Un atelier théâtre en maison médicale ? Eh oui, il trouve sa place dans nos activités de promotion santé et de santé communautaire. La santé avec un grand S, le bienêtre, le bien-vivre avec les autres, la confiance en soi, etc. sont des notions travaillées lors de ce type d’activité.
En octobre 2017, nos maisons médicales ont souhaité proposer à leurs patients et aux habitants du quartier un atelier d’expression corporelle, de théâtre ou d’improvisation animé par la comédienne professionnelle Nathalie Gillet. Plusieurs patients d’Antenne Tournesol souhaitaient travailler leur confiance en eux, oser parler en public, se sentir plus à l’aise dans un groupe. La maison médicale Esseghem souhaitait pour sa part poursuivre le travail de réflexion sur son secteur santé communautaire et questionner la thématique de la santé sous un jour nouveau. Pendant une année, elles ont proposé trois cycles d’atelier, appelé « théâtre en santé ».
La comédienne a proposé une découverte par des jeux d’improvisation et par une approche corporelle de la scène. Il s’agissait d’un moment de liberté d’expression et de lâcher-prise. Le but était que chacun puisse se mettre dans un état créatif de façon ludique grâce à l’imagination, l’expression de son corps, la présence et la prise de parole au sein d’un groupe. La finalité n’était pas de créer un spectacle ni de jouer devant un public.
Les séances s’ouvrent sur un temps d’échauffement psychocorporel, un temps de centrage, d’échauffement du corps, de travail sur la présence et son rayonnement, l’écoute, l’imagination, le chœur (bouger en groupe de façon organique). La seconde partie du travail est consacrée aux jeux d’improvisation théâtrale. Les scènes ainsi créées dans l’instant gardaient toute leur spontanéité et leur fraicheur. L’objectif de cette démarche : offrir un temps pour expérimenter la relation entre l’état du corps et l’état de l’esprit. Tout en s’amusant à vivre la transformation, les participants ont l’occasion de déployer leur présence physique et de nourrir leur plein rayonnement. En vivant différentes sensations, ils développent une conscience de leur corps en mouvement et de leur corps vecteur d’émotions. Si le mouvement change, il nous change, nous renouvelle et modifie notre façon de voir le monde, l’autre, l’espace et soi-même.
En étant conscient de son corps, il devient plus évident de repérer ses émotions. La personne développe une adaptabilité aux évènements de la vie, elle devient plus apte à développer une forme d’empathie et à faire les choix qui lui correspondent. Par ce travail, la personne pourra prendre conscience des outils à activer elle-même, des centres d’énergie qui lui permettront de changer son regard ou son état d’être au monde dans la vie quotidienne.
Dans un contexte de santé, cela permet de développer un regard curieux sur ses sensations corporelles. Cela permet donc de prendre une distance par rapport à une santé parfois fragile ou à des symptômes pouvant être aliénants. La notion de santé s’élargit pour que la personne ait une sensation bien plus vaste de son potentiel corporel et psychique.
L’atelier est un rendez-vous collectif avec des partenaires de jeu, un espace où, en confiance, on peut s’autoriser une liberté d’expression, un espace d’audace où l’on se surprend soi-même à bouger comme on ne le fait jamais. Les improvisations se créent ensemble et mettent chacun dans un état d’écoute de ses partenaires. Chaque atelier est créé de la présence de chaque participant, en toute bienveillance et respect mutuel. Se rassembler pour ce temps de partage collectif est un rendez-vous joyeux et offre une complicité bienveillante.
Beaucoup de nos potentialités découlent de nos facultés d’imagination. L’usage de l’imagination donne à l’acteur un pouvoir qui permet de dépasser sa personnalité. Il devient créateur. La personne peut expérimenter sa capacité à être bien plus que ce qu’elle s’autorise à être dans la vie quotidienne. Jouer offre la possibilité de prendre de la distance par rapport à ce que l’on vit et le rire a un effet guérisseur.
À l’évaluation, les participants ont relevé des effets sur leur santé et leur bien-être allant bien au-delà de ce qu’on pouvait attendre. Ils ont émis l’envie de montrer ce qu’ils avaient appris et de jouer quelque chose en public. Nous avons donc décidé de poursuivre et de transformer le projet pour aboutir à la création, par les participants, d’une pièce de théâtre sur le thème de la santé. Un gros challenge, un sacré coup de stress et une dépense non prévue au départ dans notre budget !
D’octobre à décembre 2018, le travail en atelier s’est centré autour d’improvisations sur le thème de la santé : tester des idées, questionner notre rapport à la santé, qu’est-ce que c’est qu’être en bonne santé… Nathalie Gillet a ensuite proposé un cadre, une trame pour le spectacle dans laquelle les participants pouvaient à la fois trouver une place d’écriture, mais surtout de jeu. Ceci défini, le travail de création a débuté. Cette phase du travail était vraiment la plus importante, car il fallait écrire les textes, planter le décor et répéter. Les répétitions ont eu lieu entre janvier et février 2019.
Le pitch : un congrès sur le thème de la santé. Un vrai malade avec une liste sans fin de symptômes et de maladies se retrouve au milieu de trois spécialistes qui ont tous un avis bien tranché sur son problème et son traitement. Lui faut-il des médicaments ? Une opération ? Un désenvoutement ? Et quand, en plus, le public s’en mêle pour donner ses bons remèdes, voilà un malade bien maltraité par les gens qui veulent le soigner et qui savent mieux que lui ce qu’il lui faut. Perdu dans tout cela, ne se sentant ni écouté ni considéré, le patient posera des questions importantes au public : qu’est-ce que c’est la santé pour vous ? Qu’est-ce que la bonne santé ?
Cette comédie se terminait par un temps d’échange avec le vrai public, invité à donner sa propre définition de la santé. Nous avons joué ce spectacle au centre culturel de Jette devant une salle comble. Le projet s’est ensuite clôturé par le visionnement du film tourné lors de la représentation et par une évaluation globale des participants.
Ce qu’ils ont aimé : faire groupe ensemble ; se soutenir les uns les autres ; apprendre à mieux connaitre les autres ; créer des liens forts ; oser se dépasser, oser faire des choses inédites ; porter un projet commun ; sortir de l’isolement ; se sentir soutenu ; lâcher prise ; voir l’autre comme il est, sans jugement préconçu ; lâcher nos personnalités figées ; pouvoir être libre ; la relaxation, moins de stress ; apprendre à s’exprimer par le corps, ouvrir son intimité dans la bienveillance, aller chercher qui on est vraiment…
Ce que ce projet leur a apporté de durable : « Je me sens moins timide, j’ai plus facile à prendre la parole », « je me sens plus ouvert », « Ce projet permet d’extérioriser plein de choses, d’oser être autre, différent », « Une meilleure gestion du stress », « Une prise de conscience que notre mental influence notre physique : je peux, par ma vision des choses, influencer mon état de santé », « Une confiance en moi augmentée »…
Ni l’une ni l’autre de nous deux n’avait fait de théâtre auparavant. Nous nous sommes donc retrouvées plus ou moins sur le même pied que les patients. Nous avons dû accepter et vivre comme eux les tensions, le stress d’y arriver, d’avoir un spectacle qui tient la route, de ne pas se ridiculiser en public, de retravailler encore et encore une scène.
Nous étions également garantes du cadre bienveillant pour chaque participant. Il a parfois été nécessaire de protéger le groupe de l’envie de mieux faire (la leur ou celle de la comédienne ou de la metteuse en scène pour qui ce projet était également une grande première). Nous avons également veillé à instaurer des moments de détente, de convivialité pour que la troupe ne s’épuise pas. Nous avons dû y consacrer beaucoup plus de temps que ce que nous avions imaginé au départ.
Notre double casquette nous a permis de mesurer les impacts bénéfiques sur les participants, le chemin parcouru vers une meilleure expression de soi, vers plus de confiance en soi, vers un épanouissement. Ce qui a été vécu à toutes les étapes du projet en termes de mixité et de vivre-ensemble, de bienveillance, de développement personnel a été au-delà de toutes nos espérances.
Comme dans tout projet, il y a eu des moments difficiles. Un participant a abandonné l’aventure en cours de route. Il était trop difficile pour lui de gérer le stress d’une création collective et morcelée, ne pas savoir assez vite quel allait être le résultat final lui était inconfortable. Probablement parce que le temps imparti était très serré et la date représentation approchait à toute vitesse. Nous avions en effet visé trop court entre le début des répétitions et la représentation. À cause de ce délai, nous nous sommes retrouvés à modifier encore des éléments de la pièce le jour de la représentation. Cela a généré beaucoup de stress par moments, mais cela a aussi permis de garder la motivation et la dynamique de groupe centrées sur le projet. Nos collègues des maisons médicales ont accepté nos absences répétées durant les deux dernières semaines et ont donc assuré une charge de travail supplémentaire non prévue. La prochaine fois, nous anticiperons mieux le temps nécessaire.
Pour nous, depuis le début, le processus était plus important que le résultat final. Les échanges sur la santé, l’ouverture de certains participants qui ont osé prendre la parole, se montrer et donner leur avis, l’entraide qui a été vécue dans le groupe… c’était ce que nous espérions. Savoir si la pièce ou notre interprétation valait un Molière était plutôt secondaire… Mais nous avons eu la chance d’aboutir à un spectacle drôle, sensible, questionnant, qui a touché le public. Les réactions extrêmement positives ont boosté le jeu d’acteur de la troupe et les avis et retours après la séance restent un moment de joie intense pour nous et pour les participants.
Lors de l’évaluation finale s’est posée la question de la suite à donner à ce projet. La plupart des participants souhaitaient rejouer la pièce, mais pas tous. Rejouer la pièce demandait de nouveaux budgets avec la question de savoir si on était toujours bien dans les missions d’une maison médicale, la question du sens à continuer cette pièce-là avec uniquement ce groupe de patients. La décision a été prise alors par les deux maisons médicales de ne pas reprogrammer le spectacle, mais de relancer un nouveau cycle de théâtre ouvert à tous et sans représentation à la clé. Un retour à nos objectifs de base. Et si l’idée d’un spectacle revient à la surface, nous serons là pour accompagner cette demande, un peu plus conscientes de ce que cela représente et de ce que cela peut apporter. Rideau !
n°89 - décembre 2019
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...