Les maisons médicales en Belgique sont apparues comme des initiatives locales spontanées émergeant d’un terreau socio-historique commun. Mais que se passe-t-il actuellement chez nos voisins du sud ? L’organisation des soins de première ligne connait en France une mutation rapide et passionnante.
Dans les années 70, la crise de la médecine générale face au colosse hospitalier est déjà perceptible en Belgique. En France, le tempo est très différent. On assiste à trois vagues successives. La première, dans l’immédiat après-guerre est marquée par l’esprit de la résistance et la création de centres de santé orientés à gauche. Ces centres sont aujourd’hui au nombre de 1681. A cela il faut ajouter 264 centres de santé polyvalents, ceux-ci étant les seuls correspondant peu ou prou aux maisons médicales belges.
La deuxième vague, plutôt post soixante-huitarde et contemporaine de nos maisons médicales est symbolisée par le centre de santé intégré de Saint-Nazaire, porté par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM) et la Mutualité sociale agricole (MSA). Un projet qui a soulevé une opposition très dure de l’aile libérale de la profession. Au point de devoir fermer ses portes. À la même époque, le Syndicat national des médecins de groupe (SNMG) propose l’idée de « développement sanitaire » qui s’appuie sur une démarche de soins globalisés à domicile. À partir de cette expérience se construit le premier réseau de professionnels de santé libéraux : Lubersac Santé qui a élaboré le concept d’hospitalisation externe à domicile (HED). Notons aussi l’existence des groupements d’exercice fonctionnel (GEF), créés en Alsace, pluri-professionnels. Toutes ces tentatives ont éprouvé beaucoup de difficultés à se multiplier ou à sortir de leur région d’origine. Conséquence : pas de continuum entre ces expériences et les suivantes, qui émergeront dans les années 2000.
La troisième vague est caractérisée par l’émergence des maisons de santé, il y a cinq ou six ans, dans le contexte de raréfaction de l’offre médicale, voire d’une crainte de désertification dans certaines régions (voir graphique), et d’une modification de l’image de la profession : les médecins souhaitent de plus en plus sortir de l’isolement et commencent à se regrouper. Il y a actuellement plus de 400 maisons de santé, ce qui représente à peu près 5 % de l’offre. Leur croissance est rapide. Avec plus de 1.000 projets sur la table, d’ici deux ans, les maisons de santé devraient représenter 10 % de l’offre.
Mini-dico
Les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant principalement des soins de premier recours. Ils assurent des activités de soins sans hébergement et mènent des actions de santé publique ainsi que des actions de prévention, d’éducation pour la santé, d’éducation thérapeutique des patients et des actions sociales. Ils pratiquent la délégation du paiement (tiers-payant). Les centres de santé ne sont pas tous pluri-professionnels, il en existe également des mono-professionnels : infirmiers, médicaux, dentaires. Par ailleurs la présence de spécialistes en leur sein n’est pas rare.
Les maisons de santé sont constituées de professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens. Elles assurent des activités de soins sans hébergement de premier recours et, le cas échéant, de second recours, et peuvent participer à des actions de santé publique, de prévention, d’éducation pour la santé et à des actions sociales dans le cadre du projet de santé qu’elles élaborent.
Centres de santé et maisons de santé poursuivent fondamentalement les mêmes objectifs. Leurs différences reposent sur les modes de management et de rémunération.
Mais comment expliquer le succès rapide des maisons de santé en France, alors que toutes les expériences précédentes ont stagné ou échoué ? « Il existe plusieurs raisons, explique Pierre de Haas. La première, la volonté des professionnels de sortir de l’isolement. Les jeunes généralistes veulent aujourd’hui exercer en équipe avec une gestion des données via un système d’information commun. Autre élément : la croissance épidémiologique des pathologies chroniques et des poly-pathologies (comorbidités) difficiles à soigner sans intervention multiforme. » Ce développement est encouragé par le politique, note aussi Pierre de Haas. « Il souhaite favoriser le regroupement et éviter la désertification. » A contrario, le président de la Fédération française des maisons et pôles de santé note le peu de soutien du directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie : « Il ne croit pas en la capacité des professions de santé à s’organiser. A sa décharge, ajoute Pierre de Haas, il faut reconnaître que la représentation professionnelle est gravement atomisée en France. »
Pour Pierre de Haas, ce n’est en tout cas pas dans une évolution de la formation professionnelle qu’il faut chercher les prémisses de ce mouvement. Cette formation est très cloisonnée et hiérarchisée : « Le fait que l’échec d’étudiants aux études de médecine conduise une partie de ceux-ci à se réorienter vers d’autres professions de santé génère une vision hiérarchique néfaste à la collaboration harmonieuse dans une maison de santé pluri-professionnelle. » Une vision hiérarchique renforcée par le caractère hospitalo-centré de la formation. « La santé publique est insuffisamment enseignée aux futurs généralistes, regrette aussi Pierre de Haas. Ce qui est sidérant pour des diplômés qui sortent à bac+9. »
Pourtant avec l’émergence et le développement des maisons de santé, les pratiques évoluent. Avec une orientation plus marquée en termes de santé publique. « C’est le grand basculement, explique Pierre de Haas. Tout d’abord, les maisons de santé doivent présenter un projet de santé (...). Ensuite, en matière de recherche, les maisons de santé collaborent bien mieux avec les départements de santé publique (...). La loi « hôpital, patients, santé et territoire » a également été rédigée dans une logique de santé publique, avec le souhait que les services de santé rencontrent les besoins de santé d’un territoire et plus seulement la demande de patients individuels. »
Les différences entre centres de santé et maisons de santé reposent principalement sur leurs modes de management et de rémunération. « Mais la question du salariat n’est plus un casus belli pour les jeunes médecins, précise Pierre de Haas. Ce qui les intéresse c’est d’être payé, et le niveau de rémunération, la question du statut indépendant et du payement à l’acte ne les préoccupent pas autant que leurs prédécesseurs. » D’où la convergence souhaitable entre les deux types de structures.
L’enjeu, pour Pierre de Haas serait de réussir à constituer une forme de services de soins de première ligne qui couvrent l’ensemble du territoire et qui soient regroupés dans une fédération. Mais il craint que le processus de privatisation à l’œuvre dans les cliniques chirurgicales françaises ne s’étende aux maisons de santé. Voire, autre scénario catastrophe, que « l’hôpital et les médecins spécialistes ne s’emparent de la télémédecine et organisent le contournement des soins de première ligne pour délivrer de soins spécialisés à distance ».
« Nous sommes dans la même galère, conclut le président de la Fédération française des maisons et pôles de santé. Vous avez gagné quelques années grâce au dépassement du payement à l’acte qui résiste encore en France. Votre basculement vers le forfait à la capitation vous a été profitable. Votre développement nous intéresse, mais aussi celui des Penobscot community health care aux États-Unis. La résistance du modèle libéral a probablement été plus forte en France. Par contre, nous avançons dans l’hypothèse de l’intégration de la pharmacie au sein des maisons de santé. »
Désertification médicale ?
« Il y a tout un discours alarmiste sur les déserts médicaux. Mais actuellement, il n’y a pas 5 % de la population qui se trouve à plus de 30 minutes d’un généraliste. Par contre, il est clair que si le généraliste veut continuer à tout faire et à ne pas déléguer, il n’en sortira pas. S’il continue à soigner les gastro-entérites banales et les rhumes, administrer les vaccins, peser les bébés, il aura trop de boulot. Le médecin doit se concentrer sur sa spécificité : le diagnostic, l’organisation du traitement, la supervision médicale des activités d’autres professionnels, alors ce sera possible.
On observe le même problème pour les infirmières, si elles veulent effectuer elles-mêmes tout le nursing, nous serons en déficit. Mais une grande partie des toilettes et de l’aide à domicile peuvent être déléguées, par exemple à des auxiliaires de vie sociales. Le rôle infirmier devra plutôt se focaliser sur l’accompagnement et la surveillance des pathologies chroniques.
Ce syndrome de la pénurie est provoqué par les élus territoriaux de petits villages qui considèrent qu’il faut un généraliste par clocher. »
(Pierre de Haas)
n° 66 - octobre 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...