Le temps de l’attente est celui d’une rencontre. Ce que l’on en espère s’incarne dans la personne du soignant « attendu ». Rien d’étonnant à que les patients interrogés sur le temps de l’attente en viennent à dresser le tableaude la « bonne » consultation, du soignant idéal... et du « bon patient ».
« Le médecin doit être gentil. Je ne veux pas aller chez un médecin qui n’écoute pas. Ça ne va pas quand le médecin est très tendu, très serré. On ne sent pas à l’aise. Un médecin doit entendre. Quand le médecin a le sourire, qu’il comprend ce qu’on dit, la maladie descend. On ne veut pas que le médecin ajoute à nos problèmes. Il faut qu’on sorte plus relâché, ça aide à guérir. Chez mon médecin traitant, j’ai confiance. Il me connaît. Il sait que ce que je lui demande, c’est vrai ».
Sur le mode revendicatif, voici un bon aperçu des attentes des patients de la maison médicale à l’égard de leur médecin. La plupart d’entre eux expriment ces attentes avec des termes qui traduisent plus l’espoir de trouver ces qualités chez son médecin que l’exigence de les rencontrer. Beaucoup affirment qu’en venant à Norman Bethune, ce sont bien le ou les médecins qui leur conviennent qui les soignent. « Une bonne consultation, c’est une consultation avec le Dr X.! ».
Dans la constellation des avis recueillis, j’ai regroupé en quelques catégories les définitions du bon médecin, donc pour beaucoup de « mon médecin ». Dans le développement, je les énumère dans l’ordre de l’importance qu’ils prennent dans les interviews, à la fois en termes de nombre de personnes qui sont de cet avis et en termes d’intensité avec laquelle ils énoncent leurs opinions. Certains des avis recueillis définissent plutôt ce qu’est une « bonne consultation », mais c’est toujours la personne du médecin qui est en jeu dans ces propos. D’autre part, une consultation se vit au minimum à deux. On trouve donc, en parallèle des qualités attendues chez les médecins, de nombreuses allusions aux attitudes que le patient doit adopter pour que la relation soit optimale.
La dimension « temps », continuellement insufflée dans les interviews comme base de l’investigation, donne aux résultats de cette enquête une coloration particulière. Même lorsque les paroles des patients n’y font pas explicitement référence, il ne faut pas oublier ce fond de lecture : avec un autre arrière-fond,les propos recueillis auraient certainement pris d’autres directions.
« La qualité du Dr X., c’est l’écoute. Certains médecins sont plus à poser des questions et à attendre vite une réponse pour vite nous donner une ordonnance. Alors que ce que le patient recherche, c’est plutôt une écoute, pas une ordonnance. Il y a des gens qui sont aptes à se sentir mieux dès qu’ils ont un écho, qu’ils ressentent qu’ils ont une écoute. Moi personnellement, quand j’ai une écoute, ça me soulage déjà d’un bon poids de ma conscience, de mon stress, tandis que quand je n’ai pas ça, cet écho, même que je reçois mon ordonnance, je me sens comme frustré, comme si j’avais pas atteint mon but ».
« J’ai mon temps pour parler, pour demander des choses que je ne comprends pas. Il m’explique aisément. Une bonne consultation, c’est l’écoute. Ça soulage, avant de donner des médicaments, ça soulage ».
« Parfois, ça va trop vite, ça arrive qu’on n’a pas assez de temps pour parler et dire tout ce qu’on veut ».
« Une consultation est bonne quand le médecin est très attentif à ce qu’on dit ».
Le thème de l’écoute est omniprésent dans les interviews. La majorité des patients apprécient le temps que leur accorde le médecin pour dire exactement ce qu’ils ont à dire. Ils se sentent limités lorsqu’ils doivent se tenir aux questions du médecin et entendent s’exprimer au-delà des considérations strictement médicales. Cette écoute et la possibilité de discuter avec le médecin sont en elles-mêmes thérapeutiques et plusieurs personnes comparent leur médecin à une espèce de psychologue. « Il est à l’écoute. Il ne fait pas semblant d’écouter. Et pouvoir parler, ça fait du bien ». « En même temps, quand je parle avec le médecin, c’est comme un genre de psychologue, vous voyez ? Ça aide parce qu’on a besoin de parler, ça décompresse. Ça aide beaucoup ». « Le besoin d’aller chez le médecin ? L’envie de parler : à mon avis, c’est 90 %. C’est parler de tout, de rien, des problèmes, de ses misères, de ses joies. La plupart des gens sont seuls. La plupart des vieux sont abandonnés. Alors ces gens-là ont besoin de parler, de n’importe quoi ».
D’une manière plus terre à terre, l’écoute du médecin est importante pour qu’il comprenne bien ce dont souffre le patient et les particularités de son vécu de la maladie. « Ce médecin n’avait pas écouté ce que je lui avais dit. Je ne pouvais me fier à lui. ». « Parler est important. On aime bien savoir si on est bien compris ». « Il faut qu’il comprenne bien ce que je ressens ».
Nous verrons aussi plus loin que cette écoute renvoie au désir du patient d’être reconnu comme une personne à respecter, comme une personne ayant un savoir sur sa santé et sa maladie. Si l’on est écouté, on n’est pas un objet dans les mains du médecin, mais bien une personne active dans la relation, une personne qui détient une part de pouvoir dans cette relation.
Le Dr X. sait que l’attente majeure de ses patients, c’est de pouvoir parler. Dans le chapitre précédant, j’ai déjà cité un extrait de son interview où il dit qu’en fait, ce temps d’écoute n’est, le plus souvent, pas nécessaire à son diagnostic. Ce temps a une autre fonction. « Le temps de consultation, c’est le temps où les gens peuvent avoir dit tout ce qu’ils veulent dire. Ils énumèrent les parties l’une après l’autre : et les pieds, et la tête, et les yeux, et le coeur... Il faut pouvoir laisser les gens dire tout ce qu’ils ont à dire, avec les choses intéressantes et les autres... Ils ont l’impression de pouvoir avoir tout dit. Après, c’est à moi de structurer le temps de la consultation mais au début, c’est eux qui l’indiquent de par leurs expressions. Je leur pose des questions, pour susciter la description des symptômes, mais je n’interromps pas, dans la mesure du possible, le flot de ce qu’ils veulent dire spontanément. Je pense que l’essentiel de la consultation, c’est le temps où moi je ne parle pas. Pour eux, c’est l’inverse évidemment : c’est le temps où je vais dire vous avez ça, il faut faire ça. Donc, le rapport au temps est tout à fait inversé. Le temps est toujours relatif entre ma propre perception et celle du patient. Le temps est toujours relationnel ».
La Dr Z. dénonce l’absence de communication et de liens sociaux positifs qui font parfois du médecin le seul endroit où il est possible de parler. « L’espace de la parole est de plus en plus limité, on ne parle pas à ses voisins, on ne connaît plus son épicier, on va dans les grandes surfaces… Les gens trouvent des échappatoires et le rôle du médecin devient celui-là, celui de pouvoir parler et dire des choses qu’on ne dit pas ailleurs. Certaines jeunes femmes ne parlent pas à la maison. Elles vivent parfois une vie de couple confrontée à l’absence de paroles, d’échange, elles viennent chez nous pour parler, sans nécessairement le savoir. Il faut tout de même que ce besoin soit très fort chez les uns et les autres... Et c’est sans doute quand elles ont moins de possibilités d’activités extra-familiales, quand elles n’ont pas d’activités professionnelles, quand les rencontres sociales sont très limitées… Dans le contexte de précarisation sociale que l’on vit ici, le lien social est très dilué et cela amoindrit encore les possibilités de communication. Bien qu’on mette toujours en avant cette idée d’une communauté marocaine très repliée sur elle-même, mais qui entretient un lien social fort et des réseaux de solidarité. Ils existent, mais ils ne compensent pas, malheureusement, ce déficit de paroles et ce rôle nous échoit. À tort ».
Le Dr X. aborde aussi le temps d’expression dans le cadre spécifique des consultations des usagers de drogue. La parole joue ici un rôle plus constructeur que celui décrit par les patients, y compris les usagers de drogue, qui ont plus l’impression de déposer quelque chose dans les mains du médecin que de poser des jalons pour une nouvelle vie. « C’est très difficile de faire comprendre aux gens que le temps du traitement, c’est aussi le temps de l’accompagnement. Au début du traitement, je fais venir les usagers de drogue toutes les semaines. Ils ne sont pas contents, parce que je pourrais leur prescrire la méthadone pour un mois. Mais la méthadone, ce n’est pas le traitement. ’Tu vas devoir revenir chaque semaine un peu causer avec moi, pour faire connaissance, pour voir un peu comment tu vis, comment tu peux devenir quelqu’un qui vit sans la drogue. On peut en parler tranquillement. Je ne suis pas un flic, je n’ai aucune autorité, ici tu peux pour une fois en parler sans tricher, trouver la clarté dans des idées qui ne sont pas claires.’ C’est plus compliqué que cela évidemment. Le temps du traitement, c’est le temps où les gens peuvent se construire une nouvelle vie, sans la drogue. La méthadone, c’est le côté physique, mais c’est aussi un point d’accrochage. En étant bien conscient de n’être pas un psychothérapeute, je peux offrir cet accompagnement que je conçois comme une espèce de socle sur lequel on peut mettre le pied pour essayer d’avancer (par exemple, pour reprendre pied dans le social ou pour en arriver à la volonté de voir un « vrai » psy). Ce sont des traitements qui peuvent durer très longtemps. Je dis toujours aux gens qu’ils arrêtent quand ils veulent. La gestion du temps est laissée ici à leur initiative. J’interviens seulement quand je trouve que c’est un peu rapide ou si ça traîne. Mais certains paniquent quand je leur dis qu’il faut envisager d’arrêter petit à petit ».
« Le médecin, il ne peut pas faire dans les généralités, c’est du cas par cas. Avant tout, le médecin, c’est une relation humaine, avant tout il doit écouter le patient, c’est la première chose qu’il fait, il ne peut pas faire à la tête du client ». La demande d’écoute s’imbrique dans une attente plus large, celle d’une relation qui se construit au fur et à mesure des consultations. Le temps est ici très important : la longueur des consultations est bien sûr invoquée mais c’est surtout le nombre de mois ou d’années durant lequel on vient chez le même médecin qui est le témoin de cette relation, qui doit être une relation qui dure. « Ça fait loooonnnngtemps chez moi le médecin de moi ».
Cette longueur du temps est inscrite dans le dossier. Plus le dossier est gros, plus il est « vieux », mieux le médecin vous connaît et mieux il pourra vous soigner. « Vous pouvez voir mon dossier, il est comme ça ! ». « Depuis mes 12-13 ans j’étais avec elle, pendant des années elle avait pris en charge mon dossier ». Et, pour un certain nombre, le dossier est vraiment au centre de cette connaissance. « Il connaît bien mon cas, il a mon dossier. Par exemple, quand je vais faire une prise de sang chez le spécialiste, et bien le dossier, le médecin ici a le double. Les résultats et tout ça, pas toute ma vie privée, hein, mais il a tout ». « C’est difficile de soigner quelqu’un sans dossier ». « Il comprend parce qu’il a un dossier, il sait tout mon problème, ma maladie comme ça ». « Le docteur sait ce que j’ai. Il me connaît alors il ne doit pas toujours tout recommencer. Ce n’est pas toujours à visiter ».
Mais la relation dépasse de beaucoup le cadre du dossier. « Ici, ils connaissent la personne, ils connaissent tes parents, la famille... Comme ils nous voient souvent, si on a un rhume, une angine, on vient ici et comme ils nous connaissent, je trouve que ça marche mieux ». « Si tu pars chez un autre, tu dois tout donner de nouveau pour le dossier. Tu racontes ta vie de nouveau. Qu’est-ce qui se passe, y’a ça, y’a ça… C’est pas comme ton médecin, il a l’habitude, il connaît ce qui se passe chez toi ».
Une phrase toute simple revient tout le temps et exprime cette « remise de soi » aux mains de quelqu’un : « Mon médecin connaît tout ». Ainsi, beaucoup de patients revendiquent d’être une personne unique pour le médecin, et ils sont rassurés parce que leur médecin les connaît. Il est important qu’il connaisse leur histoire médicale mais aussi leur vie, leur famille. « Vous allez chez un médecin que vous connaissez et qui vous connaît, parce que la médecine, c’est toujours personnel ». « Il connaît mes enfants, mes parents, il connaît toute ma vie ». Par-là, ils expriment leur confiance et confèrent une responsabilité importante au médecin. « Parce qu’on met notre vie dans leurs mains ». Cette confiance, parfois impressionnante, est généralement assortie de la demande d’une relation forte et chaleureuse : « Quand on te donne pas du temps, qu’on te regarde pas, qu’on a même pas un sourire… Chaque personne demande le Dr X. parce qu’il est serviable. C’est mon avis… Il faut être bien pour que les gens vous aiment, hein… ! Il faut sourire pour donner de l’espoir à quelqu’un. Je me sens bien chez le Dr X. Lorsque quelqu’un me donne du temps, alors je me sens bien ».
L’empathie du médecin est donc capitale. Cette bienveillance, cette faculté de se mettre à la place des autres permet au patient de ne pas se sentir coupable de sa maladie ou de ses comportements qui font obstacle à la guérison. « Le médecin doit comprendre qu’on oublie parfois nos médicaments, que ce n’est pas facile de suivre un régime. Même quand on sait que le docteur a raison, on n’arrive pas toujours à faire ce qu’il dit ». « Un bon médecin est une personne agréable, qui sait dédramatiser les choses. Il ne nous culpabilise pas. Il comprend qu’on oublie facilement de prendre ses médicaments ». « On sent tout de suite quand le médecin qui nous soigne est de mauvaise humeur ». « Le Dr Z., elle sent quand j’ai envie de demander quelque chose ».
Le Dr Z. aborde ses consultations comme une rencontre, qui se joue sur un mode non occidental et implique de s’engager de manière plus personnelle. Cela permet une connaissance plus en profondeur de sa patientèle et de ses besoins. « Pour aborder quelqu’un, dans la culture maghrébine, il faut prendre des nouvelles du conjoint, des enfants, des voisins, du pays... On sort d’une communication tout à fait efficiente pour une communication beaucoup plus humaine. Quand je suis en consultation, je salue de cette manière : ’Bonjour, depuis quand êtes-vous revenue, Monsieur est là ? Est-ce que les enfants vont bien ?’. Ça aide aussi dans notre anamnèse de voir un petit peu le motif réel de la consultation. C’est donc une anamnèse différente mais tout aussi enrichissante. Partager des références culturelles avec mes patients permet aussi de mieux décoder la plainte. ». Comme pour les patients interrogés, l’étalement de la relation dans le temps a pour elle des effets bénéfiques sur l’action qu’elle peut avoir en temps que médecin. « Au fur et à mesure des rencontres, la personne va être en confiance et donc, je vais rentrer dans sa sphère, je dirais de proximité. À ce moment-là, elle va me confier des tas de choses qui me permettront de lui proposer des pistes qui sortent du domaine strictement médical ». Elle explique notamment comment elle suggère à des patientes marocaines plus âgées, en perte de rôle social, comment elles peuvent sortir de leur solitude via des activités proposées dans diverses associations du quartier, sachant lesquelles parmi ces femmes auront un ressort suffisant pour faire le pas vers une « autre intégration ».
« C’est toujours ici qu’on a trouvé ! ». « Je trouve que le Dr X. a de bonnes idées, directement le médicament qui marche bien ». « Il n’a pas hésité, donc il a su directement quoi faire ». À la maison médicale Norman Béthune, les médecins savent, ils savent même mieux qu’ailleurs. Les propos qui précèdent montrent que c’est la relation de confiance et les qualités humaines des médecins qui font une grande part de la satisfaction des patients. C’est grâce à ces qualités qu’ils soignent et guérissent bien. Dans les paroles de certaines personnes interviewées, cette satisfaction va jusqu’à ériger le médecin qu’ils ont choisi en la seule personnes qui peut savoir comment soigner. Beaucoup expliquent qu’ils ont été mal soignés ailleurs et qu’ils ont enfin trouvé un bon lieu pour se faire soigner lorsqu’ils sont arrivés ici. « Avant, j’ai été chez un autre médecin. Ça n’allait pas, un peu de traitement mal fait, ou des médicaments qui ne vont pas ». Une femme marocaine ayant assez peu de moyens pour exprimer ses idées en français a cependant réussi à me démontrer durant plus d’une demi-heure que seul le Dr X. est capable de la soigner. Elle a passé en revue diverses de ses expériences chez d’autres médecins qui, chaque fois, ont échoué. « Y’a des médecins, tu parles, ils donnent pas bien, ça marche pas. Ils donnent pas les médicaments bons. Je sais pas moi. Quand je reviens ici, c’est calme, c’est bien. Une fois il était le muscle, j’ai été chez un autre médecin, il m’a fait les piqûres, ça marchait pas. Puis j’ai été en urgence, ça marchait pas. Cinq jours, j’ai pas dormi, j’ai pleurééé. Après mon médecin est revenu de vacances, je suis venue ici, il a donné un médicament, c’était calme ».
Ce savoir du médecin concerne les objets suivants : il sait quelle maladie on a, il sait dire quand c’est grave ou non (« Le médecin a dit c’est ça, j’ai vu qu’il n’y avait pas vraiment de gravité dans ces yeux, je m’arrête là »), il sait le moment où il faut aller chez un spécialiste, il sait « les médicaments qui marchent » pour chacune des personnes qui le consultent.
« Quand on est chez le médecin, on aime bien avoir les bons résultats, les bonnes explications et tout ça. Je dois être bien informée de ce qui se passe dans mon corps ». « Le médecin essaie de comprendre entre les lignes. Alors là, quand il essaie de vous expliquer, vous vous sentez beaucoup mieux quand il vous parle ». S’il est compétent, le médecin partage facilement son savoir avec ses patients. Il leur communique les informations qui les aideront à comprendre et à mieux se prendre en charge pour guérir. Sa parole est importante parce qu’elle vient faire la part des choses de tout ce qui se dit, dans l’entourage de chacun, à propos de la santé et de la maladie. Le médecin est celui qui tranche parce qu’il a le pouvoir de trancher et ses mots sur la maladie et la gravité de la maladie ont un effet rassurant, ils libèrent de l’anxiété et de l’impuissance à l’égard de sa maladie ou de celle d’un proche. « Les amis disent : ’Ça ne devait pas arriver, est-ce que c’est une faute grave ?’ Tandis qu’un médecin dira : ’Non, c’est déjà arrivé, ne vous inquiétez pas.’ Lui, il a déjà lu les livres, il sait ce qui peut arriver, il connaît des personnes qui ont des autres problèmes de maladie ». « Certains médecins se prennent pour le bon dieu, donc ils vont pas nous donner leurs savoirs. Moi, je veux comprendre ce que j’ai. Je me sens mieux quand je connais la vérité ». « Si le médecin prend 15-20 minutes à bien m’expliquer l’importance ou pas de la chose, alors je vais prendre en considération telle chose ou pas. Quand il nous dit : ’Il y a telle chose à soigner’, quelque part on est rassuré ». « Une bonne consultation, c’est quand on me dit exactement ce que j’ai ».
En plus du diagnostic et du traitement, le Dr X. réintroduit régulièrement la notion du temps dans l’évolution de la maladie : « Je m’arrange toujours pour dire combien de temps va durer la maladie, combien de temps il faut prendre le traitement, dans combien de temps reviendra telle fonction ». Le Dr X. dit lui-même que cette parole sur le temps se situe « à la limite » de son savoir médical, mais qu’il tient à la maintenir pour les effets qu’elle peut avoir. « Ma parole est-elle réellement médicale quand je me mets à dire le temps ? Je ne suis pas sûr. C’est une parole qui se situe à un autre niveau. Le temps dans la maladie est très difficile à intégrer. Si je fais des prédictions et que les symptômes ne suivent pas la même chronologie, c’est un peu comme une parole qui ne s’est pas accomplie. Il y a des gens qui veulent guérir tout de suite. Certains sont là tous les jours avec leur rhume, parfois très revendicateurs. Il FAUT faire quelque chose pour accélérer le temps de leur guérison... ».
Un aspect de la relation auquel les patients sont aussi très sensibles est la confiance que le médecin a dans leur parole de malade et dans la capacité qu’ils ont à se connaître et connaître ce qui est bon pour eux. Cette assurance est d’autant plus importante que beaucoup de personnes que nous avons interrogées cherchent à renforcer la confiance, souvent vacillante, qu’ils ont en eux et en leur propre savoir. « C’est quand même la mère qui sait ses enfants ! ». « A priori, on te croit, on te prend pas pour un malade imaginaire ». « Une fois, j’ai demandé un médicament pour l’estomac. Le médecin ne voulait pas le donner comme ça. Je devais faire une analyse. Mais je sais comment j’ai mal à l’estomac et j’ai déjà pris ces médicaments ». « Moi, je supporte pas les médecins qui ne coopèrent pas avec moi ».
La foi du médecin est aussi une preuve du respect que celui-ci éprouve à l’égard des personnes qu’il soigne. Ce besoin d’être respecté est rarement exprimé tel quel, mais on le sent très vivant dans les interviews, à travers des détails ou des morceaux d’histoires. Deux femmes nous ont longuement exposé leur déception à l’égard de médecins, au travers d’événements qui démontrent les enjeux de la relation. La première avait demandé au médecin une série d’ordonnances pour des médicaments dont elle aurait besoin lors de ses vacances au Maroc, pour elle et ses enfants. Celui-ci a refusé de les délivrer, la soupçonnant de vouloir les revendre au pays. L’autre a été profondément blessée parce que son médecin, qui la suivait depuis près de dix ans, ne l’a pas prévenue qu’elle quittait la maison médicale. « Il y a beaucoup de médecins qui font ça. Ils partent comme ça et laissent les patients derrière... Un jour, vous vous dites : ’Je ne me sens pas bien, je vais me faire conforter par mon médecin’. Vous arrivez et tof, il n’est plus là, c’est comme pour dire : ’Débrouillez-vous’... Il y a beaucoup de gens qui étaient déçus parce qu’on a un contact avec le médecin, on veut que le médecin nous contacte aussi quand il part ». D’autres personnes interrogées expriment les bienfaits de cette confiance du médecin en eux de manière positive. Une femme en particulier dit sa gratitude à l’égard du Dr Z. qui, à chaque consultation, la conforte dans ses tentatives d’arrêter de boire. « Je suis très très contente du DrZ. Elle me dit : ’Je sais que vous pouvez y arriver. Vous êtes quelqu’un qui réfléchit, qui a les moyens. Je sais que vous avez le courage de le faire.’ Il y a donc un renforcement. Elle a répondu à mes attentes, je ne me suis jamais sentie frustrée en sortant de là, au contraire, plutôt reboostée ! ». Ou encore, cet homme qui apprécie que le médecin le sache honnête : « Quand j’ai pas le sou, le docteur me fait crédit et, la fois d’après, je paie deux consultations d’un coup sans qu’il me le rappelle. C’est la confiance entre le docteur et moi. J’ai jamais eu de problème, j’ai jamais crié, volé. Je respecte tout le monde : on me respecte, je respecte ». On trouve aussi cette idée du donnant-donnant dans l’extrait suivant : « J’ai une réponse à toutes mes questions. Si je veux savoir quelque chose, il ne me cache rien, c’est une sorte de contrat : je ne mens pas, quoiqu’il arrive et lui me dit la vérité, même quand ce n’est pas beau à entendre ».
On pourrait résumer ce qui précède ainsi : je donne ma confiance, j’exige la confiance du médecin ; quand est-ce que je me fais confiance à moi-même ? Même si les patients ne le disent pas explicitement, il y a un rapport de pouvoir évident entre le patient et le médecin. Une partie des personnes abandonnent toute leur responsabilité au médecin, il y a soumission à la parole du docteur ; d’autres acceptent le pouvoir du médecin à certaines conditions : être écoutés, être reconnus malades, être « cru », avoir soi-même éprouvé la validité du médecin dans le temps. Ce pouvoir du médecin est aussi contrebalancé par la responsabilité individuelle que chacun se reconnaît dans la maladie et le maintien de la santé. Il y a aussi le pouvoir du milieu (plus proche ou plus lointain) sur sa santé. Qui ou quoi est coupable de la maladie ? Nous verrons dans l’article suivant comment les patients définissent la maladie et les événements qui la favorisent.
Ici, nous reprendrons encore leurs réflexions concernant les attitudes que les malades devraient adopter vis-à-vis du médecin. S’ils sont moins prolixes sur le sujet, on peut toutefois tirer des paroles recueillies un petit code de conduite du bon patient. La plupart de ces affirmations viennent de paroles isolées et ne forment donc pas des catégories d’avis significatives, si ce n’est pour la première.
• Le patient connaît le bon moment pour aller chez le médecin. « Quand j’ai mal, je cherche pas dix mille solutions. Dès que je ne sais pas quoi faire, je vais chez le médecin ». « Je suis sûr qu’il y a plein de gens qui viennent chez le médecin et qui doivent pas venir. Ils savent pas non plus comment s’occuper d’eux ou des autres personnes ». « Comme je travaille demain, je ne peux pas attendre pour voir si mon fils va guérir tout seul ».
• Le patient doit donner tous les éléments nécessaires au diagnostic du médecin. « Par contre, y’a eu une fois où je ne lui ai pas dit assez. Pourquoi est-ce qu’on ne dit pas alors qu’on sait très bien que la doctoresse ne sait pas. J’étais sujette à des cystites mais elle, elle peut pas le savoir. J’aurais dû lui dire ». • Le patient doit écouter et suivre les recommandations. « La première chose, c’est suivre les recommandations du médecin. C’est celui qui est le mieux à même de dire qu’est-ce qui est bien pour la santé ». « Il faut très bien écouter ce que dit le docteur ». • Le patient pose toutes les questions nécessaires pour bien comprendre. « On ne doit pas ressortir du cabinet avec ses questions ». • Le patient peut discuter les avis du médecin. Derrière la porte : le temps de la consultation
« Il faut écouter son corps. Si ça rentre en contradiction avec ce que le médecin a dit et ce que entre guillemets je sens dans mon corps, c’est peut-être le moment de discuter avec le médecin : ’Écoutez, vous m’avez dit ça, mais quand je fais ce que vous dites, ça va pas.’ À ce moment-là, se mettre d’accord avec le médecin. Voir si on peut réarranger des choses selon ce qu’il a recommandé ».
• Le patient peut vérifier les dires du médecin. « Je prenais toujours mes analyses pour aller voir au dictionnaire, pour voir ce que ça voulait dire ».
Sur base d’interviews réalisés conjointement par Natalie Rasson et Xavier Dubois, licencié en éducation permanente, travailleurs en santé communautaire à la maison médicale Norman Bethune.
n° 38 - octobre 2006
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...