Notre voyage du Brésil au Canada et de Guinée en Roumanie nous a appris que les centres de santé de premier niveau peuvent montrer bien des visages différents. Pourtant des traits communs les rassemblent et rendent légitime une modélisation de critères de qualité montrant comment ils s’insèrent dans les systèmes de santé.
Nous parlons tout au long de ce cahier de critères pour définir des centres de santé. Mais ces centres ne sont pas isolés. Ils sont partie intégrante d’un système de santé, et d’un contexte. Les critères de définition d’un centre de santé, son mode d’organisation, ses missions vont donc aussi dépendre et de sa place dans le système et des caractéristiques du système. Ainsi, de sa place, ce centre peut contribuer à remplir les objectifs globaux en matière de santé.
Pour préciser des critères qui déterminent des centres de santé de première ligne, il faut donc faire un détour par les critères qui caractérisent l’ensemble du système, ou chacun de ses composants…
Considérons que l’objectif d’un système de santé est de soutenir le bien-être des individus et des populations. Pour poursuivre cet objectif, il doit organiser ses acteurs, ses services, ses actions, ses politiques dans ce sens.
Le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine, en son temps, et le département de santé publique de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers ont petit à petit construit un cadre d’analyse à partir de leurs observations de terrain. Si l’on considère comme point de départ un ensemble de valeurs partagées - une boussole, une orientation à suivre - comment envisager l’organisation des soins, des services et des systèmes, en cohérence avec ces valeurs ? Différents niveaux d’analyse sont utiles pour regarder cette question. On peut les schématiser comme les marches d’un escalier, dont la colonne vertébrale reste les valeurs qui sous tendent la qualité du système : l’équité, la solidarité, l’efficacité et l’efficience, la participation et l’autonomie. Le tableau 1 (voir page suivante) schématise ces relations [1].
Dans un système de santé, des acteurs fournissent des soins qui devraient répondre à certains critères de qualité. L’école de pensée d’Anvers propose notamment les critères suivants : la globalité (ou soins centrés sur le patient), la continuité (un épisode est pris en charge de son début à sa fin), l’intégration du curatif, préventif, promotionnel, ainsi que l’efficacité.
Ce qui fait aussi la différence, c’est la manière selon laquelle les prestataires organisent leur travail. Ils peuvent se limiter à une approche uniquement clinique, ou alors adopter une démarche de santé publique. Le tableau 2 en page suivante synthétise l’influence du choix de l’approche sur le rôle et l’attitude du personnel soignant.
Ces soins sont fournis par des services ou institutions de soins de santé. Ces institutions ont la responsabilité de fournir des services accessibles et acceptables.
Ces services ont des places différentes dans le système de santé, et en fonction des missions qu’ils ont à remplir, on peut déterminer la manière dont ils devraient remplir certaines caractéristiques, selon trois axes :
Degré géographique de centralisation-décentralisation
Degré géographique de centralisation : être dans la ville centrale, (une seule ou peu de structures) ; degré de décentralisation (être plus proche de la population, dans les villages et quartiers). Les structures décentralisées ont l’avantage d’être plus proches des populations. C’est intéressant quand il s’agit d’apporter des réponses à un large éventail de problèmes de santé courants. Par contre leur degré de décentralisation diminue leur efficacité pour des problèmes rares et complexes qu’elles vont trop peu rencontrer dans une population petite. Pour ces situations, et celles qui nécessitent de rassembler du matériel ou des ressources importants et coûteux, il vaut mieux des structures plus centralisées. Ainsi, par exemple, les centres de soins primaires nécessitent d’être décentralisés. L’hôpital universitaire est centralisé.
La nécessité de permanence – la périodicité du service
Un service d’urgences doit être ouvert en permanence. Un poste de garde de médecine générale doit être ouvert la nuit et les weekends, une maison médicale toute la semaine en journée. Certains services plus spécialisés peuvent avoir des horaires d’ouverture plus limités, ne prenant pas en charge des situations urgentes mais des situations pour lesquelles une planification est possible.
Degré de spécialisation - de polyvalence
Un service polyvalent prend en charge l’ensemble des problèmes de santé, pour l’ensemble de la population, directement ou via des références. Tandis qu’un service spécialisé prend en charge un nombre limité de problèmes de santé. Un service spécialisé ne signifie pas nécessairement une compétence plus élevée, mais un champ spécifique de compétence plus précis.
Ainsi un centre de soins de santé primaires doit être très polyvalent. D’autres structures, même très décentralisées peuvent être plus spécialisées, comme les centres de planning familial.
Un service peut se situer à des niveaux différents sur chacun de ces trois axes.
Si un centre de soins de santé primaires est décentralisé, polyvalent et permanent, d’autres services peuvent être décentralisés, plus spécialisés et plus périodiques, ou au contraire très permanents mais moins décentralisés, et ainsi de suite…
Le choix du degré de centralisation, de permanence et de polyvalence d’un service impliquera de mettre en balance différents critères tels que : type de qualité des soins recherché, niveau d’accessibilité requis, type de compétence nécessaire, efficience... Apporter une réponse à l’ensemble des problèmes de santé nécessite des services avec différentes caractéristiques. Mais le service de premier contact ne peut être que décentralisé, polyvalent et permanent, dans un but d’accessibilité et de qualité des soins.
Voici une autre manière ci-dessous de regarder ces services de santé et leur appartenance institutionnelle, au regard de leur finalité :
En effet, on peut malheureusement trouver des institutions qui sont d’appartenance publique, mais poursuivent des logiques de finalité privée ou lucrative : détournement de la patientèle aisée vers la consultation privée, consultations à deux vitesses, … Et inversement, rencontrer des institutions d’appartenance privée, mais qui poursuivent une finalité publique : c’est le cas de beaucoup d’asbl, comme des hôpitaux, mais aussi les maisons médicales ou la plupart des centres de service ambulatoire du secteur associatif.
Enfin, les niveaux de soins s’inscrivent dans un système de santé. La responsabilité du système de santé est de veiller à la complémentarité et la coordination des niveaux :
Pas de trou dans la couverture des problèmes : veiller à ce que le système dans son ensemble apporte une réponse adéquate à tous les problèmes de santé (dans la limite de l’utilisation efficiente des ressources disponibles).
Pas de chevauchements dans les fonctions : chaque élément du système remplit les fonctions spécifiques qui correspondent le mieux à ses caractéristiques. Ainsi, les services de première ligne, décentralisés et polyvalents, sont habituellement les mieux à mêmes de développer l’interface entre les services et la communauté, et de délivrer des soins de santé centrés sur le patient, continus et intégrés, pour la majorité des problèmes. Par contre, les services de référence viennent compléter la capacité résolutive des services de première ligne pour prendre en charge les patients qui requièrent des soins qui ne peuvent pas être décentralisés. Ils n’entrent pas en compétition avec les services de première ligne pour les fonctions de première ligne.
Le système doit encore garantir une bonne circulation des patients et de l’information. Il faut que le patient reçoive une réponse à son problème par l’élément le plus approprié du système. Pour cela, il s’agit de favoriser le recours par les usagers au niveau le plus adéquat en fonction de leurs besoins : par exemple, qu’on n’aille pas directement au niveau plus spécialisé si le niveau plus polyvalent et décentralisé aurait suffit pour répondre adéquatement au problème. Inversement, si le niveau très spécialisé est nécessaire, qu’il n’y ait pas d’obstacle à son accès. L’information doit également suivre le cheminement du patient dans le système, entre les services.
La réponse à ces défis nécessite que les différentes lignes de soins (ambulatoire, hospitalier, polyvalent, spécialisé, …) travaillent de manière coordonnée. La coordination entre les niveaux de soins est quelque chose de permanent parce que le partage de tâches et de missions peut évoluer dans le temps et en fonction du contexte local. Ainsi, la frontière entre les lignes de soins n’est jamais définitive. Des fonctions remplies aujourd’hui par un hôpital pourraient l’être demain par un service ambulatoire. Et inversement. Un service pris en charge ici par un hôpital pourrait l’être dans un autre pays par un dispensaire de proximité. L’important est de veiller à la non-redondance et au bon recouvrement des besoins. Cela nécessite d’expliciter les missions de chacun, de travailler sur les complémentarités et de définir des critères communs de référence et contre-référence.
Il faut aussi remarquer que le système de soins de santé ne se compose pas uniquement des prestataires et des services. Il comprend des structures administratives et de gestion, des agences de financement et de contrôle, en Belgique des acteurs impliqués dans les systèmes de concertations (mutuelle, syndicats interprofessionnels) et, last but not least, des communautés, individus, familles dans leur environnement social.
Le système d’organisation des soins de santé est régi par la politique de santé qui devrait viser le ’Bien-être’ du plus grand nombre tout en veillant à l’équité et à la solidarité. Cette politique de santé s’inscrit dans un cadre plus large, celui des politiques favorisant la santé. En ce qui concerne la promotion de la santé en particulier, le rôle de la politique de santé et des politiques favorisant la santé est primordial : elles permettent des actions de promotion de la santé qui ne sont pas seulement le fait des travailleurs de santé mais qui impliquent l’ensemble des citoyens, chacun à son niveau, dans la promotion d’une meilleure santé.
Comment définir la finalité publique ?
Giusti, Criel et de Béthune [2] ont proposé les cinq critères suivant pour apprécier la finalité publique d’une offre de soins :
Avoir une perspective sociale : se préoccuper de favoriser le bien-être et l’autonomie des usagers dans un climat de dialogue et d’harmonie avec le contexte socio-économique environnant,
L’absence de discrimination dans l’offre de soins, quelque soit la race, la religion, l’affiliation politique, le statut social ou le niveau de revenu...
Une offre en relation avec une population définie pour laquelle le service se sent responsabilisé et vis-à-vis de laquelle il est prêt à rendre compte (accountability),
En accord avec la politique de santé : respect de la politique des autorités en matière de niveau de soins offerts et en accord avec le plan plus général de couverture (pour autant que cette politique soit adéquate),
Un but non lucratif : un engagement que l’objectif du service ne se réduise pas à générer du profit. Bien sûr le staff a droit à de bonnes conditions de travail dans un service pérenne. Si du profit est possible, il devrait être réinvesti dans le service même ou dans des activités sociales similaires en accord avec les usagers.
[1] Monique Van Dormael et Guy Kegels, Introduction à l’axe « Organisation des Services de Santé », IMT, Anvers, 1999.
[2] The case of health care delivery in sub-Saharan Africa (Giusti & al. 1997).
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...