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Sage-femme : de la distinction à l’autonomie en passant par la dépendance


1er avril 2013, Agathe Perrod

sage-femme à la maison médicale Les Balances

En Belgique, il aura fallu près de deux siècles aux sages-femmes, depuis les premières formations, pour obtenir une fonction et une légitimité propres à leur métier. Une évolution qui fait envie, à certains égards, aux infirmiers. Au-delà des spécificités des métiers respectifs, quelles pistes envisager à partir de l’expérience du mouvement des sages-femmes pour celui des infirmiers ?

A l’origine, les sages-femmes sont le plus souvent d’âge mûr, ayant elles-mêmes mis au monde des enfants. La sage-femme, présente auprès de la mère, bénéficie alors d’une grande reconnaissance de la part de la société. Elle représente la « sagesse », autrement dit la connaissance, transmise de génération en génération, autour de la naissance et de la venue au monde.

« A partir du XVème siècle, la profession de sagefemme est réglementée au niveau communal dans la plupart des états européens. La sagefemme (...) reçoit une formation professionnelle structurée. Cet enseignement permet la création, vers la fin du XVIème siècle et au XVIIème siècle, d’un corps de sages-femmes hautement qualifiées et conscientes de la valeur de leur profession. »

Puis les choses changent... « Depuis que Louis XIV fait accoucher ses maîtresses royales par un accoucheur, il est de bon ton d’introduire un homme dans la chambre de l’accouchée. La sage-femme perd du terrain (...). Suite à un cours donné par Angélique du Coudray, sage-femme de la cour de France, à des sagesfemmes à Ypres, des cycles de cours sont mis sur pied entre autres à Bruges, Courtrai et Furnes. Cependant, l’annexion de nos régions par la République française en 1795 fait table rase de ces développements. » [1].

Vers une organisation de l’enseignement

Sous le régime hollandais, en 1818, la loi institue les Commissions médicales provinciales. Elles définissent tout ce qui est relatif à l’exercice de l’art de guérir, vérifient et visent les titres permettant d’exercer, entre autres, la profession de sage-femme. Une formation de cinq mois est prévue durant laquelle les étudiantes reçoivent des leçons d’accouchements et travaillent sous le contrôle d’une sage-femme déjà établie. En 1823, la création d’une école pour sage-femme est prévue auprès des hôpitaux civils pour les former à prodiguer des soins de qualité.

Ni infirmière, ni docteur, ni doula mais sage-femme

Cynthia Knuts, congrès de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique, septembre 2012

Cette période de lutte contre l’avortement et contre la mortalité infantile et maternelle est caractérisée par une régression sociale internationale de la profession. Au moment de l’indépendance belge, la pratique des sagesfemmes commence à se professionnaliser. Elles travaillent principalement à domicile, dans des conditions d’hygiène difficiles. Mais les médecins sont les seuls reconnus à avoir une connaissance approfondie de l’art des accouchements et à avoir l’accès aux instruments.

En 1880, l’Etat belge désigne les Commissions médicales provinciales comme responsables de la formation et de la délivrance d’un modèle de certificat de capacité uniforme pour tout le pays. L’aménagement et l’organisation de l’enseignement des sagesfemmes prennent forme, on voit apparaître les premiers programmes d’examens, les premiers règlements sur les écoles.

A la fin du siècle, des syndicats de sagesfemmes vont commencer à se créer, car elles ne sont pas organisées en corporation professionnelle, contrairement aux médecins et aux chirurgiens.

Le rapprochement avec la profession d’infirmiers

Au début du XXème siècle, les sages-femmes réalisent un stage de deux ans, dans une école d’enseignement liée à une maternité. Cette période de lutte contre la pratique illégale des matrones (femmes pratiquant l’obstétrique, mais n’ayant pas suivi de formation) donne des précisions sur les limites de l’exercice de la profession (pratique de l’accouchement naturel ou géré avec les mains, surveillance des suites de couches pendant 10 jours, possession d’une trousse réglementaire, appel du médecin si des problèmes se présentent, obligation de déclarer les cas de fièvre puerpérale (soit durant la période qui suit l’accouchement) ...).

En 1912, les statuts de l’Union professionnelle liégeoise sont publiés ; ils vont servir de modèle à d’autres groupements. Se crée alors l’Union des accoucheuses de la province de Brabant.

Plusieurs arrêtés royaux vont se succéder entre 1921 et 1935 pour préciser les critères d’admission, la durée des études, le programme et l’expérience clinique utile. L’enseignement est surtout donné par les médecins.

En 1924, l’ère est à la médicalisation du pays pour permettre aux individus d’avoir accès aux soins médicaux élémentaires. Le titre de sage-femme est modifié au profit de celui d’accoucheuse (uniquement dans la partie francophone du pays). En alliant la formation d’infirmière-visiteuse et celle d’accoucheuse, un diplôme d’accoucheuse visiteuse est institué.

Il nécessite deux ans de formation dans le but de résoudre les difficultés sociales et obstétricales au domicile des parturientes. Les infirmiers diplômées peuvent aussi devenir accoucheuses en faisant une année d’étude supplémentaire.

Par ce premier rapprochement entre les deux professions, l’accoucheuse sera progressivement considérée comme une infirmière spécialisée en obstétrique. Une discordance s’installe alors progressivement entre la pratique de terrain et le cadre légal qui est, lui, beaucoup plus vaste.

De la maison vers l’hôpital

Pendant près de quarante années, les accoucheuses pratiquent toujours les accouchements à domicile de manière autonome (avec l’aide de la famille) et avec le médecin traitant en cas de complications.

Progressivement, les femmes vont s’orienter vers l’hôpital (notamment parce que l’assurance maladie et invalidité obligatoire leur octroie un remboursement complet, mais aussi pour un meilleur confort). Les accoucheuses passent du statut d’indépendante au statut de salariée, ce qui entraîne une perte de leur autonomie.

La disparition progressive des écoles d’accoucheuses

De 1945 à 1957, la formation des accoucheuses va passer à trois ans, dont deux seront communs aux infirmiers dès 1951. De plus en plus d’étudiants suivent d’abord un cursus d’infirmière puis d’accoucheuse ce qui amène à la disparition progressive des écoles d’accoucheuses. En 1957, la formation sanctionne un Graduat en art infirmier : une quatrième année spécialisée en obstétrique est alors nécessaire aux infirmiers hospitaliers (études de trois ans) pour être accoucheuses. Délivrés jusqu’alors par les Commissions médicales provinciales, les diplômes le sont désormais par le ministère de l’Education nationale.

Les premières rencontres européennes et la médicalisation de la profession

La première convention avec l’INAMI a lieu dans les années 60, à la suite de la grève des médecins. L’utilisation des attestations de soins sera obligatoire à partir du 14/01/1977.

C’est aussi dans ces années que commencent les rencontres entre les sages-femmes des différents pays d’Europe. Une réflexion naît autour d’une volonté d’uniformisation des études.

L’arrêté royal du 16 octobre 1962 confère à l’accoucheuse une autonomie complète dans le domaine de l’eutocie (accouchement “normal”, sans accroc). Ce qu’elle peut, doit et ne peut pas faire y est clairement mentionné. Mais on dit de lui qu’il était déjà dépassé à sa parution et il faudra attendre 29 ans pour qu’il soit revu…

L’ a c c o u c h e m e n t a m a i n t e n a n t l i e u essentiellement à l’hôpital ou en clinique, assumé par des médecins spécialistes qui souhaitent être présents à l’accouchement et qui sont assistés par l’accoucheuse.

L’arrêté royal N° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’art de guérir médicalise la profession. L’accoucheuse se distingue alors de toutes les autres professions paramédicales, car elle a dans ses compétences de poser un diagnostic et d’exécuter des actes techniques relevants de l’art de guérir (accouchement et consultations).

La spécificité acquise des accoucheuses

En 1970, l’Union professionnelle des accoucheuses belges (UPAB) se crée, réunissant les associations du Hainaut, Charleroi, Tournai, Mons, Liège, Luxembourg, Namur...

La loi change, une accoucheuse n’est plus obligée d’avoir le diplôme d’infirmière. L’étudiante peut, durant deux ans, continuer la formation d’accoucheuse après les deux premières années de formation de base commune avec les infirmiers.

Quatre ans après, l’arrêté royal relatif à l’art de soigner assimile l’accoucheuse à l’infirmière graduée. Elle relève donc aussi de l’art de soigner.

En 1990, la liste des actes infirmiers (établie cinq ans auparavant) est contestée. Les accoucheuses font référence à un exercice illégal de la profession relevant de l’art de guérir, pour les actes périnataux (assistance à l’accouchement, premiers soins à l’accouchée et aux nouveaunés...). La liste est revue et les infirmiers ne sont plus autorisés à pratiquer des soins en lien avec l’obstétrique.

« L’identité de l’accoucheuse est clairement définie » c’est-à-dire réglementée, mais « La perception populaire de l’accoucheuse est fondée plus sur ce qu’elles font que sur leurs compétences légales. ». Il en résulte « une ignorance de la spécificité, de la compétence, voire même de l’existence de l’accoucheuse » [2]. Les accoucheuses indépendantes responsables de la grossesse et d’un projet d’accouchement à domicile restent encore limitées sur certains points : examens de laboratoire, sutures…

Les Directives européennes

Les Directives européennes permettent les premières vraies comparaisons entre les pratiques au sein des pays et visent une uniformisation de la formation et une reconnaissance mutuelle des diplômes de sage-femme. D’un point de vue pratique, les notions de planification familiale, de préparation à l’accouchement et de diagnostic précoce des grossesses à risques sont introduites, en plus du suivi de grossesse, de la pratique de l’accouchement et du dépistage des situations à risques et du suivi post-partum.

L’arrête royal du 1er février 1991 est élaboré en tenant compte des avis des associations professionnelles d’accoucheuses. Il réactualise et élargit les compétences de l’accoucheuse. Celle-ci fera l’examen post-natal et le diagnostic de grossesse, pourra prescrire des examens de laboratoire et réaliser des sutures périnéales, sera soumise à une formation permanente, ouvrira un dossier obstétrical, aura un rôle éducatif... L’accouchement en siège n’est plus permis, sauf en cas d’urgence. La sage-femme ne peut cependant pas exécuter ni entretenir une anesthésie excepté l’anesthésie locale du périnée. Un rapport du Comité consultatif est réalisé, la formation belge est jugée insuffisante vis-à-vis des directives de l’Union européenne.

Les changements s’enchaînent

La réalité professionnelle évolue et la formation doit suivre. Entre 1992-1993, le graduat d’accoucheuse est créé, d’une durée de trois ans. Le 21 avril 1994, la formation est enfin mise aux normes européennes et entre en application dès l’année scolaire suivante. Lors de la création des hautes-écoles, le graduat d’accoucheuse passe à quatre années d’études spécifiques bien que la première année de formation reste commune avec les infirmières et que les passerelles existent entre les deux formations.

Jusqu’en 2005-2006, la différence entre la formation d’accoucheuse et celle en soins infirmiers n’est pas évidente. Beaucoup de cours et de stages sont communs. Un baccalauréat d’accoucheuse avec un cursus spécifique est alors défini, permettant de différencier et d’adapter chaque matière en fonction de la finalité du diplôme.

La loi du 13 décembre 2006 (modifiant l’arrêté royal n°78 du 10 novembre 1967) inclut trois nouvelles compétences : la prescription (limitée) de médicaments, la rééducation périnéosphinctérienne et la réalisation d’échographies fonctionnelles (et non morphologiques).

En 2007, le terme « sage-femme » remplace à nouveau celui d’accoucheuse, car il correspond à une meilleure reconnaissance internationale et à un meilleur niveau de formation. A partir de l’année scolaire 2008/2009, le baccalauréat d’accoucheuse devient baccalauréat de sagefemme et le maintien de ce titre est soumis à l’obligation de suivre une formation continue de minimum 75 heures en cinq ans. D’autres précisions sont mentionnées, la sage-femme peut dès lors entretenir une anesthésie péridurale, ne peut interrompre une grossesse et doit engager la femme enceinte à se soumettre à un examen médical au début et au cours du dernier trimestre de sa grossesse.

Les revendications actuelles

Hier, comme aujourd’hui, les sages-femmes défendent les valeurs de compétence, de professionnalisme avec une constante volonté de préserver l’intérêt des femmes en leur assurant des soins de qualité. L’histoire de la sage-femme témoigne d’une difficile équation permanente entre le cadre légal régissant ses compétences, l’organisation de sa formation et ses possibilités de pratique sur le terrain.

Le centenaire de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique l’an dernier a permis de mettre en évidence que les sages-femmes oeuvrent encore à la reconnaissance de leur profession et souhaitent :

• « faire connaître le métier de sage-femme auprès du grand public. La sage-femme propose un accompagnement global avant, pendant et après la grossesse et dispense des soins de qualité de première ligne accessibles à tous ;

• mettre l’accent sur la liberté de la femme de choisir son professionnel pour le suivi de grossesse ainsi que son lieu d’accouchement ;

• faire voter les trois arrêtés royaux d’application de la loi du 3 décembre 2006 concernant les nouvelles compétences ;

• faire valoir la profession de sage-femme et renforcer nos compétences en étendant la formation sur un Master (au total cinq ans d’études). » [3].

Ce travail de reconnaissance peut désormais s’appuyer sur le profil professionnel de la sagefemme, élaboré par le Conseil national des accoucheuses à travers une réflexion sur la place et le rôle de celle-ci dans les soins de santé en Belgique [4].

Autres sources

• Evelyne Mathieu, exposé « D’où venonsnous  ? » Historique de la profession de sage-femme en Belgique, congrès de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique, 20/09/2012.

• Estelle Di Zenzo, exposé « Historique des études de sages-femmes en Belgique », Congrès de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique, 20/09/2012.

• Claire Matagne, exposé « 100 ans d’Union professionnelle », Historique de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique, Congrès, 20/09/2012.

[1Profil professionnel de la sage-femme belge, 2006, www. sage-femme. be/wp-content/ uploads/2010/08/ profil-professionnelde- la-sage-femme.pdf

[2Liliane Lambert, « Le devenir de l’accoucheuse belge » in Les Dossiers de l’Obstétrique n° 158 (pp.5-7), Paris, 1989.

[3Cynthia Knuts, dossier de presse à l’occasion de la conférence de presse du congrès de l’Union professionnelle des accoucheuses de Belgique, 20/09/2012.

[4Profil professionnel de la sage-femme belge, 2006, SPF Santé Publique. http://www.sagefemme. be/wp-content/ uploads/2010/08/ profil-professionnelde- la-sage-femme.pdf

Cet article est paru dans la revue:

n° 64 - avril 2013

Les infirmièr-es sous les projecteurs

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...