Depuis 2000, le Service éducation pour la santé (SES) mène des projets de promotion de la santé auprès des personnes détenues et du personnel pénitentiaire en Wallonie et en Région bruxelloise. Ces actions portent sur la prévention des infections transmissibles, la réduction des risques liés aux consommations, le renforcement de la santé mentale et l’amélioration des conditions de détention.
Les conditions de vie en milieu carcéral – promiscuité, surpopulation, manque d’hygiène, accessibilité restreinte aux moyens de prévention, prévalence élevée des infections transmissibles, nombreuses consommations problématiques, manque d’accès à une nourriture saine – engendrent de nombreux risques. Au sein d’une population carcérale déjà fragilisée (niveau de formation bas, passé professionnel instable, réseau social faible ou fragilisé par le statut d’incarcération…), la prison crée de nouvelles inégalités sociales de santé. Dans ce contexte particulier, le SES, reconnu par les responsables locaux, développe une approche participative et communautaire permettant aux personnes détenues d’être ou de devenir acteurs de leur santé. Nos actions visent à améliorer la qualité de vie (mieux-être physique, psychique et social durable) ainsi qu’à réduire ces inégalités sociales de santé creusées par la détention, tout en privilégiant l’acquisition de savoirs et de savoir-être favorables à une réinsertion en santé.
Le SES est indépendant du SPF Justice et cela nous confère une place spécifique auprès des personnes détenues. Effectivement, celles-ci nous identifient clairement comme étant un service extérieur à l’institution carcérale, ce qui incite au dialogue et invite à la confiance. Nous travaillons avec les personnes détenues sur ce qu’elles identifient comme prioritaire pour leur santé et leur bien-être. Cependant, il existe de nombreux problèmes sur lesquels nous n’avons pas ou peu d’impact comme les problèmes de prise en charge des soins bucco-dentaires par exemple. Notre rôle de plaidoyer prend ici tout son sens ainsi que notre investissement dans la participation systématique à de nombreux groupes de travail [1] où nous relayons les problématiques et les réalités de terrain.
Le système pénitentiaire est un milieu fermé prioritairement axé sur l’aspect sécuritaire et cela a un impact sur l’organisation pratique de nos activités. Demandes d’autorisation d’entrée pour les collaborateurs et le matériel, contrôles de sécurité, difficultés liées aux mouvements des personnes détenues… sont des contraintes avec lesquelles nous devons jongler quotidiennement. De manière générale, les directions soutiennent notre démarche, a minima parce qu’elles reconnaissent la nécessité de réduire les risques. Cependant, il arrive que nous ne soyons pas les bienvenus. La mise en place de nos actions représente une charge de travail supplémentaire pour les différents services pénitentiaires dont les effectifs sont réduits. Il est déjà arrivé que nos projets s’essoufflent ou s’arrêtent à cause d’un soulèvement syndical ou d’un changement de direction. De plus, les transferts de personnes détenues entre prisons, les visites, les rendez-vous médicaux et avec les avocats, le travail, les formations qualifiantes, le préau et, souvent, un moral en dents de scie influencent la participation des individus à nos activités. Il est fréquent que ces personnes aient à choisir entre aller au préau – seule sortie de la journée – et participer à nos activités. C’est un choix particulièrement difficile que nous comprenons. Pour agir, patience, ténacité et adaptabilité sont des qualités essentielles que nous nous devons de développer, car le milieu carcéral est, de toute évidence, néfaste pour la santé des individus. La place qui leur est accordée, ainsi qu’à la promotion de la santé, est encore bien trop faible.
Vu les importantes différences de besoins et de possibilités d’actions d’un site pénitentiaire à l’autre, le SES propose un programme modulable de cinq activités : rencontres santé, rencontres alimentation, rencontres mieux-être, pause-café et la mise en place d’actions d’éducation des pairs par les pairs.
Elles visent l’échange d’expériences et l’acquisition de connaissances liées à la santé globale, la prévention et la réduction des risques. Notre approche se veut interactive, positive et réaliste. De nombreuses personnes détenues sont très inquiètes par rapport à leur santé et aux risques qu’elles peuvent prendre ou rencontrer. Des idées reçues circulent encore également (« Je fais du sport avec une personne porteuse du VIH, vais-je l’attraper ? »). Nous souhaitons que les participants à ces rencontres puissent identifier les risques, quand il y en a, et s’en protéger. Pour ce faire, il est important de connaître quelques notions de base : qu’est-ce qu’un microorganisme ? Quels en sont les différents types ? Comment se transmet le VIH ? Et l’hépatite C ? Quels sont les moyens de prévention ? Notre position permet une liberté de parole franche quant aux pratiques à risque (sexuelles, partage de matériel d’injection…). Les participants font part de leurs expériences, de leurs idées ; ils posent des questions, proposent des solutions, partent de leur vécu. Nos animateurs amènent une information claire et en lien direct avec leurs préoccupations.
On est loin des grands réfectoires américains que l’on peut voir au cinéma. Ici, chacun mange dans sa cellule le plat qui lui est apporté. Les personnes incarcérées mangent régulièrement le même menu de semaine en semaine. Les rencontres alimentation sont des ateliers culinaires au cours desquels un groupe de personnes détenues prépare et déguste des plats équilibrés à petit budget à partir de légumes et fruits de saison. En fonction des attentes des participants, différents sujets sont abordés : l’équilibre nutritionnel, la budgétisation d’un menu, la qualité énergétique des aliments, le surpoids, l’activité physique…
Ces moments autour de l’alimentation favorisent la convivialité et les rencontres en réunissant les participants autour d’une table qu’ils ont dressée pour déguster le repas choisi et préparé ensemble. Ces rencontres, animées par des diététiciennes, sont l’occasion d’apprendre ou de réapprendre des pratiques culinaires simples et de redécouvrir le plaisir du « vivre et agir ensemble » dans le respect des cultures de chacun.
Ce sont des espaces d’échange où la santé mentale est abordée sous l’angle de la connaissance de soi, de l’expression émotionnelle, de l’estime de soi, de la Communication NonViolente®, de la gestion du stress et des conflits. Ces rencontres visent à induire un mieux-être chez les personnes détenues par le biais d’ateliers de réflexion et d’ateliers pratiques. Travailler le renforcement de la santé mentale est indispensable pour limiter l’impact négatif de la détention afin que ces personnes puissent aborder leur parcours en prison et, ensuite, de réinsertion sociale, familiale et professionnelle de façon la plus optimale possible. Le travail sur les émotions requiert une mise en mots et un vocabulaire particulier. Or, certaines personnes éprouvent des difficultés pour parler et s’ouvrir. De par leur vécu, mais aussi parce qu’il n’y a pas beaucoup de place pour cela en prison, elles se barricadent. Le but n’est pas de leur apporter un suivi psychologique (le cas échéant, nous encourageons une réorientation vers les thérapeutes), mais de leur proposer des outils pratiques qu’ils peuvent utiliser pendant leur détention, mais aussi à l’extérieur.
Nous avons initialement créé cette activité dans un établissement de défense sociale. En réponse à un problème grandissant de consommations problématiques, l’institution envisageait une démarche essentiellement répressive (faire venir des chiens renifleurs). Nous leur avons suggéré qu’il y avait sans doute d’autres approches possibles… Le projet permet à chacun de questionner ses consommations, qu’elles soient problématiques ou non, licites ou non : psychotropes, boissons énergisantes, médicaments, alimentation compulsive, jeux, sexe, réseaux sociaux, achats… Ces pauses-café sont des moments qui permettent aux participants de comprendre le concept de dépendance, de s’interroger sur les aspects légaux et illégaux, de questionner les différentes motivations liées aux consommations et de connaître les éléments de réduction des risques.
Dans un premier temps, nous proposons une formation de base centrée sur les infections à forte prévalence en milieu pénitentiaire (hépatites virales, VIH, tuberculose, gale…), mais aussi sur l’hygiène, l’alimentation, les assuétudes et la gestion du stress. En plus de ces thématiques, nous abordons les enjeux liés au rôle de relais ainsi que la déontologie qui l’accompagne, tel que le secret de la confidence. À l’issue de cette formation de base, les participants forment un groupe de « détenus contact santé » (DCS) ou d’« agents relais santé » (ARS) dont la mission est d’être des relais santé pour leurs pairs (détenus, agents, familles, proches).
Un des objectifs des DCS est ce que nous appelons « les circulations ». Ils peuvent circuler dans les différentes ailes de la prison, faire du porte-à-porte, se présenter, expliquer leur rôle, inviter les personnes détenues à leur poser des questions. Ils sont des relais, ils doivent donc aller vers les autres. Organiser cela n’est pas une tâche aisée. Dans certains établissements, il ne nous a jamais été possible de former un groupe DCS à cause du turn-over très important des personnes détenues et des agents, de la forte surpopulation, du manque de locaux disponibles ou du manque de volonté du personnel pénitentiaire.
Dans un second temps, nous accompagnons ces groupes dans la mise en place de projets et d’actions en lien avec la santé. Il s’agit de rendre possible l’action communautaire afin d’influer positivement sur le milieu de vie. Une fois par mois au minimum, les DCS et les ARS se réunissent pour créer et mettre en œuvre des projets en vue de chercher des solutions à des problématiques soulevées par leurs analyses de situations. Petits ou grands, les résultats sont toujours en lien direct avec le quotidien des personnes détenues ou du personnel pénitentiaire. À Andenne, par exemple, les personnes détenues ont obtenu davantage de fruits par semaine (au lieu d’un seul !). À Marche-en-Famenne, les DCS ont mis la main à la pâte pour pallier le manque d’hygiène de certaines cellules, car ils avaient identifié cette problématique comme un symptôme de dépression chez certains individus. Ils ont aussi souhaité travailler sur la réouverture de cuisines communautaires fermées pour cause d’entretien défaillant, un enjeu identifié comme extrêmement important pour le bien-être collectif. Participer à un projet ou en être le moteur est un facteur qui favorisera le retour à la vie citoyenne.
En complément à ces cinq activités, le SES veille à se montrer réactif face aux demandes particulières des directions pénitentiaires ou de partenaires. Nous travaillons également au développement d’outils de prévention adaptés au milieu carcéral (pochette préservatif avec lubrifiant à base d’eau, brochure sur les risques professionnels, carte aide-mémoire…). Depuis dix-sept ans, le SES vise tant le développement positif de la santé des personnes incarcérées que l’amélioration de ce milieu de vie si particulier, la prison. Un travail complexe, mais humainement passionnant et définitivement indispensable.
[1] L’équipe du SES est présente et active dans différents lieux de concertation (carcéral, associatif et politique) : Fédération wallonne et bruxelloise de promotion de la santé, Concertation des associations actives en prison, Comité de pilotage et d’appui méthodologique des stratégies concertées du secteur sida…
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...