On peut aisément imaginer la difficulté d’une personne sourde à comprendre ou se faire comprendre d’un interlocuteur non initié à son mode de communication. Mais, quand le monde médical rencontre le monde du silence, l’inégalité va au-delà de la simple barrière du langage.
Pour les personnes sourdes, l’accès aux soins est rendu chaotique par la complexité majeure à comprendre le personnel soignant, mais aussi à se faire comprendre de lui. Cette problématique n’est pas spécifique aux sourds, mais le fossé se creuse selon d’autres facteurs.
Considérons pour l’exemple une personne étrangère, ne sachant pas parler la langue du pays dans lequel elle se trouve : nous sommes face à une difficulté similaire de communication, mais l’étranger peut apprendre, intégrer les mots de base, alors qu’il sera toujours impossible à un sourd de prendre le téléphone pour fixer un banal rendez-vous.
L’assimilation des termes médicaux est également un frein de taille. A nouveau, ce problème ne concerne pas que les personnes sourdes, mais plusieurs facteurs se surajoutent.
Par exemple, les sourds n’ont pas accès aux émissions médiatiques (télé, radio) destinées à vulgariser la médecine et les soins. De plus, il n’existe pas nécessairement un signe traduisant le terme médical utilisé. Et, si signe il y a, la personne ne le comprendra pas forcément.
L’apprentissage des personnes sourdes passe essentiellement par le canal visuel. De ce fait, certains sont incapables de se représenter ce qu’ils ne voient pas. La mécanique du corps humain reste alors un mystère irrésolu. On comprend ainsi toute la difficulté d’intégrer la notion d’infarctus, la formation de cholestérol, le risque d’une thrombose ou l’apparition d’un diabète.
Force est de constater que les supports visuels explicatifs font cruellement défaut au sein de structures non spécialisées. Si un résultat de radiographie peut rester compréhensible, il n’en est rien pour un schéma d’insuline ou une analyse de sang. Les informations, quelles qu’elles soient, restent peu accessibles aux personnes n’appartenant pas au monde entendant.
Autre difficulté, tous les sourds n’ont pas eu l’opportunité de travailler leur capacité de lire et d’écrire dans leur parcours scolaire. Certains seront mis face à une impossibilité de comprendre une prescription, de lire une notice ou même le nom d’un médicament. Ils devront se référer à la couleur des boîtes, aux dessins et symboles existants. Bon nombres d’erreurs et confusions peuvent alors en découler.
De plus, si une personne sourde est alphabétisée, elle n’oralisera ni ne lira forcément sur les lèvres. Et quand bien même elle le pourrait, son accès aux informations données dépendra entièrement de l’attitude de son interlocuteur. Le message ne sera pas compréhensible si le soignant n’utilise pas certaines règles (se mettre en face de la personne, ne pas cacher ses lèvres, ne pas baisser la tête, ne pas se mettre à contre-jour, etc.).
La communication avec le monde extérieur est, pour un sourd, constamment dépendante d’une tierce personne.
Pour répondre à cette problématique, des « tickets d’interprète » leurs sont octroyés.
En région Bruxelloise, les personnes sourdes disposent d’environ 30 tickets (1 ticket = 1 heure) pour 2 ans. Si la personne utilise tous ses tickets pour raison médicale, elle peut faire une demande pour 2 X 30 tickets pour les 2 ans où un(e) interprète les accompagnera dans leurs démarches, médicales ou autres.
Ceci ne résoud cependant pas tout. D’abord, si une tierce personne doit intervenir en permanence, se pose la problématique de l’intimité dans la relation avec les soignants. Il sera extrêmement délicat de poser des questions d’ordre personnel, de réaliser un examen gynécologique ou encore de débuter une thérapie. Ensuite, il existe peu d’interprètes en Belgique et la demande dépasse très largement l’offre.
Au vu de ces constats, la Maison Médicale d’Anderlecht se voudrait être un « pont de l’entre deux mondes ».
L’idée d’un projet spécifique a fait son entrée au milieu des années 90, suite à l’inscription au sein de la maison médicale de plusieurs personnes sourdes. Des membres du personnel se sont alors formés à la langue des signes et en 1999, un service d’Aide à la Communication en Langue des Signes (ACLS) a été créé.
Un projet plus précis est né au début 2000. Son objectif premier tendait vers une autonomisation des patients sourds dans le domaine de la santé. Très vite, la réalité de terrain a pris le pas sur un idéal peu réalisable à notre niveau.
Une structure spécifique en santé incluant les sourds comme personnes ressources manque cruellement à la communauté. Mais ce travail de longue haleine ne serait possible qu’avec l’implication de différents niveaux de pouvoir.
La Maison Médicale a voulu recentrer énergie et actions sur sa propre patientèle sourde, dans un désir de leur rendre accessible les soins de santé. Cette facilité d’accès ne signifie en aucune façon simplifier les soins ou les amputer d’une de leurs dimensions : la santé doit être envisagée pour tous dans sa globalité en vue d’un équilibre physique, mais également psychique, social et environnemental.
Cette volonté trouve toute son essence dans le travail pluridisciplinaire inhérent à la maison médicale et est rendue possible grâce à la présence de l’ACLS. Cette personne, entendante et praticienne en langue des signes, va jouer le rôle d’interface entre le soignant (ou tout autre intervenant) et le soigné. L’information sera rendue la plus accessible possible et ce, grâce à différents procédés.
La reformulation constitue un des principes moteurs de l’aide à la communication. L’ACLS va constamment vérifier que la personne sourde a compris ce qui lui est expliqué, va adapter le langage en termes simples mais précis, développer les termes spécifiques (qu’ils soient médicaux ou sociaux), …
La création et l’utilisation d’outils de communication fait partie des pistes exploitées : affiches informatives adaptées, feuilles de traitement spécifique, mannequins, squelettes, …
L’équipe est sensibilisée aux règles à mettre en place pour créer le contact avec un sourd : se mettre bien en face, garder la tête droite, ne pas cacher ses lèvres, articuler, utiliser tous les canaux possibles (lecture, écriture, dessin, …).
Certains membres du personnel se forment ou sont formés à la langue des signes (avec des niveaux divers en fonction des désirs et implication de chacun).
Une consultation spécifique a également été mise en place. Elle permet aux personnes sourdes d’être aidées et aiguillées dans les démarches administratives, la rédaction d’une lettre, des coups de téléphone, etc…
Les difficultés des personnes sourdes face aux soins sont :
comprendre et se faire comprendre
être incapable d’utiliser divers moyens de communication (téléphone, interphone, …)
assimiler les termes médicaux sans autres moyens que le visuel
le peu de supports visuels existant
communiquer sans posséder systématiquement la capacité d’écriture et de lecture
dépendre de l’interlocuteur pour obtenir un message clair
dépendre d’une tierce personne pour les démarches les plus simples
Les pistes de solution sont :
la création d’outils de communication
la sensibilisation des interlocuteurs aux règles de communication
la formation de certaines personnes à la langue des signes
la reformulation et l’adaptation du langage
Les difficultés rencontrées par l’institution :
le manque de relais et structures de deuxième ligne (psychiatres, ORL, …) pratiquant la langue des signes
le manque d’interprètes pour assurer la communication
le peu d’utilisation, par les structures courantes, des canaux de communication accessibles (possibilité d’envoyer des SMS au service 100, aux urgences, …)
La Maison Médicale d’Anderlecht fonctionne au forfait pour des personnes domiciliées sur Anderlecht et inscrites dans l’institution. Nous travaillons actuellement avec un nombre de patients plafonné à 1800. Le projet sourd concerne à l’heure actuelle 19 personnes sourdes et leur famille.
Nous ne nous sommes pas encore donné les moyens de quantifier les résultats obtenus. Cependant, il est de notre volonté d’y remédier dans un proche avenir. Nous souhaiterions pouvoir à long terme étendre nos actions au-delà des frontières de l’institution. Et ce, dans un désir de rendre praticable à tous notre « pont de l’entre deux mondes ».
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...