L’enjeu, pour les pouvoirs public est de développer une offre de soins de qualité et accessible à l’ensemble de la population. Comment perçoiventils la place des maisons médicales dans ce développement ? Interview de Brigitte Bouton.
Santé conjuguée : Comment les maisons médicales ont-elles été reconnues institutionnellement en Région wallonne ? Pensez-vous que cette reconnaissance est aujourd’hui suffisante ?
Brigitte Bouton : Du côté wallon, le mouvement des maisons médicales a été reconnu dans le cadre du code d’action sociale et de la santé, un dispositif qui permet d’agréer les associations de santé intégrées (ASI) avec un financement à la clef. Cela a été un combat des pouvoirs publics. Le premier décret a été voté avant, mais il a fallu attendre le transfert des compétences vers la Région wallonne (NDLR : une partie des compétences de la santé, de la famille et de l’aide aux personnes, de la politique de l’accueil et d’intégration des immigrés ainsi que du troisième âge a été transférée en 1993 de la Communauté française à la Région wallonne dans le cadre des accords de la Saint-Quentin), pour qu’il y ait un arrêté d’exécution. Il y avait un blocage de la médecine générale.
Actuellement, cela ne représente pas encore énormément de patients. C’est un enjeu pour l’avenir car il y a des zones de déficit de médecins généralistes, suite aux départs de certains, notamment parce qu’ils arrivent à la fin de leur carrière. Le modèle d’ASI répond mieux aux exigences des jeunes qui entrent dans le métier : c’est une médecine de groupe, avec une répartition de la charge de travail, etc. Il y a donc de réelles perspectives de développement.
Ceci dit, il faut tout de même préciser qu’il s’agit de l’un des rares secteurs qui bénéficie chaque année de nouveaux agréments. C’est un secteur en extension. Depuis le début des années 2000, de un à trois nouvelles ASI ont été agréées chaque année, en fonction des demandes et sans qu’il y ait d’impacts sur les associations qui existaient déjà.
SC : Cette institutionnalisation du mouvement ne va-t-elle pas à l’encontre d’une certaine spontanéité dans son développement ?
BB : Non, je ne pense vraiment pas. La Fédération des maisons médicales a mis en place une structure qui accueille les nouvelles initiatives et l’essaimage des structures qui arrivent à saturation. Mais c’est vrai qu’il y a aujourd’hui une image un peu trompeuse de « médecine de gauche », par opposition à la médecine libérale. Or, les maisons médicales, c’est avant tout un mode d’organisation qui répond à un besoin. D’ailleurs, même en leur sein, on voit qu’il y a des tendances différentes.
SC : Pourquoi la médecine de groupe est-elle toujours si peu développée en Wallonie ?
BB : Je ne sais pas pourquoi la médecine de groupe ne se développe pas plus en Wallonie, contrairement à la Flandre et à Bruxelles. C’est sans doute culturel et sous la pression de la médecine libérale. Il y a encore aujourd’hui une grande prépondérance de la médecine libérale pratiquée par des hommes. Je pense que les femmes cherchent plus de collaborations, une continuité dans les soins pour leurs patients. Elles vont plus facilement vers la médecine de groupe ou d’autres types de fonctions médicales comme la médecine scolaire par exemple.
SC : Le modèle des maisons médicales est-il une réponse adéquate aux nouveaux enjeux tels que le vieillissement de la population et les maladies chroniques ?
BB : Le vieillissement, les maladies chroniques... Ce n’est pas tellement le modèle organisationnel qui joue. Bien sûr, c’est un critère favorable d’avoir dans un même lieu un médecin généraliste, un diététicien, etc. C’est favorable à la prise en charge des maladies chroniques. Mais cela ne doit pas forcément prendre la forme d’une maison médicale. Les médecins libéraux travaillent aussi en réseau. Je pense davantage à des outils comme le dossier médical global, l’informatisation des dossiers ou encore à l’empowerment des patients.
Par contre, il faut souligner que les maisons médicales répondent particulièrement bien aux besoins des populations précarisées, particulièrement quand elles travaillent au forfait. On constate qu’il y a chez ces opérateurs une consommation de soins par un public plus jeune et plus pauvre qu’ailleurs.
Il faut donc pouvoir développer des ASI dans les communes précarisées. En collaboration, par exemple, avec les pouvoirs publics locaux, comme c’est le cas avec le CPAS de Frameries. Car c’est dommage de priver la population de cette opportunité. Mais on constate une réelle concurrence entre médecine libérale et ASI. Il y a pourtant des cas où cela a très bien marché. A Wavre par exemple, tous les médecins généralistes sont non conventionnés. Ils ont trouvé que la création d’une ASI était une bonne chose sur leur territoire, une association qui pratiquait le tiers-payant et donc accessible aux populations dans le besoin. Cela peut avoir des effets pervers, évidemment. Mais ce qui compte, c’est qu’il y ait une offre de soins de qualité accessible à tous.
SC : La Fédération des maisons médicales doit-elle programmer son développement en fonction des besoins ou cette programmation relève-t-elle des pouvoirs publics ?
BB : La répartition de l’offre de médecine générale est un enjeu de santé publique. La Région wallonne envisage une programmation en fonction des besoins, du caractère rural / urbain, etc. Une programmation de la Fédération n’a d’enjeux que par rapport à ses membres. Dans le cadre d’une programmation de la part des pouvoirs publics, l’enjeu touche à l’ensemble de la population. Cela doit donc être réalisé par les pouvoirs publics, qui doivent ensuite donner les moyens pour financer cette programmation. En fonction des moyens budgétaires disponibles évidemment.
SC : Y a-t-il des manques ou des difficultés liés au modèle des maisons médicales ?
BB : La difficulté pour nous, c’est le fait d’avoir des opérateurs qui se rapprochent du modèle mais qui relèvent en fait davantage d’une pratique libérale classique. Il y a parfois une difficulté à mesurer la coordination ou l’intégration du service. Parfois c’est compliqué de voir où est la frontière entre les deux. Parce qu’il y a dans ce choix des éléments qui sont plus de l’ordre de la perception, de la subjectivité. Cela touche, par exemple, à la participation des différents membres de l’équipe au projet de l’association.
SC : Y a-t-il un risque de limitation des agréments des maisons médicales à l’avenir, et notamment suite au transfert des compétences dans le cadre de la sixième réforme de l’État ?
BB : Avec le transfert des compétences, il va y avoir toute une série de décisions à prendre. Dans le cadre de l’organisme d’intérêt public qui sera mis en place, il faudra voir où seront mises les priorités. Il faudra mesurer comment vont évoluer les cohortes de médecins généralistes, comment va évoluer la relation entre la médecine hospitalière et la médecine générale, etc. Nous sommes à un moment charnière où nous devons développer une vision de l’offre de soins en Wallonie. J’espère qu’il y aura encore des moyens pour les maisons médicales, car c’est un bon système, surtout là où on constate une pénurie de médecins généralistes. C’est un système qui devrait être valorisé davantage dans les départements universitaires en médecine générale, afin d’attirer des jeunes dans ce mode de fonctionnement (voir l’article « Formation : il y a encore du chemin ! » dans ce cahier page 113). Il permet notamment de réduire la charge administrative des médecins généralistes afin qu’ils puissent exercer vraiment leur profession. L’enjeu pour les pouvoirs publics, c’est de pouvoir disposer d’une offre de soins là où il n’y en a pas.
n° 66 - octobre 2013
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...