conjuguée.
L’asbl les Amis d’Aladin (née en 1997), maison d’enfants à Schaerbeek réunit les parents qui leur confient leurs enfants, tous les 15 jours, autour de thèmes comme la santé, l’éducation, l’interculturalité. Un lieu de rencontres et d’échanges où l’on peut parler de ses difficultés, de ses inquiétudes. Un lieu de sensibilisation et d’information. Un article de Réseau-nances, la revue de Culture et Développement évoquait récemment la demande des Amis d’Aladin de mettre en place une maison médicale dans leur quartier afin d’en améliorer le cadre de vie, de renouer les liens entre les familles ou encore de soutenir les familles en situation de précarité ; le bureau d’étude du contrat de quartier a fait le même constat de la nécessité de mettre en place une telle structure dans la commune.
Ces dernières années, donc, de nouvelles formes de soutiens et d’initiatives apparaissent. L’évolution des demandes au service d’Aide au développement et d’Appui à la gestion de la Fédération des maisons médicales montre en effet qu’il y a une diversification des projets. Depuis le milieu des années 2000, l’intérêt des CPAS et des communes pour les maisons médicales est réel et va crescendo. Qu’il prenne la forme de l’initiative, du soutien ou du simple coup de pouce.
Pour rappel, dans chaque commune belge, il existe un centre public d’action sociale (CPAS). Soit 589 centres au total. Les CPAS sont des organismes publics qui ont pour mission « de permettre [à chacun] d’être en mesure de mener une existence conforme à la dignité humaine ». Ils sont chargés de dispenser une aide sociale en faveur de certaines personnes. Mais aussi, de mettre en place d’autres mesures spécifiques d’accompagnement et de soutien, d’ordre psychologique, social, financier, médical, administratif, en vue de permettre à chacun de se réinsérer dans une vie sociale active. L’aide sociale s’adresse principalement à toute personne exclue du bénéfice des droits de la sécurité sociale.
La commune, quant à elle, est le premier échelon de la démocratie politique, ses compétences couvrent tout ce qui relève de l’« intérêt communal ». Un conseil communal, composé de représentants élus directement par les citoyens de la localité est chargé de débattre de questions liées spécifiquement à l’intérêt de la commune. C’est l’entité politique la plus proche du citoyen et donc de ses préoccupations. Son champ d’action est assez large. Elle est chargée d’assurer, entre autres, la cohésion sociale et elle traite de dossiers relatifs à la vie dans la cité (environnement, sport, jeunesse, aînés, logements sociaux…).
On peut aisément comprendre le lien qui unit l’idéal des maisons médicales (la prise en charge globale des patients) et les compétences des communes et des CPAS, chargés d’agir sur certains déterminants de la santé. Il existe bien un objectif commun de bien-être des personnes.
En outre, les CPAS, comme les communes, connaissent leur population et peuvent détecter leurs besoins et les lacunes éventuelles en matière d’offre et d’accessibilité des soins.
Quels sont les exemples concrets de maisons médicales dont la création est liée à ces structures publiques locales ?
C’est en 2005 qu’est née l’étoile, maison médicale située à Frameries. C’est le CPAS de cette région particulièrement défavorisée qui en a été l’instigateur. En 2003, le CPAS a été désigné pour prendre en charge la politique locale en matière de santé. Avec un taux de chômage de 20 % plus élevé que le taux moyen de la région et le vieillissement de la population, l’émergence d’une structure de soins adaptée s’imposait. La maison médicale est hébergée dans des locaux appartenant au CPAS mais en dehors des bureaux de celui-ci. La maison médicale n’est pas une asbl. C’est le CPAS qui en est le pouvoir organisateur. C’est l’employeur des travailleurs de la maison médicale.
Autre exemple à Athus. Dans quelques années, la moitié des médecins généralistes de cette région située à quelques kilomètres du Grand- Duché de Luxembourg auront probablement arrêté de travailler, sans être remplacés. On ne se bouscule pas dans le coin... A la demande du président et de la secrétaire du CPAS, le service d’Aide au développement et d’Appui à la gestion de la Fédération des maisons médicales accompagne depuis 2010 ce projet de créer une maison médicale pour améliorer l’accessibilité financière aux soins de santé de première ligne et développer davantage les projets de promotion de la santé. L’idée étant aussi d’aller à l’encontre d’une tendance à la surproduction d’actes de la part de certains médecins généralistes, et de la surconsommation de la part de certains patients. La structure, appelée maison de santé d’Athus est déjà installée dans un bâtiment appartenant au CPAS et ce sont des travailleurs du CPAS qui assurent l’accueil et la prise de rendez-vous. Toutefois il n’a pas été possible jusqu’à présent de constituer de manière durable un secteur médical au sein de cette structure.
Le fait qu’un projet soit associé à un CPAS peut entrainer quelques difficultés. Comment en effet garantir l’autonomie de l’équipe dans ses prises de décision ? Un système autogestionnaire et le recrutement de personnes dans le cadre d’une relation hiérarchique par rapport au pouvoir organisateur du CPAS sont-ils compatibles ? Une accueillante en maison médicale fait partie de l’équipe. Qu’en est-il si l’accueil est assuré par le CPAS ?
Les Balances a émergé en 2011. Cette maison médicale a bénéficié d’un soutien financier du CPAS de Namur, via l’ouverture d’une ligne de crédit.
En 2010, l’idée d’une maison médicale à Libin est née (voir l’article « Se regrouper ? Et plus si affinité... » en page 70 de ce dossier). Elle est le fait de cinq médecins généralistes qui ont décidé de se regrouper, notamment en réponse à la potentielle pénurie de médecins dans la région. Le groupe de médecins a ensuite été rejoint par des kinésithérapeutes et des infirmières. Dans ce cas-ci, c’est la commune qui a soutenu le projet en lui achetant un bâtiment. Un grand espace qui a été aménagé pour répondre aux besoins d’une équipe de soignants pluridisciplinaire. Un bail a été signé entre l’équipe et la commune. Autre collaboration, dans la même veine : la maison médicale de Dampremy a ouvert ses portes en février 2013 grâce à la mise à disposition par la commune d’un bâtiment existant et inoccupé qui lui est maintenant loué.
Cinq exemples, plusieurs formules. Le CPAS initie, soutient par une aide financière. La commune met un bâtiment à disposition. Dans tous les cas, les pouvoirs publics sont et resteront des partenaires à l’avenir. Reste à savoir comment entretenir ces relations entre sphères publique et privée : comment poursuivre le fonctionnement autogestionnaire des maisons médicales dans ce cadre ? Comment créer des conditions de « partenariat » favorables aux deux parties ? Comment permettre un droit de regard sans qu’il y ait ingérence ?
Dans le cahier Santé conjuguée n°57 [3], Axel Hoffman nous expliquait que les maisons médicales étaient créées par des gens voulant exercer leur métier, tout en étant attachés à un certain nombre de valeurs telles que la solidarité, la justice sociale, la citoyenneté, le respect de l’altérité et l’autonomie des personnes. La base de la création des maisons médicales était une réaction au système. Un projet politique. Les contextes changent. Aujourd’hui, force est de constater que l’initiative s’est élargie, notamment à des structures publiques bien établies mais aussi à des citoyens. L’émergence des maisons médicales ne répond plus seulement à une volonté de changer le monde ; le projet politique ne semble plus constituer l’essentiel des motivations des acteurs. Ces nouvelles formes d’émergence sont une réponse à de nouveaux enjeux en termes d’offre et de besoins : pénurie, paupérisation, vieillissement de la population… Ceci dit, les projets de maisons médicales qui sont accompagnés par la Fédération sont le fruit d’une longue réflexion basée prioritairement sur un projet de société lié aux valeurs de l’accessibilité, la globalité, la solidarité et de la justice sociale. La Fédération doit donc continuer à insister auprès des équipes naissantes sur l’importance des aspects idéologiques de leur projet. Sans pour cela fermer la porte à la créativité. La Fédération des maisons médicales ne soutient pas que des maisons médicales qui se ressemblent...
[1] Deux échecs qui ont conduit l’Union nationale des mutualités socialistes à changer la direction de la Fédération luxembourgeoise des mutualités socialistes.
[2] Druez N., « Marcheen- Famenne. Maison médicale. Une médecine peu coûteuse, contestée par des généralistes », in Le Soir, 5 juillet 1999.
[3] Axel Hoffman A., « Les maisons médicales, une alternative, vue intérieur », in Santé conjuguée, juillet 2011.
n° 66 - octobre 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...