L’intelligence s’évalue souvent à la mesure du langage. Conséquences : on développe souvent des séquences de formation autour d’un contenu écrit ou verbal à transmettre et on laisse parfois sur le bord du chemin des gens qui ont des choses pertinentes à dire, mais qui n’osent pas ou qui ne savent pas les exprimer. Peut-on tenir compte des différentes formes d’apprentissage et d’expression ? Quels techniques pour viser le changement auprès de tous les participants ?
On n’apprend pas tous de la même manière et les méthodes que l’on va appeler traditionnelles, à la mode pendant un temps comme les diaporamas, etc., restent basées sur un certain type d’intelligence, sur une manière de comprendre. Ce premier constat pousse à utiliser d’autres moyens pour éviter de mettre de côté une partie du public. Le second constat, c’est qu’il existe d’autres types d’expériences permettant de « faire vivre quelque chose », des activités grâce auxquelles on espère que les participants garderont des traces autres que « c’est comme cela qu’il faut faire », qu’ils repartiront en pensant « ça m’a fait du bien », « ça a marché », « c’était intéressant de procéder comme ça ». J’y ai particulièrement recours avec les maisons médicales, où l’on souhaite une mise en pratique collective en comptant les uns sur les autres. Un jeu proposé par l’un de mes collègues au cours des journées d’accueil des nouveaux travailleurs l’illustre : les participants essaient de faire tenir une ou plusieurs billes sur un plateau sans rebord en le soutenant chacun d’une seule main. Sans se parler, cela risque d’être très compliqué. Mais dès qu’un participant a compris comment procéder, il peut l’expliquer aux autres pour atteindre l’objectif. Une confiance s’installe, que chacun vit. On travaille ensemble, même les plus silencieux, sur la dynamique d’un collectif. Il n’est pas question que de parole, mais aussi de ressenti.
On apprend avec plaisir. Surprendre les participants les met également en attitude d’apprentissage, ils se rendent compte qu’apprendre ce n’est pas seulement être face à un texte. Ce n’est pas si simple cependant, car certains ont une grande habitude à recevoir de cette manière-là et nous devons, en tant que formateurs, trouver le moyen de mettre tous les participants suffisamment à l’aise pour qu’ils se sentent en confiance et se laissent aller dans les méthodes que l’on va proposer. Pour certains participants, cela ira très vite, ils ont l’habitude de jouer. D’autres objecteront que cela manque de contenu. Les méthodes très actives peuvent en refroidir certains ; même si c’est parfois un peu lassant, il est plus confortable d’écouter que de se mettre au travail personnellement… Au formateur d’y être attentif et d’être aussi très clair dans la description de ce qui est envisagé. Un portefeuille de lecture peut venir en complément.
On ne connait pas toujours le profil des participants avant de les rencontrer. Le temps étant souvent compté et les objectifs définis – les choses que l’on souhaite faire passer, faire comprendre, mettre au travail –, il n’est pas toujours possible de revoir sa feuille de route au moment même. Toutefois il est possible de l’aménager. Dernièrement, un de mes collègues a eu la bonne idée de déplacer le groupe, de le faire évoluer à l’extérieur. On a marché, il y avait du vent, on a dû se rapprocher et s’accroupir pour bien s’entendre. Le simple fait de bouger a eu une incidence. Personnellement, j’aime beaucoup préparer la salle en début de session avec les participants. Déplacer les tables, les chaises, rien que cela, ça participe déjà au cadre global.
Les consignes contribuent aussi à la qualité des exercices. Alors qu’elles semblent la réduire, elles ouvrent en réalité la créativité. Comment faire pour que le participant sente que ces procédés lui sont dédiés et non qu’ils font partie d’un inventaire de pratiques éprouvées ? Bref, comment garder fraicheur et spontanéité ? Une certaine lassitude peut en effet apparaitre (« Encore des Post-it ! ») et il faut parvenir à renouveler nos méthodes.
On dit souvent qu’il est impossible de débattre avec cinquante ou cent personnes. Aujourd’hui, ça ne m’effraie plus de poser des questions, même délicates, à un très large public. Lors d’une assemblée générale, les gens étaient assis dans de longues travées dont on ne peut s’extraire sans déranger tout le monde. Le dispositif mis au point par mes collègues a permis qu’en vingt minutes chacun ait pu discuter avec une poignée de personnes différentes, celles du rang devant, derrière, à gauche et à droite. Un court temps de discussion pour faire évoluer notre réflexion. À la sortie, de grandes feuilles noires et des craies de couleur étaient à la disposition de ceux qui désiraient en laisser une trace. Ils ont en quelque sorte tagué les murs. Sûr que si on avait utilisé des feuilles blanches et des Bics, ça n’aurait pas donné le même résultat.
Les mouvements sont aussi envisageables avec de grands groupes comme avec de plus modestes, c’est une façon de donner son avis avec son corps : l’animateur au centre met en débat une question et les participants se positionnent selon ce qu’ils en pensent. Certains se placent très loin pour signifier un point de vue tranché, d’autres se rangent à cheval sur les deux côtés… L’animateur en interroge quelques-uns de part et d’autre, creuse là où il sent qu’il y a des choses à exprimer. Chacun ensuite peut se reforger une opinion et se déplacer à nouveau ; à l’écoute de nouveaux arguments, il apprend aussi que son avis peut évoluer.
Toutes sortes de configurations sont possibles, à commencer par le solo. En formation, j’aime laisser quelques minutes dont chacun fait ce qu’il veut : prendre quelques notes, clarifier une idée, sa position, ce qu’il estime difficile, souffler s’il a envie de souffler... À deux, ensuite, on explique son point de vue ou son expérience à l’autre qui écoute et vice versa. Jusque-là, tout le monde participe, mais à partir de trois en effet il est possible qu’il y en ait un qui ne dise rien, qui malgré tout reste de côté.
Comment intégrer des concepts sans recourir à des définitions ? L’usage du Kapla, ce jeu de construction constitué de planchettes de bois, a permis par exemple d’éclairer la différence entre pluridisciplinarité, interdisciplinarité, transdisciplinarité. Chaque groupe de six ou sept participants réalise une construction sur une table pour illustrer l’un de ces concepts (on pourrait leur demander de construire les trois, mais cela prendrait beaucoup de temps et pourrait générer une lassitude). Certaines réalisations sont mobiles, il faut enlever ou ajouter des pièces pour en comprendre le principe, il y a des entrées et des sorties. Rien n’est figé, les participants déplacent parfois des pièces selon les interprétations différentes des membres du groupe. Les pièces de couleurs ajoutent une dimension, permettent de catégoriser, de relier. Ensuite, chaque groupe visite et commente la construction des autres. Le formateur commente également, complète ou ajuste d’après ce qui est dit et montré. On voit ici aussi que le geste est une autre voie pour s’exprimer.
Pour choisir le bon outil et faire participer tout le monde, une analyse de la demande s’impose. Ensuite, il faudra bien présenter les objectifs aux participants, idéalement volontaires et motivés, sélectionner une méthode non pour la méthode, mais au service d’un objectif, éviter de tomber dans le piège du ludique. Un petit secret pour cela : travailler à plusieurs sans quoi le risque est grand de recourir aux méthodes que l’on apprécie ou qui ont bien marché ailleurs. Et se poser ces questions : quelle est la plus-value ? Combien de temps cela va-t-il prendre ? Éviter également le piège de l’originalité, ne pas vouloir surprendre à tout prix et tout le temps. Évaluer, mais sans évaluer tout le temps. Il vaut mieux avoir peu de feed-back et en tenir compte. Et quand on a l’occasion, coconstruire l’outil d’évaluation et le cadre avec les participants. Cela contribue à faire d’eux des partenaires et à impliquer les plus discrets ou les plus réticents.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...