Santé conjuguée a souvent abordé la problématique des médicaments, que ce soit pour questionner les mécanismes et orientations actuels de la recherche, pour déplorer la pression au « tout au médicament » qui déprécie les approches non médicamenteuses de la santé ou pour dénoncer les intérêts qui pèsent sur les politiques du médicament, notamment en matière de brevets ou d’accessibilité. Mais là-bas, au bout de la chaîne du médicament, une dernière problématique se fait oublier, une problématique qu’éclaire le GRAS : que deviennent les résidus de médicaments ?
La question des résidus de médicaments dans l’environnement reste mal connue [1], de même que leurs conséquences éventuelles sur la santé animale et humaine. On sait en effet que les stations d’épuration ne sont pas conçues pour éliminer à 100% tous les résidus de médicaments, que ceux-ci aient été évacués par les voies naturelles, après absorption par les animaux ou les humains, jetés avec les ordures, ou déversés accidentellement ou en tant que rejets industriels.
Ce thème a été abordé au premier Congrès européen sur les pathologies environnementales, organisé mioctobre 2009 à Rouen par l’Union régionale des médecins libéraux de Haute-Normandie [2]. Comme l’a rappelé le Pr Jean-Marie Haguenoer, professeur émérite à l’université de Lille et membre de l’Académie de pharmacie, l’impact environnemental des médicaments est certes déjà pris en compte dans les demandes d’AMM (autorisation de mise sur le marché), mais l’on ne connaît toujours pas les conséquences écologiques à long terme des rejets de médicaments et de leurs métabolites. Ceux-ci s’accumulent non seulement dans l’eau, mais aussi dans les boues et les alluvions. Le problème est d’autant plus complexe que certains résidus peuvent être « réactivés » biologiquement par les stations d’épuration, ou être redisséminés dans le cadre de l’épandage ou de l’élevage industriel. Lorsque l’on analyse l’eau des lacs et des fleuves, on découvre, par exemple, que la mer du Nord « s’enrichit » chaque année de 50 à 100 tonnes d’hypolipémiants (médicaments destinés à faire baisser le taux de cholestérol), ou bien que les lacs suisses voient leur quantité de diclofénac (un anti-inflammatoire) augmenter de 19 kg par an, cette substance étant par ailleurs abondamment charriée par le Rhin. Au-delà des risques connus comme le renforcement de l’antibiorésistance ou l’apparition de poissons « intersexués », suite à un excès d’hormones, les résidus de médicaments s’ajoutent aux nombreux produits toxiques retenus dans l’eau, comme les PCB et les POP, les polluants organiques permanents. Des études menées sur les poissons de l’estuaire de la Seine ont mis en avant de nombreuses malformations combinées à une féminisation croissante des bancs, que l’observe aussi dans d’autres estuaires européens et américains. Médecin généraliste à Rouen, le Dr Joël Spiroux s’est attaché, pour sa part, à étudier les rejets de médicaments à proximité immédiate du CHU et du centre anticancéreux de la ville, avec des analyses très performantes menées pendant trente jours consécutifs, à la sortie des stations d’épuration. Il a pu retrouver ainsi, chaque jour, 14 grammes d’acide valproïque (médicament antiépileptique), 138 grammes de codéine, 212 grammes de tramadol (un antidouleur), mais aussi, directement liés à l’activité hospitalière, un gramme de platine, utilisé en cancérologie, et 10 grammes de gadolinium, employé pour les examens d’IRM. Ces chiffres, répétés tous les jours, confirment bien que les stations n’éliminent totalement que 10 à 90% des médicaments, selon les classes. Une partie, certes infime, de ces résidus aboutira dans l’eau du robinet, ce qui en soi n’est pas préoccupant, vu les dilutions… Sauf que cette eau sera bue, en moyenne, pendant 70 ans par la population.
Pour le Pr Haguenoer, ces données, qui confirment d’autres études internationales, doivent amener à limiter et à contrôler plus strictement les rejets, mais aussi à développer des actions de sensibilisation auprès de toutes les professions de santé, et en particulier, bien sûr, des pharmaciens d’officine. Ceux-ci pourraient, euxmêmes, sensibiliser le public au problème des médicaments non utilisés. Cette politique existe déjà en Suède, pays traditionnellement proche de la nature : dès 2003, elle a été le premier pays européen à mettre en place une politique de prévention de la pollution par les médicaments, en collaboration avec les médecins et les pharmaciens. Le Dr Ake Wennmalm, directeur des services d’environnements de la région de Stockholm, a présenté à Rouen un « classement environnemental des médicaments » dans lequel ceux-ci sont présentés en fonction de leur « toxicité écologique », sur une échelle de 1 à 10. Les médecins sont invités à prescrire, à effet thérapeutique et à prix égal, le médicament le plus respectueux de l’environnement. Les pharmaciens sont, eux aussi, incités à tenir compte de ces critères, tant lors des substitutions que pour la vente d’OTC (médicaments en vente libre). En outre, afin de réduire le volume de médicaments non utilisés, les médecins ne prescrivent qu’un faible nombre de comprimés en début de traitement, afin de s’assurer qu’il sera bien supporté par le malade, et ne finira donc pas dans une armoire ou, pire encore, dans les ordures ménagères. Selon le Dr Wennmalm, cette politique s’est déjà traduite par des changements de comportement de la part des prescripteurs, avec des médicaments « polluants » qui ont nettement reculé au profit de spécialités comparables, mais plus respectueuses de la nature. Les médecins et les pharmaciens sont invités aussi à sensibiliser les patients au fait de rapporter à la pharmacie non seulement les médicaments non utilisés, mais aussi certains conditionnements, comme les patchs et les inhalateurs qui, même vides, peuvent contenir encore des substances actives. De même, la prescription de médicaments vendus dans des emballages réutilisables est vivement encouragée. Revoilà le principe de précaution…
La sensibilisation des professionnels de santé, des politiques et des patients à la problématique des rejets est essentielle, mais il faudra aussi agir à tous les niveaux concernés, et entre autre moderniser les stations d’épuration et diminuer la pollution à la source Le GRAS a interpellé les ministres régionaux de l’Environnement à ce sujet. A suivre !
Le GRAS est constitué de médecins généralistes (dont une partie exerce en maison médicale) et de pharmaciens qui pratiquent de la « PUBLIVIGILANCE ». Cette activité de publivigilance tend à modérer les effets secondaires des campagnes publicitaires commerciales mensongères, ambiguës ou contraires à l’éthique médicale. De telles campagnes se soldent en général par des prescriptions non fondées et une iatrogénèse non négligeable. Cela atteint la bonne foi du prescripteur, la santé du malade et le portefeuille de la Sécurité sociale. Le GRAS étudie les références scientifiques des messages publicitaires contestés, donne l’occasion aux firmes de se justifier et s’adresse aux instances qui gouvernent la Belgique en cas d’abus persistant. Le GRAS publie trimestriellement La lettre du GRAS qui résume le suivi des actions en cours, annonce recherches et publications, présente différents flashs d’information sur des articles ou publications intéressantes concernant les médicaments, propose une lecture critique d’un article publié sur une étude d’un médicament, amorce une réflexion et fait un tour d’horizon de différents « guidelines » sur une pathologie. Toutes les informations sur : www.grouperechercheactionsante.com.
[1] LRP La pollution des eaux par les médicaments Prescrire 8 2009 ; 29 : 576-581
[2] http://www.quotipharm.com/ index.cfm ?fuseaction=journal.article& DArtIdx=430144 Denis Durand De Bousingen, Le Quotidien du Pharmacien du 19/10/2009
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...