La kinésithérapie est une science jeune, en pleine expansion. La durée des études augmente – le nombre de candidats aussi – et le champ de son exercice va croissant. La formation continue et la validation des qualifi cations des praticiens sont fortement encouragées.
Les évolutions scientifiques et technologiques, tout comme la prévalence de la médecine ou des pratiques basées sur des données probantes (evidence based), ont considérablement remodelé les soins kinésithérapeutiques. On distingue aujourd’hui de nombreux sous domaines, requérant à eux seuls des compétences et des connaissances spécifiques. Fleurissent aussi sur les plaques de notoriété de multiples et diverses pratiques ou inclinations. Le patient s’y retrouve-t-il ? La profession s’y retrouve-t-elle ?
Le cursus s’est allongé, passant du graduat/baccalauréat au master. Entreprendre des études de kinésithérapie, c’est aujourd’hui s’embarquer pour quatre ans, voire cinq en Flandre (où une orientation peut déjà être prise au cours de la dernière année). Chaque nouveau diplômé est un « omnipraticien » et il lui est loisible par la suite, tout en conservant ce caractère polyvalent, de choisir de développer et d’affiner ses compétences dans un ou dans plusieurs sous domaines de la kinésithérapie. Pourvu qu’il les fasse reconnaître et qu’il les entretienne par le biais d’une formation continue, ces compétences accrues et plus pointues lui permettent de se prévaloir d’une « qualification professionnelle particulière », une QPP.
La liste des QPP et leurs critères d’agrément ont été publiés au Moniteur belge le 8 août 2014. Les QPP sont actuellement au nombre de six :
la kinésithérapie cardiovasculaire ;
la thérapie manuelle ;
la kinésithérapie neurologique ;
la kinésithérapie pédiatrique ;
la rééducation abdomino-pelvienne et kinésithérapie périnatale ;
la kinésithérapie respiratoire.
Ce ne sont pas des spécialisations, mais des compétences supplémentaires qu’acquièrent les kinésithérapeutes dans des domaines où ils souhaitent exercer plus que dans d’autres. Ces QPP ont pour objectif essentiel de garantir la transparence pour les patients, pour les médecins et pour les autres kinésithérapeutes. Autrement dit, de savoir quels kinésithérapeutes sont particulièrement compétents et possèdent de l’expérience dans la pratique du domaine partiel concerné. Le Conseil fédéral de la kinésithérapie a formulé des avis concernant trois qualifications professionnelles particulières supplémentaires : la kinésithérapie du sport, la kinésithérapie gériatrique et la kinésithérapie psychomotrice. Pourquoi ces six (ou neuf) domaines uniquement ? « La Belgique s’est alignée sur les sous-groupes déjà représentés en associations au niveau de la World confederation for physical therapy (WCPT, la Confédération mondiale des kinésithérapeutes), explique Paul Thiry, président du groupe de travail QPP au Conseil fédéral. Tous les sous-groupes ne sont pas parvenus à s’accorder sur l’utilité et la nécessité de traduire leurs formations spécifiques sous forme d’une loi. » Six seulement donc ont été votées en 2010, et trois restent en suspens. « Il n’est pas exclu qu’il y en ait d’autres à l’avenir », ajoute-t-il.
Une phase transitoire, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, a permis aux praticiens de rentrer le dossier de validation de leurs compétences et de leurs formations antérieures. Quelque 1 600 dossiers sont aujourd’hui sur la table des différentes commissions d’agrément qui, en Fédération Wallonie-Bruxelles, se sont mises en place en janvier 2018. Chaque commission est composée de quatre membres, tous kinésithérapeutes : deux (effectif et suppléant) sont mandatés par les associations professionnelles et deux (effectif et suppléant également) représentent les hautes écoles et les universités. Ida Iachetta, kinésithérapeute à la maison médicale Tournesol, à Flémalle, fait partie d’une de ces commissions en qualité d’experte en rééducation abdomino-pelvienne et périnatale. « Le rôle de chaque commission est de voir si chaque dossier rentré répond bien aux critères de reconnaissance des formations suivies et de l’expérience, explique-t-elle. Après ce rush initial de mise à niveau, la procédure régulière désormais en cours devrait absorber plus facilement les demandes de qualification au fur et à mesure de l’obtention des points d’accréditation par les candidats à une QPP ou à sa prolongation. » En effet, une QPP n’est jamais définitivement acquise. « Elle est valable pour cinq ans, précise Paul Thiry. Moyennant l’entretien d’une formation continue, elle est aussi définie par la loi. » Il est possible d’obtenir plusieurs QPP mais, pour le président du groupe de travail, c’est peu souhaitable, en tout cas au-delà de deux. « Cela représente beaucoup de travail d’acquérir les 200 points de formation continue pour chacune d’elles dans les cinq années qui suivent, dit-il. Certes, il y a peut-être des QPP avec une durée de formation plus courte ou dont le champ est moins large, mais cela peut changer dans l’avenir. »
Le profilage des kinésithérapeutes en différentes qualifications a engagé des établissements créés, subventionnés ou reconnus par les pouvoirs compétents (universités, hautes écoles) à proposer des post graduats ou des masters complémentaires dans les différents domaines reconnus. Il s’agissait-là aussi de l’un des buts à atteindre en instaurant les QPP : garantir des cursus de qualité et accessibles. « Seuls ces établissements peuvent octroyer des crédits temps de formation (ECTS) valables en Europe », précise P. Thiry.
Tous les kinésithérapeutes sont omnipraticiens, mais ceux qui ne s’engagent pas dans une qualification professionnelle particulière ne sortent-ils pas fragilisés de ce système ? C’est une remarque récurrente à l’encontre de ce processus des QPP. « Tous les kinés ont le droit d’exercer tous les actes du champ de la kinésithérapie. II n’y a pas de restriction, insiste Paul Thiry. Les kinés qui ont choisi de faire une formation supplémentaire pour obtenir une QPP ont évidemment acquis des compétences plus spécifiques dans ce domaine et choisissent de s’orienter davantage en ce sens dans leur travail. Mais leur seul droit supplémentaire à l’heure actuelle est de pouvoir afficher et déclarer cette qualification. » Autrement dit, un kinésithérapeute qui n’a pas fait le choix de valider une QPP mais qui a des compétences dans un des domaines reconnus peut les mettre en pratique, mais il n’a en revanche pas le droit de s’en faire valoir. Du coup, l’une des craintes est de voir une partie de la patientèle lui échapper... Paul Thiry ne réfute pas ce risque, mais il le relativise. « Scientifiquement parlant, dit-il, les choses évoluent tellement qu’il est devenu extrêmement compliqué de se tenir à jour dans tous les domaines de compétence. En particulier pour les cas les plus complexes, qui devraient être référés à l’intérieur même de la profession vers des collègues plus compétents sur certains topiques précis. » De là à entrevoir des spécialités en kinésithérapie ? « On n’y est pas encore, ajoute-t-il, et cette évolution n’est actuellement pas souhaitée par l’ensemble de la profession. »
n°82 - mars 2018
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...