Vous êtes ici :
  1. Santé conjuguée
  2. Tous les numéros
  3. Bien se loger, mettre sa santé à l’abri
  4. Le logement est-il vraiment un droit ?

Le logement est-il vraiment un droit ?


18 juin 2019, Christine Vanhessen

directrice de la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA)

Le logement constitue un droit fondamental, mais il est pourtant de moins en moins accessible au public hébergé en maison d’accueil. Un logement convenable aura un loyer trop élevé, tandis qu’un logement bon marché sera souvent insalubre, ou bien il faudra attendre dix ans pour bénéficier d’un logement social [1].

Le nombre de personnes sans-abri ou mal logées augmente d’année en année. Parmi elles, des hommes et des femmes, mais aussi un nombre grandissant d’enfants accompagnant leur(s) parent(s).

Le sans-abrisme et le mal-logement sont certainement la partie visible de la pauvreté et de la grande précarité. Les problématiques rencontrées par ce public sont multiples et complexes, souvent imbriquées. Il peut s’agir de surendettement, de santé mentale, de toxicomanie, de violences conjugales, etc. La séparation avec le partenaire (violent) et la perte du logement suite à une expulsion restent néanmoins les raisons les plus souvent invoquées [2].

Le logement est un droit !

Le logement est un droit, mais une partie de la population n’en dispose pas et une autre vit dans des lieux dont la vétusté et la salubrité laissent à désirer.

Il existe des freins à l’accès à un logement tels que son coût et celui des charges, la situation géographique (certains quartiers sont densément peuplés, d’autres se situent dans des zones dépourvues de services et de commerces), l’architecture qui n’est pas toujours adaptée aux besoins, notamment à ceux des personnes à mobilité réduite. Il existe aussi malheureusement des exclusions liées à des discriminations : origines ethniques ou religieuses, situation administrative du locataire (dispose-t-il de papiers ou non ?), revenus (une personne bénéficiant du revenu d’intégration sociale, le RIS, aura des difficultés à constituer une garantie locative ce qui freine beaucoup de bailleurs), etc.

La situation économique des habitants est également un facteur permettant d’expliquer la difficulté qu’éprouvent certains d’entre eux à accéder à un logement. Pour les bénéficiaires du RIS, par exemple, se loger sur le marché locatif privé implique de consacrer une part particulièrement importante de leur revenu au loyer (la moitié à plus de deux tiers, selon la situation familiale). En 2016, à Bruxelles, sur base du loyer médian pour un appartement une chambre, une personne isolée devait consacrer environ 70 % de son budget au loyer. Il ne lui restait donc que 267 euros par mois pour ses autres dépenses (charges, alimentation, frais médicaux…), ce qui implique bien souvent des situations de privations, d’endettement ou de report de soins [3]. La situation ne s’est pas améliorée depuis trois ans.

Les loyers et les prix de vente élevés, la vétusté et l’insalubrité de certains logements et la pauvreté grandissante des citoyens ont pour conséquence qu’une partie de la population vit dans des logements surpeuplés, de mauvaise qualité, est parfois contrainte de quitter sa ville ou sa région, voire de se retrouver dans certains cas sans logement du tout [4].

Sans-abri, sans-logement, mal logé…

Les causes du sans-abrisme sont multiples : isolement social, problèmes relationnels, économiques, administratifs, de toxicomanie, troubles psychiques graves… Souvent, ces difficultés se combinent pour entrainer la personne dans la spirale de la précarité. L’exclusion liée au logement est un processus qui peut concerner beaucoup de ménages à différents moments de leur vie, elle intègre également les personnes « en risque » de sans-abrisme. La perte du logement est un évènement charnière, à la fois conséquence et puissant amplificateur de la précarité. « On ne devient pas sans-abri par hasard. Si la chute est rapide, s’en sortir relève du parcours du combattant », constate un travailleur social.

Selon les situations [5], on distingue :
- les sans-abri sont des personnes vivant à la rue, en hébergement d’urgence ou en abri de nuit ;
- les sans-logement sont des personnes vivant dans des structures d’hébergement de moyennes durées telles que les maisons d’accueil ;
- les personnes en situation de logement précaire sont des personnes habitant dans des logements, mais qui sont menacées d’expulsion ou qui sont victimes de violences domestiques ;
- les personnes en situation de logement inadéquat sont des personnes vivant dans des structures provisoires/non conventionnelles, en squat, en logement indigne ou dans des conditions de surpeuplement sévère.

L’AMA définit la personne sans-abri comme « une personne qui ne peut temporairement accéder à un logement à usage privatif adéquat, ou le conserver, à l’aide de ses propres ressources ». Il peut s’agir d’hommes ou de femmes, seuls ou en couple, avec ou sans enfants à charge, de personnes qui vivent depuis des années dans la rue, de personnes migrantes qui arrivent en Belgique et se retrouvent sans toit, ou encore de femmes accompagnées d’enfants qui viennent d’être expulsées de leur logement ou de quitter leur conjoint violent.

Lors de leur admission, les principaux problèmes liés à la perte de leur logement qu’évoquent les hébergés sont une rupture dans leur situation familiale et une décision administrative (comme beaucoup d’expulsions pour insalubrité du logement). Lorsque les travailleurs sociaux leur demandent quel projet ils veulent mettre en place, c’est presque toujours la stabilisation par le logement et par le travail qui est exprimée [6].

Le logement comme porte d’entrée et de sortie

L’absence de logement ou le mal-logement sont des portes d’entrée dans le secteur sans-abri. C’est aussi ce logement qui devient, inéluctablement, une porte de sortie. Mais pas à n’importe quel prix.

Financièrement d’abord. Les loyers sont très élevés pour le public du secteur dont la toute grande majorité bénéficie d’un revenu de remplacement ou du RIS.

Fonctionnellement ensuite. L’isolement social vécu/subi par une part importante des personnes accompagnées nécessite de repenser le logement, de réfléchir à des milieux de vie « hors normes » tels que les habitats solidaires.

Au vu des difficultés pour accéder à un logement, il n’est pas rare de voir des séjours en maisons d’accueil se prolonger faute de « solution de sortie ». Cela a pour conséquence de ne pas pouvoir accueillir de nouvelles personnes, mais pas seulement. La mission des centres d’accueil et d’hébergement est de tendre à l’autonomisation des personnes qui sont accompagnées, et l’insertion sociale par le logement joue un rôle majeur. Rester plusieurs mois (ou plusieurs années) en maison d’accueil a un impact sur les relations entre les membres d’une famille et sur leur socialisation. Comment imaginer qu’une vie dans des espaces communautaires (la cuisine et le salon sont partagés avec d’autres familles) soit sans effet… Sans compter les impacts éventuels sur les rôles parentaux, sur la gestion du budget ou des repas…

Quelles sont les solutions ?

Pour le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, un vrai grand plan logement ambitieux est indispensable pour éliminer la pauvreté. Cela implique : un logement locatif ou acquisitif pour chaque personne, pour chaque ménage ; du logement public de qualité, partout et en suffisance, payable dans une proportion raisonnable par rapport aux revenus, sans privation de chauffage et peu énergivore pour le portefeuille et la planète, sans entrave au droit à l’eau, diversifié, modulable, évolutif et non spéculatif. Le logement (et l’accompagnement) étant la base de la sortie de la spirale de la pauvreté, comme le soutien à la reconstruction d’un parcours de vie en dents de scie [7].

À la Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri, le premier axe de travail consistant à créer du logement de qualité à prix abordable pour le plus grand nombre sera bien entendu notre crédo. Qu’il s’agisse de logement privé, public-privé ou public, l’éventail des actions concrètes et réalistes est large. Cet axe de travail peut être contraignant, en imposant par exemple des quotas de logements sociaux par commune. Et il doit être ouvert à des initiatives innovantes d’expérimentation de plusieurs formes d’habitats (groupés, intergénérationnels…). Ce logement doit être durable. Il est donc nécessaire de prévoir des mécanismes de maintien des Bruxellois et des Wallons en logement, soit par le biais d’aides financières telles que les allocations de loyer ou les aides à la constitution de la garantie locative, soit par le biais d’actions impactant positivement les dépenses en énergie, par exemple.

Un deuxième axe consiste à renforcer les services réalisant de l’accompagnement en logement. Qu’il s’agisse du suivi post-hébergement permettant la mise en logement après une période d’hébergement en centres d’accueil, de la guidance à domicile qui permet d’envisager un accompagnement psychosocial, juridique et éducatif sur le long terme ou encore du Housing First qui permet à des personnes cumulant de longs épisodes de sans-abrisme avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie d’accéder à un logement tout en étant accompagnées par une équipe pluridisciplinaire de travailleurs sociaux, d’infirmiers, de psychologues. Enfin, le troisième axe consiste à mettre en place des mécanismes de soutien qui facilitent les contacts avec les propriétaires, tels que les capteurs de logements ou les agences immobilières sociales. Ces dispositifs sensibilisent les propriétaires/bailleurs aux publics précarisés tout en travaillant sur les préjugés.

Ce sont des solutions pour que des personnes ayant vécu un épisode de sans-abrisme puissent se réinsérer durablement dans un logement. Mais nous sommes convaincus qu’il faut mettre également en place des mécanismes pour éviter que des personnes perdent leur logement. Faire face au sans-abrisme, c’est développer des réponses politiques à la croisée des compétences relevant du logement, du sans-abrisme, de la lutte contre la pauvreté et de la réduction des inégalités sociales.

Individualiser les droits sociaux

En 2015, le colloque de l’AMA « Le logement à Bruxelles : quel accès pour les sans-abri ? » [8] se terminait de la sorte : « Selon nous, la première réponse à la crise de logement que connait Bruxelles depuis de nombreuses années est l’augmentation du parc locatif de logements sociaux. La pénurie de logements sociaux et leur inadéquation face aux nouvelles configurations familiales (augmentation des isolés, des familles monoparentales ou des familles nombreuses) doivent absolument être résolues par une augmentation de l’offre publique de logements à destination des Bruxellois les plus pauvres.

Il est évident que le volet préventif à la perte de logement mérite une attention toute particulière des pouvoirs publics. À ce titre, les services d’accompagnement à domicile, les associations d’insertion par le logement et les CPAS doivent être soutenus dans leur travail de maintien en logement afin d’éviter de nouvelles situations de sans-abrisme. De plus, compte tenu de la faiblesse des revenus de la majorité des personnes sans-abri, du coût du loyer et des charges liées au logement, l’individualisation des droits sociaux reste pour nous une piste prioritaire afin de rétablir les possibilités de solidarité familiale et le développement de formes d’habitations “collectives” qui permettent également de lutter contre l’isolement. »

En l’élargissant à la Wallonie, cette conclusion reste toujours d’actualité ! 

[1C. Menning, C. Vanhessen, Les maisons d’accueil agréées par la Commission communautaire française, Rapport sectoriel, 2018.

[2J. De Witte, Recueil central de données des maisons d’accueil et des centres d’hébergement d’urgence en Région de Bruxelles-Capitale, La Strada, 2017.

[3Ibidem.

[4M. Englert, S. Luyten, D. Mazina, S. Missine, Baromètre social, rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, Observatoire de la santé et du social Bruxelles, 2017.

[5Typologie européenne de l’exclusion liée au logement (ETHOS) conçue par des associations membres de la Fédération européenne d’associations nationales travaillant avec des personnes sans-abri (FEANTSA).

[6C. Menning, C. Vanhessen, op cit.

[7Campagne politique 2019 du RWLP.

[8Les actes du colloque sont disponibles sur www.ama.be.

Cet article est paru dans la revue:

n°87 - juin 2019

Bien se loger, mettre sa santé à l’abri

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

Dans ce même dossier