Si la participation n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’émancipation et de bien-être, elle ne se décrète pas non plus. Entre les bonnes intentions et les bonnes pratiques, il y a une série d’acteurs à mobiliser, à rassurer, à former. Des méthodologies à construire. Il y a surtout une conviction à partager… comme en attestent plusieurs expériences positives.
La participation est inscrite dans l’esprit des maisons médicales, comme dans leur histoire. Les premières maisons médicales ne furent-elles pas mises sur pied avec leurs futurs usagers ? Depuis, le principe même de la participation a été coulé dans les législations, bruxelloise comme wallonne, qui inscrivent au centre des missions des maisons médicales « la santé communautaire » et « la participation active de la population à la promotion de la santé » [1]. Ces législations prévoient même des incitants aux maisons qui dédient du personnel à cette dynamique. Pourtant, sur le terrain, force est de constater que la participation ne se décrète pas, qu’elle ne se déploie pas naturellement. C’est ce dont semblent attester les résultats d’une étude réalisée par la Fédération des maisons médicales et son homologue la Vereniging van Wijkgezondheidscentra flamande.
Côté francophone, 17 maisons médicales ont participé au recueil d’informations. Parmi ces 17 répondants, certaines indiquent franchement ne pas vouloir tenter l’expérience de la participation. Ils invoquent le manque de temps, souvent, la peur d’un contre-pouvoir ou d’une remise en question trop fondamentale des pratiques, aussi, ou encore l’existence d’autres priorités quand ce n’est pas le manque d’adhésion de l’équipe. Et parmi les maisons médicales qui ont tenté la participation selon diverses méthodes, il faut bien reconnaître que ce sont les difficultés du processus qui sont d’abord mises en avant. Sont le plus souvent cités : le faible taux de participation (des patients comme des soignants), le manque de dynamisme ou d’intérêt, le manque de temps et de clarté des objectifs poursuivis et du statut des groupes constitués, la difficulté à se mettre à la place de l’autre, à sortir de son rôle. Mais plusieurs équipes ont aussi mentionné une série de « bénéfices » qu’elles estiment avoir tiré des expériences de participation menées. Une influence positive sur le programme d’activités communautaires par exemple, le questionnement des pratiques des soignants, la rupture de l’isolement ou encore une énergie positive. En Flandre, comme au Québec, la participation semble organisée de façon plus systématique, sur quatre modes essentiels. Soit, des patients sont représentés à l’assemblée générale, le plus souvent à la demande de la maison médicale, parfois à leur demande. Les maisons médicales donnent la priorité aux patients possédant une compétence spécifique déterminée, par exemple juridique. Ailleurs, des patients sont impliqués via des groupes de participation thématiques. Le but est, par l’échange d’expériences, de se représenter ce qui est vécu par les patients. Un certain nombre de maisons médicales ont aussi mis en place et intégré des procédures formelles de plaintes. D’autres, enfin, consultent leurs patients à travers des enquêtes de satisfaction régulières sur l’offre de soins. Mais l’histoire ne dit pas si ces modes de participation donnent satisfaction et permettent une réelle implication et une valorisation des patients.
Car la participation ne se résume pas à remplir un questionnaire ou à siéger dans un organe décisionnel. Sans un accompagnement adéquat, une formation suffisante, une réelle possibilité de peser en connaissance de cause sur les décisions, ce type de participation relativement « formelle » risque de se limiter à une apparence de participation, voire un alibi. Diverses expériences de participation menées dans la sphère médicale ou dans tout autre secteur permettent en effet de mesurer à quel point ces processus peuvent être complexes, relativement longs, parfois risqués, mais possibles et riches lorsqu’on en prend pleinement le risque.
Le système de santé communautaire développé au Brésil est un bel exemple de participation toujours en développement. À travers 5637 conseils municipaux de santé, les usagers ou leurs représentants exercent un droit effectif de décision sur les politiques de santé. C’est une réelle participation politique dans la mesure où les municipalités organisent les soins primaires comme socle d’accès universel à l’ensemble des soins de santé. Dans cette logique, la politique de lutte contre le SIDA est souvent saluée en termes de participation, d’efficacité et d’accessibilité des soins. Le Brésil a misé sur les médicaments génériques pour contourner la position dominante des grands laboratoires. Il a ainsi permis de lever les obstacles liés aux coûts du traitement et garantir un accès gratuit à toutes les personnes ayant contracté la maladie. « Il a développé un programme national de lutte contre le SIDA volontariste et prenant en compte les fortes revendications de la société civile et des associations représentant les personnes porteuses du virus (...). Le partenariat des associations brésiliennes avec le système de santé public est d’une importance fondamentale dans la qualité de l’accompagnement des personnes porteuses du virus. Il permet de proposer un réel travail autour du projet de vie de la personne atteinte du SIDA. » [2].
Plus près de nous, le CPAS de Charleroi réserve tous les ans un montant de 30.000 euros pour financer des projets présentés et développés par des usagers. Chaque dossier retenu peut bénéficier d’une allocation de 2.500 euros au maximum, renouvelable deux fois. Dans un premier temps, la sélection des projets incombait aux seuls professionnels du centre public. Aujourd’hui, les décisions se prennent avec et par l’ensemble des acteurs. Année après année, la participation s’est donc approfondie, pour faire en sorte qu’il revienne aux usagers non pas seulement de présenter et défendre leur projet, ce qui est déjà une aventure, mais aussi de l’évaluer collectivement, de gérer tous ensemble ces budgets spécifiques. Budgets « qui permettent la reconstruction d’une certaine auto estime au travers du collectif. Le fait d’avoir un projet commun et de s’épauler pour le faire avancer donne un souffle supplémentaire » [3]. Cet approfondissement de la participation a nécessité du temps, le temps de convaincre la hiérarchie du CPAS comme les usagers, des prises de risques et la perte de la maîtrise du budget, du tact aussi, car la participation ne s’impose pas. Il a fallu une expertise aussi que Geneviève Lacroix, en charge de ce dossier au CPAS, a trouvée à l’extérieur, auprès d’animateurs en capacitation.
D’autres expériences de participation, comme celle du réseau Similes qui travaille avec des proches de patients atteints de troubles psychiatriques et leurs proches au changement des mentalités ; l’asbl urbAgora qui porte à Liège une voix citoyenne dans des débats accaparés par des techniciens ; la maison médicale le Gué de Tournai qui a développé un comité de quartier avant de lui donner son autonomie ; dans l’acquisition de logements solidaires par des membres du CIRE à Bruxelles, ou encore l’association Consoloisirs qui encourage la participation à la culture, notamment confirment ces premières lignes de force d’une participation effective : ne rien imposer, se donner du temps, accepter de lâcher prise, suivre une méthodologie.
Lorsqu’elle a développé le comité de quartier Saint-Piat, l’équipe de la maison médicale de Tournai n’a rien imposé aux habitants. Elle n’a fait que prolonger un travail d’écrivains publics sur l’histoire de ce quartier dévalorisé. Cette première initiative avait révélé le besoin, le désir de nombreux habitants de changer l’image de leur quartier. Qu’il s’agisse, comme à Saint-Piat, d’un besoin positif, se loger, améliorer une situation, ou d’un besoin négatif, l’opposition à une maltraitance dans le cas des membres de Similes, à un projet dégradant l’environnement à urbAgora, le préalable à tout projet participatif semble bien être la capacité à partir du vécu des participants et à faire émerger leurs attentes, leurs besoins. Une première erreur consisterait à imposer un sujet qui ne les intéresse pas, sous prétexte de les faire participer à tout prix.
Mais comment identifier ces besoins ? Il semble utile de se mettre à l’écoute des gens dans leur environnement, en collaboration avec les associations locales ; de les aider, le cas échéant, à prendre conscience que quelque chose ne va pas ou pourrait être amélioré. Ensuite, de clarifier avec eux les objectifs que l’on souhaite atteindre. Il faut à la fois ne pas être trop ambitieux - vouloir changer le monde risquerait de décourager en cours de route - mais être assez subversif pour oser des changements en profondeur. Et il faut clairement définir ces objectifs, pour ne pas donner l’impression d’instrumentaliser les participants. Enfin, il importe, témoignent certains, d’indiquer d’entrée de jeu le moment de fin d’un projet, pour limiter les décrochages en cours de route. Lorsque ces premières balises sont fixées, il importe de préciser le rôle des acteurs au départ de leur lieu de vie ou de leur vécu spécifique ; de tous les acteurs. Une première erreur de casting serait… de faire un casting. La scène doit être ouverte à tous, avec une attention particulière aux minorités présentes, ou en retrait. Sans virer dans l’excès inverse, toutefois. Il faut aussi pouvoir accepter que certains restent au balcon. Il s’agit ensuite d’aider chacun à entrer dans son personnage. De donner confiance aux plus réservés, de s’assurer que chacun comprend ce qui est exprimé, que chacun écoute, aussi, ce que l’autre exprime. Il est bon de ranger au vestiaire ses costumes de ville - l’expert d’un côté, l’usager de l’autre - pour revêtir des tenues plus confortables qui permettent à chacun de faire partager ses compétences propres, ses expériences, son talent souvent insoupçonné. Et par ce biais, réussir la transition de l’individuel vers le collectif, pour mieux revenir à l’individu.
Tout cela, bien sûr, ne s’improvise pas. En tout cas pas totalement. Des règles existent, des méthodologies qui permettent à l’animateur, au metteur en scène, de repérer ce qui crée du lien entre les personnes, ce qui renforcera leur sentiment d’appartenance à un groupe, ce qui fera émerger leurs demandes ou leurs attentes individuelles, ce qui permettra de décoder les symboles, ce qui rassurera aussi, ou encouragera à poursuivre le projet dans les moments de doute. Projet qui chaque fois sera différent et imposera de revoir, de reconstruire, de réinterpréter la méthodologie. Les professionnelles de Similes en ont fait l’expérience avec un groupe de participation chargé d’émettre des recommandations en matière de politique de santé mentale. « Nous avons dû construire notre méthodologie au fur et à mesure », se souviennent-elles, et s’adapter en permanence au groupe et à ses évolutions. Pour elles, il s’est avéré indispensable de bénéficier d’un encadrement extérieur. Tant pour réinterroger et adapter leur méthodologie que pour exprimer leurs interrogations, leurs doutes, leurs démotivations aussi qu’elles ne pouvaient partager avec le groupe. Car le groupe, lui, réclame un cadre sécurisant. Tout cela implique bien sûr d’accepter la remise en question ; de soi, des participants, de l’institution aussi, sans craindre le rapport de forces, plus souvent constructif que négatif. C’est là la part d’improvisation la plus grande, digne d’une ligue pro, qui implique une solide préparation, et un bon encadrement.
Enfin, un certain nombre d’adjuvants contribuent à la réussite du projet participatif. À commencer par le temps. Valeur d’autant plus précieuse que rare, le temps permet d’entendre, d’impliquer, de collectiviser. S’il est bon d’indiquer d’emblée l’échéance du projet, il faut qu’elle soit suffisamment éloignée pour que tous les processus aient le temps d’aboutir. Autre valeur, brute celle-là, l’argent. Il n’est pas indispensable à tout projet, mais est utile, éventuellement, à défrayer les participants, à financer des enquêtes, du matériel, à louer un lieu. Le comité de quartier Saint-Piat en a fait l’expérience en investissant de nouveaux locaux. Les acteurs de la participation ont besoin d’une scène où se produire, idéalement hors du contexte de la maison médicale, en lien avec le quartier et le tissu associatif, où ils pourront évoluer en confiance.
On le voit, nombre de bonnes pratiques s’adressent d’abord aux animateurs, facilitateurs de la participation. Mais ceux-ci sont trop souvent isolés ; comme s’ils étaient seuls en charge de la participation et responsables de sa réussite. Or, deux autres catégories d’acteurs jouent un rôle déterminant dans tout projet. Il y a les usagers, on l’a vu, qui ne sont pas forcément demandeurs de participer a priori. Qui le sont d’autant moins que la société qu’on leur donne en modèle est d’abord individualiste, prône le repli sur soi et sur son écran plasma. Et il y a, de l’autre côté, les « professionnels » des maisons médicales. Aussi généreux soient-ils, ils ne sont pas tous naturellement prêts à l’aventure de la participation. D’abord, ils n’en ont pas toujours le temps. Soigner est leur priorité, et souvent plus qu’à temps plein. Ils n’ont généralement pas de formation en santé communautaire. Et ils ne sont pas tous, a priori, convaincus de l’utilité de la démarche.
À ce stade, il n’existe guère d’études statistiques sérieuses pour démontrer tous les bienfaits de la participation sur la santé. Celle-ci a beau être vécue dans certaines maisons médicales, coulée dans la loi, illustrée par nombre d’expériences variées, ses vertus gagneraient peut-être à être davantage démontrées. C’est un nouvel acte de la pièce, qui reste à écrire.
L’auteur remercie Ingrid Dubois, Sophie Darimont et Benjamin Fauquert pour leur aide dans la réalisation de cet article.
[1] 1. Décret relatif à l’offre de services ambulatoires dans le domaine de l’action sociale, de la famille et de la santé du 5 mars 2009, Art. 15, 2°.
[2] 2. Réseau d’information pour le développement durable et la solidarité internationale.
[3] 3. Au delà de la convivialité, l’espace public – Les budgets participatifs du CPAS de Charleroi ; 2008, p 10.
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