Une jeune maison médicale s’est créée en associant à son projet des organisations de la santé et du social déjà présentes sur le même territoire d’action. Plus simple ou plus compliqué ?
La maison médicale Trooz Santé a été fondée en 2014. La motivation était de répondre aux besoins de la population en s’intégrant dans l’offre de services sociaux et de santé déjà présents sur le territoire. D’emblée donc, notre jeune équipe a réfléchi son projet avec des partenaires. Nous avons réalisé un répertoire des organisations et du tissu associatif existant, nous avons interrogé ces structures sur les besoins de la population, sur les attentes qu’elles pourraient avoir vis-à-vis d’une maison médicale. En veillant à ne faire d’ombre à personne…
Trooz Santé a proposé à la commune un partenariat public/privé (ce qui est inhabituel dans la mesure où il associe un acteur privé à finalité publique) impliquant cet échelon local dans l’organisation du système de soins de santé. Le collège a réagi favorablement et un bail emphytéotique a été signé pour l’occupation d’un bâtiment qui hébergeait déjà plusieurs associations. Sa situation centrale et son histoire (il a hébergé les services administratifs de l’ancien charbonnage du Hazard, puis une gendarmerie, puis le musée de la radio et un club photo, un club de marche, le siège de l’ALE, le service de promotion sociale Ourthe- Vesdre-Amblève…) en font un lieu connu de tous les Trooziens. Ce sera un atout pour les diverses collaborations à venir. Aujourd’hui, il abrite la maison médicale, les consultations de l’ONE, un magasin de seconde main (Le Chas, une initiative d’insertion sociale du CPAS), un centre de santé mentale, un service d’insertion socioprofessionnelle, un point de prêt de matériel de la Croix-Rouge, un centre de prélèvement du laboratoire du CHU de Liège.
Le projet a toujours visé la participation de tous et la fluidité entre les services. Les partenaires présents dans le bâtiment sont intégrés, s’ils en font la demande, à l’assemblée générale (AG) de la maison médicale, de même qu’un représentant du conseil communal en charge de la santé (et par ailleurs président du CPAS). Par la suite, d’autres associations trooziennes en sont aussi devenues membres (la conférence de Saint-Vincent de Paul, par exemple). Pour nous, il est essentiel d’associer d’autres parties prenantes : les extérieurs ramènent d’autres enjeux que ceux de la maison médicale, on évite de tourner en rond. C’est également pour cela que le comité de patients est représenté à l’AG. Celle-ci a pour fonction de définir les lignes directrices d’un plan triennal. L’assemblée d’octobre dernier a validé la mutation de la maison médicale Trooz Santé vers un « centre de santé intégré de la Vesdre », englobant tous les services du bâtiment. L’objectif étant une prise en charge de la santé au-delà du soin. Le conseil d’administration ainsi que les membres du CA suivant rendront des comptes à l’AG sur ce qui aura été développé d’après ce plan.
Il serait intéressant d’organiser un accueil centralisé pour tous ces services. Il aurait en charge l’orientation des usagers, la gestion de l’agenda des lieux de réunion, des activités... Pour l’instant, ce n’est pas encore envisageable, car, sans moyens dédiés, le risque est que ce soit la maison médicale qui s’en occupe pour tout le monde, ce qui n’est pas dans la logique du projet. Il faut aussi conserver un accueil spécifique à chacun et lié, pour la maison médicale, à la gestion des dossiers et aux soins.
Le plan triennal contient aussi des projets tels que « Trooz Santé écoles ». Au départ d’un souci de communication entre instituteurs et parents, plusieurs partenaires ont sollicité l’ONE, la maison médicale et Openado (un service provincial d’orientation et de prévention pour les enfants et adolescents). Un diagnostic communautaire a été dressé, impliquant les parents. Ces partenaires, rejoints depuis par le plan de cohésion sociale et les PSE/PMS, entre autres, mettent sur pied des actions concrètes (jeux de coopération, brevet de petit secouriste pour les élèves de sixième primaire, sensibilisation au brossage des dents…) orientées par un thème (l’estime de soi, l’hygiène corporelle, par exemple) au choix duquel les parents sont associés. Une attention particulière est portée à l’implication de tous les réseaux scolaires (communal, libre, ordinaire et spécialisé). Et ça marche ! De vrais liens se construisent, notamment autour d’une plateforme rassemblant des médecins et des infirmières à domicile pour soutenir des apprentissages en santé.
Des idées, il y en a à foison. Elles germent au gré des rencontres et des partenariats : des projets alimentaires et d’accès au logement pour les plus démunis avec la conférence de Saint- Vincent de Paul et grâce à un partenariat avec une coopérative immobilière ; une salle de sport cogérée par la maison médicale pour faciliter l’accès à de l’activité physique au-delà du travail individuel de kinésithérapie. Et pourquoi pas un abonnement moins cher pour les patients inscrits à la maison médicale puisque ça ferait partie de son action pour la santé ?
Le financement est une dimension à faire évoluer pour faciliter des projets plus globaux. Comment encourager les gens à investir dans leur santé ? Telle est la question. L’équipe a fait le choix du financement au forfait pour faciliter l’accès aux soins pour tous. Dans la pratique, ça le freine cependant aussi. L’interdiction de travailler dans les deux systèmes de financement (acte et forfait) crée une frontière entre des prestataires qui pourraient collaborer sur un même territoire.
L’équipe consacre du temps à tous ces projets, un temps qui n’est pas financé par le forfait, ni par l’agrément, ni autrement d’ailleurs. Au lieu d’avoir à faire des choix budgétaires pour que ce soit possible, ce serait bien que ce temps de travail de coordination soit financé. Penser tous ces projets nécessite également des connaissances que, en tant que soignant, on n’a pas au départ. Il faut développer des compétences. Depuis le début, une attention particulière est portée à la professionnalisation du modèle économique clairement situé dans le champ de l’économie sociale. Une agence-conseil en économie sociale, notamment, nous apporte ses compétences. Cependant il faut apprendre beaucoup de choses en matière de gestion de bâtiments, de marchés publics… La réflexion sur la propriété du bâtiment, par exemple, doit encore évoluer. Aujourd’hui, la maison en porte seule la responsabilité. Une coopérative immobilière dont les coopérateurs seraient les organisations est une piste à étudier.
Au démarrage, la maison médicale était plus ou moins mal perçue par les autres associations installées dans le bâtiment, qui y voyaient un projet parachuté par la commune. Il faut veiller à ne pas prendre trop de place pour ne pas faire peur aux autres. Les collaborations ouvrent au dialogue, les structures se découvrent. Petit à petit, la confiance se construit. Aujourd’hui, la maison médicale est un partenaire que d’autres sollicitent.
Les différents modes de fonctionnement pèsent aussi sur les collaborations. La maison médicale fonctionne de manière non hiérarchique, ce qui n’est pas le cas de tous ses partenaires. Cette culture peut être déroutante, notamment pour ceux qui font partie d’un réseau institutionnel. Chez nous, en AG, les décisions se prennent pour le bien de tous. C’est très différent d’une AG où les services défendent leurs intérêts propres. Autre choc : la représentation des patients à l’AG. Impensable dans d’autres services ! Au mieux, certains commencent à s’interroger sur l’évolution des liens patients/soignants. C’est un début.
Fin octobre, une journée porte ouverte a été organisée. Il s’agissait d’identifier les difficultés rencontrées afin d’améliorer les liens entre les services. Des cas cliniques ont servi de base aux discussions, c’est un premier pas vers ce qui pourrait devenir des « midis de la santé » à proposer à l’ensemble des acteurs de la santé et du social sur le territoire.
La maison médicale rassure des structures comme le CPAS : là se trouvent des solutions pour nombre de problèmes médicosociaux. Mais cette perception tend à induire une concentration de cas complexes qui demandent souvent beaucoup plus de temps d’accompagnement. Cette identité de prise en charge de la pauvreté peut aussi peser sur sa fréquentation. D’une part, la juxtaposition de services pour les plus fragiles donne une image tronquée du projet de santé de la maison médicale. D’autre part, on risque d’être moins généraliste s’il y a des patients qui font peur dans la salle d’attente. Toutefois, pour l’instant, nous constatons que les habitants des quartiers aisés s’adressent à nous malgré tout. Il faut que ça continue.
Il n’est pas obligatoire d’être inscrit à la maison médicale accéder aux autres services. On peut venir pour le laboratoire, pour le magasin de seconde main, et les activités proposées sont accessibles à tous. Le comité de patients organise des soirées-débats (sur des thèmes tels que la Sécurité sociale, la campagne Tam-Tam, la vaccination…), il a aussi aménagé le jardin de façon à pouvoir y accueillir des gens. Il arrive qu’une consultation se termine sur l’un de ses bancs. C’est très efficace pour démontrer que l’on peut fréquenter la maison médicale pour autre chose qu’un problème de santé. Et puis des publics des différents services se croisent, les patients de la maison médicale passent par le magasin, les usagers du centre de santé mentale viennent à la maison médicale, même si ce n’est pas toujours facile à gérer.
Lorsque la maison médicale organise une balade, la Croix-Rouge prête du matériel. Des réunions de concertation se font parfois avec le CPAS, ce qui permet de débloquer certaines situations un peu plus vite. Le fait de croiser la travailleuse médicosociale de l’ONE permet d’échanger sur le suivi de vaccination des enfants, par exemple, et de ne pas multiplier les interventions auprès des familles. La coordination permet de mieux organiser la prise en charge et les interventions de chacun. Cela permet aussi de se coresponsabiliser. Face à une situation complexe et difficile, on n’est pas seul à assurer la prise en charge, ça recule les limites de chacun. La coresponsabilité pousse aussi à aller au bout, le mieux possible. Ça limite les risques de se disperser, car il y a des objectifs communs.
Et puis naissent des projets communs, comme « C’est Trooz bien », qui a démarré d’une idée du centre de santé mentale pour les parents d’enfants de moins de six ans. Les autres services se sont associés pour récolter et mettre du matériel de puériculture, des jeux et des livres à disposition des familles. La permanence hebdomadaire est assurée par les différents services. C’est une première étape pour identifier les parents, leurs besoins et aller vers des actions de soutien à la parentalité. Le comité de patients gère une ligne budgétaire. Le principe est de lui octroyer 1 euro par patient inscrit. Avec ce budget, il développe des activités et des projets pour les patients, mais aussi à destination des habitants de Trooz et des environs. Le comité rend compte à l’AG de la manière dont le budget est dépensé.
Tous ces projets et ces réflexions donnent sens à notre travail. Et quand nous rencontrons des difficultés (il y en a toujours), cela nous permet de nous accrocher, de trouver l’énergie collective pour continuer d’avancer.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...