L’enseignement et la transmission des savoirs a toujours été une préoccupation majeure de la Fédération des maisons médicales. Plusieurs portes d’entrée peuvent être exploitées à ce sujet et l’une d’entre elles vient de s’ébranler. En effet, il va y avoir une adaptation de la durée du cursus en médecine pour s’aligner sur la réglementation européenne. La politique générale de l’enseignement va en être bouleversée à plusieurs niveaux.
La Fédération s’intéresse donc de près aux mouvements et remous dans ce terrain aux enjeux essentiels pour le développement de la pratique pluridisciplinaire de première ligne que nous défendons.
Au départ, il y avait la médecine. Elle ne pouvait être que générale, par définition. Cette science s’occupait du corps dans son ensemble, dans toutes ses composantes, aussi bien physiques que psychiques ; de problèmes sanguins ou osseux ; d’hommes et de femmes ; d’adultes et d’enfants ; de gynécologie et de chirurgie. A l’heure actuelle, on décerne toujours un diplôme en ’Médecine, chirurgie et accouchements’. Mais peu d’autres médecins que des obstétriciens se risqueraient à pratiquer des accouchements. Petit à petit, la profession s’est organisée pour référer certains cas particuliers à l’un ou l’autre praticien, celui-ci devenant du coup plus à même de prendre en charge ces pathologies qu’on lui confiait. En effet, on ne peut rester efficace que dans des actions que l’on répète suffisamment, on ne peut rester alerte que devant des problèmes que l’on résout régulièrement. Malheureusement, ce courant s’est progressivement accentué vers ce que l’on peut observer aujourd’hui. Le cadre des études n’est pratiquement plus fixé qu’au départ de la médecine spécialisée, aux dépens de la création originelle de professionnels omnipraticiens de la santé. Une meilleure définition des concepts de ce que l’on appelle de nos jours la médecine générale n’a vu le jour que dans le début des années 1980, à l’initiative de la profession elle-même. Dans un besoin de conceptualiser ce qui fait un médecin généraliste d’une part, de transmettre ce savoir par la voie des études d’autre part.
L’organisation de la profession et la planification de l’offre sont d’une complexité extrême. Nous allons en détailler quelques enjeux tels que les identifient le politique (à de multiples niveaux, national et international), l’académique, la profession, les citoyens – ou plus exactement les étudiants.
Le pouvoir politique
Le fédéral
C’est lui qui fixe le nombre de numéros INAMI accessibles pour les nouveaux venus dans la profession. Ce chiffre est bloqué pour toute la Belgique, et il est difficile d’imaginer des changements régionaux (ou communautaires) pour le moment. Une autre pioche de numéros est accessible pour des médecins ressortissants étrangers. Ce qui explique en partie les manoeuvres actuelles pour pallier à la pénurie relative des soignants : comme il est difficile d’élargir le panel fédéral pour les belges, on va chercher ailleurs pour combler le manque de force de travail.
Les communautés
Depuis de nombreuses années, les communautés ont mis en place des filtres pour éviter qu’un trop grand nombre d’étudiants viennent mordre la poussière sur la butée fédérale. En Communauté française, c’est ce que l’on a appelé le numerus clausus, qui a laissé plusieurs dizaines d’étudiants dans une vois sans issue chaque année. On en a énormément parlé sous la dénomination reçus/calés. Système discriminatoire et profondément injuste, il a été maintes fois remis en question et attaqué en justice par nombre d’étudiants qui dans certains cas ont eu gain de cause.
En Flandre, un examen d’entrée est organisé depuis plusieurs années dans les palais du Heysel. Il s’agit d’un dispositif important qui permet une certaine interactivité dans l’approche du test. En effet, celui-ci se base entre autres sur des qualités non directement liées aux sciences, tel que la maîtrise de la langue, la capacité de synthétiser un document. De cette façon, on diminue le risque de tomber, au coeur des études, dans une lutte fratricide pour gravir un échelon supplémentaire.
La profession
Les organisations professionnelles ont elles aussi une part de responsabilité dans la planification de l’offre. En effet, les médecins votent tous les quatre ans pour élire les organisations syndicales qui les représentent dans les instances de l’INAMI. Des déséquilibres majeurs à ce niveau se répercutent inévitablement sur les lignes de force des dispositifs de soins. Ainsi, il y a des survalorisations inexplicables de nombreux actes réalisés majoritairement dans les hôpitaux ou les centres de médecine très technicisée. On se retrouve dès lors rapidement dans des bulles inflationnistes, en partie responsables de l’attrait des jeunes vers ce qui représente leur plus grand avantage matériel. Malheureusement, l’économie telle qu’elle est constituée aujourd’hui pousse les futurs professionnels vers des choix de portefeuilles qu’on ne peut leur reprocher. Des rééquilibrages des budgets pourraient en partie réparer la fracture qui s’est installée insidieusement dans notre système de santé.
Les étudiants
Le discours des étudiants va à l’inverse de tout ce qui est prôné à l’heure actuelle en terme de modération de production de soignants : il faut un accès maximal, pas de quotas, et en avant toute ! On peut entendre ce discours mais il est difficile de le trouver réaliste. Pourquoi tant d’engouement pour cette filière médicale ? Il faudrait faire des recherches pour le comprendre. Lors des tables rondes sur la démocratisation de l’enseignement supérieur organisées par le ministre Marcourt, les représentants des étudiants en médecine ont été pour le moins acerbes. La démocratisation s’allie-t-elle de facto avec accès illimité ? La question doit être posée et la réponse n’est pas simple. Plus avant, nous pouvons aussi regarder vers la sortie des études. Celle-ci est focalisée sur l’accès aux jobs de clinicien ; or, il existe d’autres métiers accessibles pour des étudiants ayant la formation qu’ils ont reçue. A l’heure actuelle, ces activités sont remplies par des médecins avec un numéro INAMI qui est destiné à d’autres fonctions. Ceci pourrait résoudre en partie le surnombre estimé dans une filière qui ne met en avant que le pan clinique.
Des universités
Derrière le terme « universités » se cachent bien des réalités parfois sensibles. Là où la sémantique est celle d’une ouverture, de l’universalité des choses, il y a encore trop souvent un élitisme anti-démocratique qui implique une inégalité socialement insoutenable entre les différentes strates de citoyens et d’étudiants. On voit des efforts au sein des facultés pour tendre vers de nouvelles formes de pédagogies, des approches plus holistiques de l’enseignement. C’est ainsi qu’ont vu le jour des apprentissages par problèmes et du travail en plus petits groupes où se partage plus facilement le raisonnement. Malgré cela, les étudiants restent focalisés vers la médecine spécialisée, nous dirions même vers la déshumanisation la plus poussée des technologies médicales. De ce point de vue, l’expérience d’accompagnement de groupes de travaux d’étudiants rejoint le témoignage de patients qui se sentent de moins en moins pris en charge en tant qu’êtres humains au sein des structures hospitalières. Le constat de ce monopole et de l’inadéquation de l’enseignement à la pratique médicale a déjà été souligné à maintes reprises. De timides avancées ont lieu dans ce sens, grâce à la fougue de médecins généralistes engagés dans la cause de cette profession encore largement sous-représentée dans les académies.
L’Europe
Les institutions européennes vont vers une harmonisation, entre autre celle des établissements universitaires. C’est à ce titre, et dans le cadre du décret de Bologne, que s’organise le passage des études de médecine qui étaient de sept ans en Belgique (trois années de baccalauréat et quatre années de master) à six ans (trois années de baccalauréat et trois années de master). Cette diminution du nombre des années d’études va inévitablement impliquer des lourds changements au sein du cursus. Des matières enseignées vont devoir l’être autrement ou des préalables plus importants devront être acquis.
Quoiqu’il en soit, il s’agit à nouveau d’une équation peu évidente à résoudre et certains pans de la discipline risquent d’y perdre des plumes. Il y a un risque non négligeable que l’on mette sur une voie de garage des matières aussi essentielles que la médecine générale. C’est pourquoi la mobilisation de ses départements universitaires, entre autre, est importante.
De mémoire de généralistes militants, la Fédération a toujours accordé une place importante à la formation des soignants. On retrouve dans des articles tels que celui de Lise Thiry [1] des concepts visant à structurer les études médicales vers un changement de paradigme, vers des écoles de la santé. A proprement parler une intégration large de toutes les disciplines de la santé, du moins dans les premières années d’apprentissage.
Ce concept est à l’heure actuelle toujours porté par nos bons soins, car il reflète la conception que nous avons de la prise en charge de la santé de nos concitoyens. Il faut que l’équipe de travail multidisciplinaire puisse se roder, se façonner dès l’entrée dans une filière de la santé. Les universités sont un miroir de la société et cette société se construit avec comme outil de santé de l’avenir, une unité de base qu’est le groupe multidisciplinaire, ensemble de professionnels organisé de façon non hiérarchisée autour de la santé. L’apport de chacun pour faire avancer les situations va sans conteste au-delà d’un simple rapport de force qui perd tout son sens dans ce que nous rencontrons au jour le jour.
Il s’agit donc ici d’une vue de ce qui pourrait se passer au sein même du (ou plutôt des) cursus. Il y a aussi la possibilité de créer des modules larges adaptés aux différentes futures disciplines. De la sorte, il existerait des crédits qualifiant non seulement la réussite d’une année (crédit verticaux) mais aussi garantissant le passage facilité d’une section à l’autre (crédit horizontaux). Donc, nous pouvons définir une façon élégante de contourner le problème de la sanction sans possibilité réelle de réorientation. Nous disons réelle car des passerelles existent bien à l’heure actuelle, mais il s’agit plus d’un emplâtre sur une jambe de bois qu’une vraie solution. Parallèlement, la Fédération des maisons médicales a progressé dans une offre plus structurée comme lieu de stage pour les médecins généralistes en formation. Nous avons construit un chemin alliant le travail fait lors de différentes sessions de l’Université Ouverte en Santé et les réflexions de ce que l’on a appelé le ’groupe des universités’. Ce groupe est composé de médecins impliqués dans les départements universitaires de médecine générale et qui travaillent par ailleurs en maison médicale. Une étude qualitative a été réalisée auprès des maisons médicales, des assistants de troisième cycle travaillant en maison médicale et des maîtres de stages. Les résultats ont été présentés à ce groupe des universités qui a proposé que nous continuions le travail sur deux axes : le « tandem thérapeutique » (le duo maître de stage-médecin en formation) et la création d’un référentiel sur le travail pluridisciplinaire. Des projets existent déjà sur ce thème de la qualité des stages au sein même des départements.
Notre action se déploie dans trois directions pour faire avancer nos hypothèses sur la santé et sa prise en charge multidisciplinaire.
Premièrement, nous nous concentrons sur une prise de conscience politique des enjeux et défis liés à de tels changements. Nous avons rencontré le cabinet du ministre socialiste Marcourt et avons été conviés aux tables rondes qu’il organisait sur la démocratisation de l’enseignement supérieur - partim médecine et médecine vétérinaire -. Nous avons été sollicités par le député Ecolo Jacques Morel qui a présenté fin juin un rapport sur les changements attendus vers des écoles de la santé au gouvernement de la Communauté française. Des rencontres ultérieures sont prévues, entre autre chez madame Simonet (CDH) car l’articulation entre les niveaux d’études a évidement toute son importance.
Deuxièmement, un travail de mise en réseau et de collaboration de plus en plus étroite est créé entre la Fédération et les départements de médecine générale ; cela permet des dynamiques favorables dans les deux sens, terreau académique et peut-être de légitimation des centres de médecine générale. Laboratoire se perfectionnant de plus en plus dans la récolte facilitée de données, dans l’échange multidisciplinaire au sein des maisons médicales. Finalement, des actions directes et co-construites à l’adresse des équipes qui reçoivent des assistants pour inscrire de façon encore plus pérenne le projet d’accompagnement indispensable à un apprentissage de qualité. De la sorte existent déjà des modules de formation à l’utilisation de Pricare, programme le plus utilisé dans les maisons médicales à l’heure actuelle. Seront mis en place dès la rentrée académique 2011-2012 des chantiers sur les ’tandems thérapeutiques’ et ’référentiel du travail multidisciplinaire’.
Pour ce qui est des décisions de réformes suite aux contraintes de Bologne au niveau fédéral, outre le passage des études à 6 années, à l’heure actuelle seul un test d’évaluation/aptitude à entreprendre des études médicales est à l’ordre du jour. Il s’agira d’un système non contraignant, visant à indiquer au futur bachelier son niveau et ses risques éventuels s’il entreprenait le cursus souhaité. Une année de ’propédeutique’ ou de ’mise à niveau’ serait une possibilité tampon pour ceux dont les chances de succès (mais de quoi au juste ? de faire un bon médecin, pas sûr…) sont limitées. Là aussi, nous avons insisté à plusieurs reprises sur l’importance de régler ce test sur d’autres aptitudes que les sciences médicales de base, même si celles-ci sont très importantes. Des mesures en demi-teintes donc, pour ne froisser personne, mais pas de réelle politique intégrée, comme il le faudrait sans doute pour faire bouger les choses.
Plus de 90% des jeunes médecins décident d’aller vers une pratique de groupe. La première ligne de soins se réorganise. C’est le moment plus que jamais d’y insuffler le concept de santé au sens large, de façon multidisciplinaire, et d’arriver progressivement vers un changement de paradigme au sein des études. Plus que jamais, nous sommes imbriqués dans un système complexe (politique, société civile, académique…) dans lequel il faut agir sur chaque paramètre pour le faire fonctionner. Et ils sont nombreux à trier, à assembler, à unifier.
[1] Lise Thiry, « Pour une politique de la santé », La revue nouvelle du GERM, 10 octobre 1971.
Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...