Vous êtes ici :
  1. Santé conjuguée
  2. Tous les numéros
  3. Les inégalités sociales de santé
  4. L’approche communautaire de la santé : une des stratégies d’intervention sur les déterminants socio-économiques

L’approche communautaire de la santé : une des stratégies d’intervention sur les déterminants socio-économiques


avril 2007, Morel Jacques

médecin généraliste, secrétaire général de la Fédération des maisons médicales.

La prise en compte des déterminants non médicaux à la racine des inégalités de santé nécessite le développement de modes d’action adaptés.

Le changement n’est pas seulement possible, il est aussi souhaitable. La pauvreté, le chômage, la maladie mentale, l’injustice, la solitude et l’exclusion sont les grands thèmes de la souffrance humaine depuis plusieurs siècles et ils ont mobilisé, avec une certaine efficacité, nombre de projets réformateurs. Mais la forme même de ces thèmes de souffrance a changé. Ces thèmes ont pris aujourd’hui une tournure « moderne ».

DES POLITIQUES DE SANTÉ OBSOLÈTES

Les inégalités en matière de santé sont largement liées au contexte social, ce constat est aujourd’hui bien démontré et observé. Il se confirme quasi pour toutes les pathologies, pour l’utilisation des services, pour l’espérance et la qualité de la vie.

Dès lors que ce constat est fait, quelle leçon peut-on en tirer ? Quelles stratégies d’action ont été dégagées ?

L’observation des politiques dites de santé montre qu’en réalité peu de leçons ont été tirées de ce constat et force est de constater que le débat sur les performances du système de santé se déroule comme si ces déterminants au sens large n’entraient pas en ligne de compte dans les décisions relatives au montant à allouer aux services strictement définis comme médicaux. La réalité reste bien que la pression en faveur du développement du système traditionnel de soins conduit à exclure la prise en compte d’autres déterminants aujourd’hui plus décisifs de l’état de santé.

Globalement, c’est bien plus l’inflation des coûts des systèmes qui s’est vue critiquée que les objectifs de politique de santé.

Cependant, la récurrence de la spirale inflationniste des systèmes et le plafonnement de leur performance a montré les limites de ces stratégies de contrôle des coûts, a ouvert une brèche dans le modèle et a permis la recherche de nouvelles perspectives.

OBJECTIF : PLUS D’ ÉQUITÉ

Les moyens d’action proposés sont multiples, à la mesure de la complexité et de l’interaction des facteurs en cause. Une lecture adaptée de la charte d’Ottawa (1986) permet de classer les modes d’intervention de promotion de la santé sous deux types complémentaires.
D’une part, les actions qui visent les comportements individuels – c’est tout le champ de l’information, de l’éducation pour la santé, du marketing social ; la promotion de la santé vise là à permettre aux gens d’accroître leur capacité d’agir, d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé et de faire des choix favorables.
D’autre part, il y a les interventions qui cherchent à modifier l’environnement social et politique, à développer des politiques publiques saines par la prise de conscience de « l’impact-santé » des politiques, à assurer des milieux de vie favorables, à développer l’action communautaire (la promotion de la santé relève de la participation effective et concrète de la collectivité) et à réorienter les services vers la promotion de la santé.
L’essentiel est de voir la nécessité de stratégies diverses, complémentaires, généralement portées par des acteurs diversifiés dans un champ de compétences plurielles. Le secteur de la santé devient paradoxalement un acteur parmi d’autres. A contrario, les individus et collectivités sont responsabilisés comme acteurs de santé.

Cette dimension clarifie les responsabilités : la réduction des inégalités sociales en santé dépend avant tout de la lutte contre les disparités sociales et des mesures en faveur de plus d’équité, ce qui tient largement à des politiques de changement social et à des choix de société. D’aucuns auraient tendance à considérer que seule la promotion de la santé est responsable de cette dimension, c’est une erreur.

L’APPROCHE COMMUNAUTAIRE...

L’approche communautaire n’est pas une fin en soi ; elle n’est pas non plus automatiquement marquée idéologiquement du sceau du développement et du progrès. Ce sont bien les finalités et principes, les idéaux qui en déterminent les objectifs, la qualité et les limites comme mode d’intervention.

En bref, l’approche communautaire sera définie comme une pratique s’appliquant à la santé dans un système de solidarité et de dialogues :

- horizontal, entre pairs ;

- vertical, entre couches professionnelles, couches sociales, génération d’âges ;

- durable, tenant compte des générations présentes et futures.

Cette pratique repose sur :

- une base collective communautaire, locale ;

- un repérage collectif des problèmes et des potentialités qui implique la population (diagnostic) et qui inclut les dynamiques sociales à l’œuvre dans la collectivité (ébauches de solutions, micro-réalisations, réseaux de solidarité) ;

- la participation de tous les acteurs concernés (décideurs, professionnels, usagers) ; participation autant sur le mode représentatif que direct.

La communauté est un lieu d’échanges, de réflexion et d’action qui positionne les individus dans une dimension collective ; elle devient le lieu d’émergence, de définition et de compréhension des problèmes. L’action communautaire tire dès lors son fondement dans l’affirmation que les problèmes sociaux sont de nature collective et qu’ils doivent faire l’objet de solutions collectives.

La communauté devient elle-même un levier d’action et l’action communautaire peut être considérée comme une des dynamiques sociales de changement à travers lesquelles se mettent en place des mécanismes de compensation susceptibles de récupérer ou de construire de nouveaux équilibres, la santé ou le bien–être s’entendant comme cette recherche d’équilibre.

Les piliers et stratégies d’action de l’approche communautaire ne lui sont évidemment pas spécifiques, de même que l’action communautaire n’est pas l’apanage de la promotion de la santé. Elle a été développée bien avant, dans les secteurs de l’éducation populaire ou du développement social. Sans doute des modes de travail comme la concertation, le travail en réseau, l’intersectorialité ou la participation font-ils partie des piliers du travail communautaire.

... une approche pertinente des inégalités en matière de santé

Les mutations aux plans économique, social, sanitaire et environnemental (modification des rapports de travail, exclusion des moins qualifiés, précarité, maladies de civilisation et mal-être, mondialisation…) ont conduit à des changements dans les rapports sociaux et dans les structures : repli sur soi, individualisation, affaiblissement des liens sociaux.

Ces éléments forcent à développer des stratégies qui intègrent les différents enjeux. La prise en compte de la globalité des situations qui affectent les groupes sociaux et la dimension multisectorielle sont les composantes essentielles d’une approche intégrée d’un développement souhaité durable.

Les interventions appuyées sur la notion de territoire versus communauté cherchent à valoriser les capacités des personnes et des populations, particulièrement les plus vulnérables, en soutenant leurs potentialités, leur capacité d’agir.

On peut citer quelques objectifs non exhaustifs que j’emprunte à Pierre Laurence qui fait de la revitalisation du tissu social communautaire un enjeu pour la réduction des inégalités :

- Etablir un plan intégré de développement social.

- Améliorer les conditions de vie et de participation sociale des citoyen(ne)s, particulièrement ceux et celles qui sont en situation d’exclusion.

- Accroître le sentiment d’appartenance au milieu.

- Assurer une cohérence entre santé en terme de qualité de la vie et développement économique, social, culturel et environnemental au plan local et régional dans une perspective de développement durable.

- Faire connaître, partager, comprendre ces objectifs à toutes les catégories d’acteurs.

La participation des citoyens est une des conditions de réussite. Reconquérir autonomie et dignité, reconnaissance et estime de soi sont des leviers essentiels d’exercice de ses droits et de ses responsabilités.

Le « communautaire » est au carrefour de ces dynamiques. Dans la mesure où il se laisse réellement interroger, questionner par la participation sociale qu’il suscite, qu’il en fait un levier de changement et de mobilisation, le développement communautaire doit pouvoir représenter une approche pertinente des inégalités en matière de santé.

Cet article a fait l’objet d’une communication lors du colloque sur « Inégalités sociales et travail communautaire » organisé par la Communauté française dans le cadre de la présidence européenne en 2001.

Cet article est paru dans la revue:

n° 40 - avril 2007

Les inégalités sociales de santé

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...