Si certains pays d’Europe ont compris l’intérêt d’une première ligne des soins forte, d’autres ont encore à s’y convertir. A l’occasion de la récente session du Forum européen pour les soins de santé primaires, une attention particulière a été portée sur les pratiques de santé communautaire.
Le European Forum for Primary Care (EFPC) a organisé fin août une session à Pise sur l’état d’avancement des soins de santé primaires en Europe. Ce fût l’occasion de confronter, rencontrer, faire évoluer des modèles de soins santé.
Des acteurs et faiseurs d’opinions des quatre coins d’Europe (et même audelà, comme le Canadian Alliance of Community Health Center Association- CACHCA) s’étaient rassemblés pour faire l’état des lieux des soins de santé primaires à l’aube du XXIème siècle et de tous les défis qui nous attendent demain dans cette économie de marché. Il est antinomique de parler d’économie de marché et d’économie de la santé. En effet, considérer la santé comme un marché que l’on peut faire prospérer en termes de rentrées financières va à l’encontre d’un système de solidarité sociale minimale. Autrement dit, si on se sert à des fins de commerces dans le pot commun de la sécurité sociale, on affaiblit inévitablement le système qui, si l’on continue comme cela, finira par devenir non solvable.
Un constat est tout de même l’état de relative faiblesse généralisée des soins de santé primaires. Il est cependant des différences entre des pays plus renforcés au niveau de la première ligne (Angleterre, Danemark, Espagne, Hollande, Italie, Finlande) et d’autres avec un faible niveau de soutien de la première ligne (Portugal, Belgique, Grèce, Allemagne, Suisse, France).
On observe que plus le soutien à la première ligne est fort, meilleurs sont les résultats en termes de santé, avec une meilleure qualité des soins, des coûts plus faibles, de meilleures opportunités pour limiter les coûts et pour mesurer les taux d’utilisation du système de soins, de sa qualité et de sa capacité de réaction [1]. On peut par ailleurs remarquer que les pays orientés vers les soins santé primaires ont souvent une répartition plus équitable des ressources entre les patients. Ceci dans un contexte de coûts mieux maîtrisés avec un niveau de santé meilleur [2].
Nier qu’il faut renforcer la première ligne de soins, c’est nier l’évidence même d’un système efficient. Outre l’impact national que les différentes organisations peuvent avoir, il y a tout de même des voix qui s’élèvent à un échelon européen pour asseoir notre légitimité.
En parallèle au congrès organisé à Pise par l’EFPC s’est déroulée une rencontre entre différents membres du forum pour créer une autre organisation, plus spécifique, orientée vers les soins de santé communautaire.
Comme nous le verrons un peu plus loin, tout reste à définir en ce qui concerne le concept de santé orienté vers la communauté [3].
Trois pôles de compétences se sont dégagés de nos discussions pour soutenir le travail commencé autour du concept de la santé orientée par et pour une population déterminée – les critères pour une population déterminée restant eux-mêmes à définir.
Axe des débats et pratiques
Il s’agirait d’un endroit où se définiraient les pratiques de groupes. C’est aussi le pôle de réflexion et d’échanges, de mises en commun et de conceptualisation. Il existe de multiples initiatives [4] qui ne demandent qu’à être connues et c’est un des objectifs de rencontres à cet endroit : permettre aux associations venues de régions où les soins de santé primaires sont les moins soutenus d’avoir un lieu à travers lequel elles peuvent être reconnues, avoir une voix pour promouvoir leur existence. Cet espace pourrait être aussi celui d’un observatoire, permettant la récolte d’informations tant au niveau des systèmes de soins que de la santé ellemême.
Axe concernant les patients
Quoi de plus normal que d’avoir un pôle entier pour les utilisateurs des soins de santé ? Et bien cela n’est pas si évident en fin de compte. En effet, l’orientation communautaire veut dire une multitude de choses. Pour les uns, il s’agit de faire de la prévention au sein d’une population définie, pour les autres, il s’agit d’avoir une politique active avec les patients comme acteurs dans leur santé, au sein même de la structure qui leur délivre des services de santé.
Il s’agit dès lors de sortir du champ trop longtemps restrictif du soin à proprement parler. Une des difficultés majeures que nous risquons de rencontrer ici est la mise en mouvement d’un point de vue international d’usagers. Même s’il est vrai qu’existent des groupements nationaux (en Belgique il y a la LUSS, Ligue des usagers des services de santé), il n’est pas certain que la promotion des systèmes de première ligne soit leur préoccupation prioritaire. Il y a aussi la barrière de la langue qu’il faudra franchir pour nous comprendre. Même s’il apparaît que l’anglais prédomine la scène internationale, ne perdons pas nos richesses et nos spécificités. Et puis, comment organiser à un niveau local, l’expression des groupes plus précarisés, moins scolarisés ?
Axe plaidoyer
Last but not least, un pôle plus politique pour porter en commun la voix des soins de santé communautaire de première ligne vers les instances dirigeantes de l’Europe. En effet, un grand nombre de décisions sont prises à l’échelle de l’Europe avec des conséquences directes d’un point de vue national. Le dernier exemple en date est le communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne en matière de remboursement de soins de santé pour les patients transfrontaliers qui date du 13 septembre 2010 [5]. Il est donc très important dans une idée de promotion des soins de santé primaires, que des décisions soient orientées en fonction d’une prise en charge communautaire de la santé. Sans cela, le risque majeur serait de se voir promulguer des soins centrés sur les structures hospitalières. On le voit déjà d’un point de vue belge, le poids relatif des structures hospitalières est très fort, largement représenté et avec un rapport coût/bénéfice inférieur à ce que l’on peut faire en première ligne.
Dans une Europe où se creusent les écarts entre les riches et les pauvres, il est primordial de renforcer une première ligne de soins. En effet, s’il est bien un terrain sur lequel les inégalités se jouent, c’est précisément celui de la santé. Des enquêtes de santé par interview ont eu lieu en 2008 en Belgique. Elles montrent des liens évidents entre précarité et risque de souffrir de certaines maladies chroniques (telles que diabète, tabagisme, consommation de psychotropes, etc.) [6]. En augmentant la portée de soins primaires accessibles ? tous, on peut contribuer à une diminution substantielle de ces inégalités.
Si cette stratégie s’avère efficace, il ne pourrait en ressortir qu’un équilibre plus grand dans la santé qui est en fin de compte un magnifique miroir sociétal. Et puis, il ne s’agit pas que d’accessibilité aux soins. Des pratiques de soins de première ligne orientées vers la communauté permettent entre autre la mise en place de programmes de promotion à la santé vers un public mieux ciblé, en rapport avec ses préoccupations, son vécu.
Nous sommes aussi à l’époque de Bologne et de son décret, avec des avancées majeures en termes de mise ? jour des programmes de cours et de l’ajustage des périodes de cours entre différents pays membres. A ce titre un réseau Européen ? également tout son sens, les flux tant des connaissances que des étudiants sont ? présent dans l’ère d’une mobilité jusqu’alors difficile à imaginer.
Santé communautaire... ... et santé communautaire
On s’y perd. Santé communautaire par-ci, santé communautaire par-là ?. Mais de quoi parle-t-on ?
Il y a effectivement le développement communautaire en santé. La démarche communautaire concerne une communauté, définie comme un ensemble de personnes présentant un sentiment d’appartenance commun (habitants, professionnels, élus, institutionnels). La communauté peut se définir selon son espace géographique, et/ou ses caractéristiques et/ou son intérêt commun et/ou sa situation problématique commune [7].
Et des centres de santé de première ligne orientés vers la communauté, c’est- ?-dire d’une part qui se sentent responsables dans leurs missions pour une population déterminée, et qui d’autre part souhaitent que cette communauté puisse avoir un mot ? dire sur les services qui lui sont rendus.
Les maisons médicales ont, dans leur charte, ces deux objectifs.
Les enjeux sont très importants sur la scène internationale. La Fédération des maisons médicales met en résonance toutes ces préoccupations pour permettre d’agir sur l’ensemble des défis en termes de réseau, de système de soins, de reconnaissance des soins de santé primaires en général, des pratiques forfaitaires en particulier. Des usagers aux professionnels, en passant par la formation de base et la formation continuée, chaque entité ? son importance. Les sollicitations seront de plus en plus nombreuses et les recherches de subsides vont bon train. Le lit francophone du Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire (SEPSAC) fait lentement place ? une structure plus anglophile. Il sera important de veiller au bon équilibre entre les différents membres de cette articulation de façon ? maintenir nos spécificités dans ce monde de plus en plus (trop ?) global…Et ? risque d’uniformisation. Ce nouveau réseau en est ? ses balbutiements, ? la recherche de son identité. A nous d’y être actifs, pour y apporter le fruit de nos réflexions et expériences. Car ce qui se joue actuellement est, entre autres choses, la définition des critères pour être ou ne pas être membre ; c’est l’objet principal des prochaines discussions auxquelles nous aurons le plaisir de collaborer.
[1] Peter P., Groenewegen NIVEL – Netherlands Institute for Health Services research.
[2] Starfield and Shi, Health Policy 2002 ; 60 : 201-18. van Doorslaer et al, Health Econ 2004 ; 13 :629-47. Schoen et al, Health Aff 2005 ; W5 : 509-25.
[3] Les acteurs principaux de cette première scène lors du Forum venaient d’Espagne- Catalogne (M Antoni Peris) d’Angleterre (M Ade Adeagbo pour le NHS Alliance), de Hollande (M Arthur Eyck pour le LVG), d’Italie (M Piero Salvadori et M Dario Zanon), de Belgique (Myriam Suetens pour la Vereniging van Wijkgezondheidscentra WGC ; Pierre Drielsma et Hubert Jamart pour la Fédération des maisons médicales), de Suède (M Daniel Pollack).
[4] Maison de santé en France ; Maisons médicales en Belgique ; P4P du NHS en Angleterre – et bien d’autres.
[5] http://www.consilium.europa.eu/uedocs/ cms_data/docs/pressdata/fr/lsa/116483.pdf.
[6] Enquête de santé par interview, Belgique 2008 – Rapport : http://www.iph.fgov.be/ epidemio/epifr/index4.htm.
[7] Action communautaire en santé : un observatoire international des pratiques 20042008 Belgique –France-Espagne – SEPSAC – Novembre 2009.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...