La Fédération des maisons médicales a invité des professionnels à partager les difficultés liées à leurs pratiques, leur vision des défis et des enjeux d’une approche globale social et santé. Ces rencontres ont alimenté la réflexion que voici.
Ces enjeux sont principalement de deux ordres. Politiques, ils sont dictés par une compréhension large de ce qu’est la santé et se réfèrent à la démocratie sanitaire. Organisationnels, ils concernent la coordination des interventions et l’accessibilité dans tous ses aspects. Ils sont aussi en prise directe avec l’efficience du système. La question du financement traverse ces deux dimensions.
La santé n’est pas une fin en soi. Conformément à la définition de la santé de l’OMS, c’est le bien-être qui est visé. L’approche biomédicale ne suffit pas à l’amélioration du bien-être de la population. Le soutien psychologique et le travail social font partie du soin. Des modèles conceptuels des déterminants de la santé comme celui de Dahlgren et Whitehead [1] ou celui du ministère de la Santé et Services sociaux du Québec[[Cadre conceptuel de la santé et de ses déterminants : une réfl exion commune. Montréal, Direction des communications du ministère de la Santé et des Services sociaux, 2010.] mettent en évidence l’ampleur de ceux-ci, des habitudes de vie au contexte social, culturel, politique, économique, environnemental en passant par les conditions de travail ou l’aménagement du territoire. Ces dimensions ne sont pas encore intégrées dans les politiques et le système de santé. Ce dernier, inspiré par le principe de la division du travail, sépare le soin de la dimension sociale. Le soin est découpé en fonctions (curative, préventive, services de santé infantile et maternelle, santé mentale, hôpitaux, maisons de repos…). Un changement de paradigme est nécessaire pour développer l’indispensable approche transversale et intégrée, des fonctions, des déterminants.
Revoir l’organisation de la première ligne c’est aussi l’opportunité de repenser le système de santé en termes de démocratie sanitaire. Il s’agit d’associer les acteurs de ce système, tant les professionnels que les usagers des services, à l’analyse des besoins et à la définition des priorités, dans un esprit de dialogue et de concertation. Actuellement en Belgique, la représentation des patients dans différentes instances se développe, essentiellement au sein des institutions hospitalières. L’analyse des apports et des limites de ces expériences peut être utile pour organiser la participation dans les lieux où s’orientent les politiques de santé et où s’organise leur mise en œuvre. Avec l’objectif que l’expertise des usagers puisse aussi bénéficier à la (ré)organisation de la première ligne. Cette logique est fondamentalement contradictoire avec la politique néolibérale omniprésente qui encourage la marchandisation des services de santé et donne bien plus de poids aux lobbies privés qu’aux citoyens et autres représentants de la société civile. Or les enjeux de santé publique nécessitent une régulation démocratique.
Depuis plusieurs années, le secteur des soins de santé connaît une pénurie de soignants. En première ligne, elle touche principalement les médecins généralistes, poussant à repenser la répartition des tâches entre eux et les infirmières, mais la pénurie menace également ces dernières. Plus largement, ne serait-ce pas l’occasion de repenser aussi la complémentarité de l’ensemble des métiers du soin et de l’action sociale ? Et encore plus largement de l’action communautaire, en santé, ou dans le champ de l’éducation permanente, de la culture ? Cette réorganisation gagnerait à se faire à l’échelle d’un territoire. Des rassemblements entre services et institutions pourraient soutenir une meilleure utilisation des moyens disponibles, une meilleure communication entre les acteurs, pour mieux répondre aux besoins des patients en étant plus proches des lieux de vie. Trouver la bonne taille de territoire, la bonne taille des centres et la définition adéquate de la structure en fonction de la complexité des problèmes rencontrés par la population sera un enjeu essentiel à la qualité de la première ligne et du système de santé. C’est probablement un des enjeux les plus importants et les plus délicats pour pouvoir répondre à des besoins diversifiés, répartis de manière hétérogène dans les différentes régions du pays.
On ne peut organiser la proximité des services de la même manière en région rurale qu’en région urbaine ; les problèmes de santé d’une population jeune ne sont pas non plus les mêmes que ceux d’une population plus âgée. Et tous les problèmes de santé ne requièrent pas des réponses complexes et coordonnées… La taille des centres devra donc être pensée en relation avec les besoins de la population, mais également en fonction de l’évolution des ressources et des moyens disponibles. Le modèle de centre « small is beautifull » risque de faire long feu, il devra en tous cas de s’ouvrir à plus de diversité.
Quels que soient les modèles imaginés (tous les acteurs rassemblés sous un même toit, des services répartis sur un territoire qui collaborent dans le suivi des patients qui le nécessitent…), la coordination des interventions des acteurs est nécessaire. Elle concerne tant les acteurs de la santé et du social que l’ensemble des acteurs présents sur un territoire dont l’action a un impact sur la santé.
Parmi les conditions pour travailler ensemble : définir et décrire les fonctions des différents acteurs, développer une fonction de coordination et autres dispositifs permettant la mise en commun des savoirs pour l’analyse des situations complexes, faire évoluer les cadres règlementaires ainsi que la formation des prestataires. L’expérience de centres multiagréments est une source d’inspiration.
L’organisation des centres aura à prendre en compte l’accessibilité pour tous les publics y compris ceux dont les difficultés rendent le travail complexe, voire lourd. La non-stigmatisation des personnes toxicomanes, sans-abris, souffrant de troubles psychiques, est un enjeu important. Réveiller la solidarité et soutenir l’inclusion, cela passera-t-il par la création d’espaces multifonctionnels associant aux services de soin et d’action sociale divers services à la population ? Et pourquoi pas une bibliothèque ou une épicerie à côté du centre de santé intégré ? De telles initiatives offrent des prétextes pour entrer dans le centre, mais comportent également le risque de diluer l’identité du lieu de soin. Et que la population ne le perçoive plus comme tel.
Une fois un territoire défini, la distribution des services sera-t-elle organisée en tenant compte de la répartition géographique de la population ? De sa mobilité ? Se déplace-t-on facilement ? Sur quelles distances ? Comment ? Les horaires et le fonctionnement des centres pourraient tenir compte des modes de vie de la population. L’organisation des services n’est pas toujours compatible avec les contraintes de la vie professionnelle… Vu la diversité et la complexité croissante des problèmes de santé, rendre les services accessibles financièrement, géographiquement et sur le plan de l’acceptabilité sociale devient un vrai défi, à relever au bénéfice de tous, car l’égalité est meilleure pour tous.
Ont participé : Isabelle Heymans (Médecins du monde), Marie Marganne (Fédération des maisons médicales), Céline Nieuwenhuys (Fédération des services sociaux), Anne-Françoise Pirson (Solidaris), Miguel Rosal Martins (Fédération des maisons médicales), Noémie Schonker (Fédération laïque des centres de planning familial), Pauline van Cutsem (Mutualités chrétiennes).
[1] M. Whitehead, G. Dahlgren, « What can we do about inequalities in health ». The lancet, 1991, n°338.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...