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Pour une réforme des soins de santé en prison


18 juin 2018, Marie Dauvrin, Marijke Eyssen, Patriek Mistiaen, Dominique Roberfroid,Dominique Roberfroid, Lorena San Miguel, Irm Vinck

experte Health Service Research, experte médecin, expert senior Health Service Research, expert senior médecin, experte en analyses économiques, experte juriste, membres du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE)

Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), avec la collaboration d’équipes de recherche externes, a élaboré différents scénarios de changement sur base de la littérature, de visites de terrain et d’entretiens avec des acteurs-clés des soins de santé pénitentiaires. Ces scénarios ont été soumis à l’avis des parties prenantes venant du monde de la Justice et de la Santé [1]. La proposition de réforme a été formulée sur la base des résultats de cette enquête.

Principes directeurs : les soins de santé pénitentiaires procèdent d’une approche holistique, qui tient compte de toutes les dimensions des problèmes (physique, psychique, social) et englobe à la fois le dépistage, la prévention, le traitement, la continuité des soins, la promotion de la santé ainsi que les évolutions en matière judiciaire et pénitentiaire. Par conséquent, la prison doit devenir un milieu favorable à la santé, selon les principes de la Charte d’Ottawa (OMS, 1986)  : les détenus, le personnel de santé, la direction, le personnel de sécurité et les infrastructures participent ensemble à la délivrance de soins de santé. Ces soins doivent être équivalents à ceux dispensés dans le monde extérieur et conformes à l’éthique médicale  ; et en particulier, aux principes de l’indépendance médicale et de la confidentialité de la relation soignant-patient.

Recommandations

- Au niveau global, il est recommandé que la réforme des soins de santé pénitentiaires commence par la clarification de la gouvernance, avec trois éléments importants  : le transfert du service soins de santé en prisons (SSSP) du SPF Justice au SPF Santé publique et l’application des normes du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) aux soins de santé en milieu carcéral. Le CPT prévoit, par exemple, que les détenus soient informés du fonctionnement du service médical ou qu’il y ait en permanence une personne capable de prodiguer les premiers soins, avec de préférence un profil infirmier [2].
- La réforme doit garantir l’assurabilité des personnes détenues. Celle-ci doit reposer sur la continuité de la couverture d’assurance santé préexistante en cas d’incarcération et, le cas échéant, sur l’application de l’aide médicale urgente pour les personnes sans titre de séjour légal. La mise en œuvre de cette recommandation passera par la création d’un groupe de travail mixte reprenant l’Inami, le SPF Santé publique, le SPP Intégration sociale, le SPF Justice et les mutuelles. Il sera également nécessaire de prévoir les situations dans lesquelles le détenu n’a pas de couverture d’assurance préalable ou lorsque le détenu perd sa qualité d’assuré en cours de détention.
- Il conviendra de repenser le financement, en anticipant notamment une augmentation du budget actuel  : lorsque le transfert de la Justice à la Santé a déjà eu lieu, une augmentation des coûts a été constatée, notamment en France et en Écosse. Il apparait indispensable de prévoir un enregistrement et un monitoring des coûts directs et indirects.
- Au niveau intermédiaire, il est indispensable de renforcer les compétences et le leadership clinique du SSSP  : par son expérience et son expertise, ce service est un acteur indispensable de la délivrance des soins pour les personnes détenues, mais il serait nécessaire de lui adjoindre d’autres compétences (épidémiologie, économie de la santé, droit, santé publique…). Créer une double direction de santé et de gestion permettrait de concilier les objectifs sanitaires et sécuritaires. La direction du SSSP aurait pour mission de faciliter les échanges avec les autres acteurs comme la direction générale des établissements pénitentiaires, l’Inami, le SPP Intégration sociale et tous les acteurs de la santé autour et dans les prisons. Le SSSP aurait la responsabilité, entre autres, d’élaborer un plan stratégique santé incluant la gestion des urgences (psychiatriques), d’élaborer des recommandations de bonne pratique clinique et organisationnelle, d’assurer le suivi de la qualité et de la santé des détenus, d’organiser les formations, d’organiser la collaboration avec les différents acteurs, de développer un plan de communication et de coordination avec le SPF Justice concernant les mesures de protection nécessaires pour les prestations de soins et le transport de prisonniers dans le cadre des soins de santé, ainsi que pour garantir un service minimum et l’accès aux soins indispensables en cas de grève du personnel pénitentiaire.
- Au niveau local, la réforme propose d’améliorer la coordination en créant la fonction de coordinateur de soins en prisons (voir encadré). Cette fonction permettrait de réduire la fragmentation des compétences entre autorités de tutelle des différents intervenants et le déficit de coordination et de continuité des soins. L’idée est qu’un coordinateur par prison assure la collaboration et la coordination de tous les services et prestataires, et rapporte directement au SSSP. Cette fonction pourrait être occupée par un professionnel de la santé ou du social avec un mastère en santé publique/criminologie.
- Toujours, au niveau local, il est recommandé d’étendre l’offre de première ligne en y intégrant d’autres profils professionnels. Placée sous la coordination d’un médecin généraliste, cette équipe devrait inclure des médecins généralistes, des infirmiers (spécialisés), des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des dentistes, des psychologues, des psychiatres et des travailleurs sociaux. Cette équipe doit être soutenue par des temps d’échanges formels et des outils de coordination comme des dossiers partagés. La coordination doit être reconnue dans le profil de fonction du médecin généraliste. En termes d’activités, cette équipe poursuit une approche globale et compréhensive de la santé – reprenant ses différentes facettes  : physique, reproductive, mentale ou sociale. L’équipe réalise un check-up d’entrée approfondi, élabore des plans de soins personnalisés pour les détenus le nécessitant (maladie chronique…), organise un tri, propose un accueil avec une permanence pour différents types de consultations, et organise des activités de promotion et prévention en santé en collaboration avec d’autres acteurs.
- Il est proposé de sortir des prisons la deuxième ligne de soins, soit essentiellement le médico-technique et les hospitalisations : le SSSP serait chargé d’élaborer des conventions avec des hôpitaux externes par prison ou groupe de prisons. Les quatre lits du centre hospitalier régional de la Citadelle pourraient être réservés aux personnes détenues considérées comme dangereuses tandis que les centres médico-chirurgicaux des prisons de Bruges et de Saint-Gilles pourraient être convertis en centres de revalidation/gériatrie/soins continus, avec élaboration d’un règlement d’ordre intérieur adapté (des heures de visite plus souples pour les détenus en fin de vie, par exemple).
- Les soins de santé mentale doivent être également renforcés : il est indispensable d’ajouter de l’expertise de santé mentale en première ligne et renforcer la collaboration avec les partenaires externes afin de détecter les problèmes relevant de la psychiatrie et de veiller à la promotion de la santé mentale pour tous les détenus. Concernant les détenus avec des pathologies psychiatriques «  lourdes  », il est nécessaire d’impliquer des équipes psychiatriques spécialisées externes, qui seraient également chargées de la gestion des crises. Il sera également nécessaire de former le personnel pénitentiaire à la détection des signes d’alerte et de développer un plan d’urgence psychiatrique, adapté au contexte des différentes prisons.

Missions du coordinateur de soins

- Veiller à ce que tous les acteurs jouant un rôle dans les soins se voient attribuer des tâches claires et participent à un bon échange d’informations ;
- Coordonner l’équipe de soins de première ligne en collaboration avec le médecin généraliste, coordinateur médical de l’équipe ;
- Se concerter régulièrement avec la direction de la prison ;
- Coordonner les recours aux soins de deuxième ligne dispensés dans les hôpitaux (y compris la sécurité), se concerter régulièrement avec les autres instances en charge de la coordination des soins, du support et des services ;
- Veiller à l’implémentation et au suivi du plan de gestion des urgences médicales  ;
- Rencontrer régulièrement et référer au SSSP.

D’autres actions sont nécessaires afin de créer un cadre propice à la réforme : la création d’une conférence interministérielle «  santé en prison  », l’ancrage juridique et financier des associations actives en milieu carcéral, l’inventaire des besoins de formation et la mise sur pied de formations du personnel de santé et du personnel pénitentiaire, la création d’associations de professionnels de santé en prison, la mise en place d’un dossier patient informatisé fonctionnel, le recours à la télémédecine (notamment pour les soins de deuxième ligne), la mise à disposition d’interprètes et de médiateurs culturels, et l’obligation d’un service minimum des gardiens en cas de grève.

Une mise en place par phases

Dans la phase 1, il convient de préparer un terrain favorable à la réforme en renforçant le SSSP avec comme premières missions l’élaboration du plan stratégique «  santé en prisons  », le développement d’un système de collecte des données pour monitorer l’état de santé, les soins délivrés, les coûts directs et indirects, et l’adaptation et la diffusion de recommandations de bonne pratique clinique et organisationnelle. C’est également dans cette première phase qu’il faut appliquer les normes CPT pour le personnel de santé et qu’il faut élaborer un protocole d’évaluation de la réforme.

Dans la phase 2 d’implantation et monitoring, il serait nécessaire de créer l’équipe de soins de première ligne dans quatre établissements pénitentiaires pilotes, avec une évaluation en continu durant douze mois (avec la participation des détenus). C’est dans cette phase que devrait être mis en place le monitoring de l’état de santé, des soins de santé et des coûts (in)directs, en veillant à la compatibilité avec les systèmes de collecte de données existants en dehors de la prison. C’est également à cette étape qu’il serait possible de tester une sélection d’interventions dans les établissements pilotes, en créant, par exemple, un package interventionnel comprenant différentes composantes comme le tri infirmier, la télémédecine, le dossier patient informatisé ou le plan de gestion des urgences.

La phase 3 est la réforme (finale). L’implantation se ferait sous la coordination du SSSP, avec un monitoring continu du processus et une attention envers l’ancrage local de la réforme.

Depuis la parution du rapport du KCE en octobre 2017, le comité de pilotage de la réforme réunissant la Justice et la Santé publique s’est réuni à plusieurs reprises, notamment avec les entités fédérées. Une taskforce «  santé en prisons  », faisant partie de la conférence interministérielle santé [3], a déjà été mise en place.

[1Les parties prenantes incluaient des gens des administrations, des cabinets, mais aussi des professionnels actifs en milieu carcéral (médecins, infirmiers, etc.).

[2Voir les normes complètes : www.coe.int/fr/ web/cpt/standards.

[3www.health.belgium. be/fr/news/conferenceinterministerielle- santepublique- du-26-03-2018.

Cet article est paru dans la revue:

n°83 - juin 2018

Malade et en prison, double peine ?

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...

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