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L’Union européenne : cheval de Troie des systèmes sanitaires nationaux ?


31 décembre 2014, Rita Baeten

sociologue, analyste des politiques à l’Observatoire social européen.

Dans l’Union européenne, l’organisation et la fourniture de services sanitaires et sociaux ont toujours été considérées comme une matière relevant exclusivement de la compétence des états membres ; le projet d’intégration européenne concerne avant tout le marché économique. Cependant suite à certains développements, tant au niveau européen qu’au niveau de la politique ( infra )nationale, la ligne de démarcation entre l’économique et le social ( et par conséquent entre les compétences de l’Union européenne et celles des Etats membres ) est devenue de plus en plus floue.

Des compétences nationales historiquement consacrées

Dans la répartition implicite des tâches entre le niveau européen et le niveau ( infra )national, l’Union est responsable de la création et du développement du marché tandis que le niveau ( infra )national se charge de corriger les excès indésirables des mécanismes du marché ( notamment la répartition inégale des richesses ) via la politique sociale et la sécurité sociale.

Au cours de l’histoire, les soins de santé et les systèmes de protection sociale ont évolué différemment dans les états membres européens ; ils sont par conséquent organisés de manières très variées. Les états membres y ont par ailleurs investi d’énormes quantités de moyens publics. C’est pourquoi ils ont toujours attentivement veillé à préserver leurs compétences relatives à ces secteurs, et à ce que l’Europe ne puisse s’immiscer dans leur politique en la matière. En ce qui concerne les soins de santé, ils pensaient avoir ancré cette compétence nationale dans le Traité européen de Lisbonne [1] ( voir encadré page précédente ) – qui, par ailleurs, ne mentionnait pas les services sociaux. L’Europe n’étant dotée d’aucune compétence explicite dans ces domaines, les états membres étaient donc convaincus qu’ils gardaient un contrôle total sur ces matières.

L’Europe s’est introduite par la porte arrière

Bien entendu, il a toujours été clair que les systèmes de soins de santé n’échappaient pas complètement aux règles du marché intérieur européen. Ce marché intérieur a pour objectif de promouvoir les échanges commerciaux entre les états membres par la création d’un marché commun et l’élimination des entraves commerciales entre les états membres. Pour y parvenir, le Traité européen garantit la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Cette libre circulation s’applique au domaine de la santé et du bien-être organisé par les gouvernements. C’est ce qui explique l’élaboration d’une législation européenne dite secondaire qui réglemente cette circulation ( par exemple, les directives relatives à la reconnaissance des qualifications professionnelles ). Ces textes de loi étant le résultat de négociations politiques, les états membres ont généralement pu faire en sorte que ces mesures ne compromettent pas la cohésion interne de leurs systèmes sociaux et sanitaires. Toutefois, au cours de ces 15 dernières années, il est devenu de plus en plus manifeste que l’influence des règles de marché intérieur sur la politique de santé et de bien-être vont bien au-delà de la législation secondaire et que les gouvernements n’ont pas toujours un rôle décisif dans les décisions relatives à la manière dont les règles du marché intérieur sont appliquées dans ces secteurs.

Les soins de santé comme activité économique

Les règles relatives à la libre circulation ( y compris la liberté d’établissement ) s’appliquent aux activités économiques ; les fournisseurs de ces activités tombent également sous l’application du droit de la concurrence, lequel doit garantir une concurrence loyale entre les entreprises. Les services sociaux et de santé sont pour leur part soumis aux règles du marché intérieur s’ils revêtent un caractère économique.

Toute une série de facteurs interviennent dans la détermination du caractère « économique » d’une activité au sens du Traité européen. Le rôle joué par la Cour de Justice de l’Union européenne est ici fondamental : ce tribunal interprète la législation de l’Union européenne et les règles de base du Traité. Son rôle est de fixer les modalités d’application de la législation de l’Union européenne et de vérifier qu’elle est appliquée de la même manière dans tous les pays. Le rôle de la Cour de Justice est aussi de combler les lacunes que le législateur européen n’a pu ou n’a pas voulu combler. Sa jurisprudence a progressivement étendu le domaine d’application des règles du marché intérieur à des domaines que l’on croyait à l’abri de ces règles. Ses jugements ne sont pas, par définition, le résultat de négociations politiques.

Dans son évaluation du caractère économique d’une activité, la Cour ne tient nullement compte de la forme juridique du service concerné, ni de son mode de financement. C’est la nature de l’activité qui est évaluée plutôt que la nature de l’institution. Ce qui signifie par exemple que les associations sans but lucratif ou les entités de droit public peuvent développer des activités économiques ( combinées ou non à des activités non économiques ) ; c’est est particulièrement important dans le contexte belge où les soins et l’assistance sont fortement contrôlés et réglementés par les autorités, mais où l’exécution des services est en grande partie confiée à des acteurs privés du secteur non-marchand. Cela rend le système belge encore plus vulnérable face à l’application des règles du marché européen.

Les soins de santé hors d’atteinte ?

Les institutions dont le fonctionnement est essentiellement basé sur la solidarité sociale, ainsi que les dispositions légales en matière de sécurité sociale sont exclues du concept d’activité économique. C’est par exemple le cas de l’assurance maladie obligatoire : tant les primes que les prestations sont fixées par les autorités dans un règlement qui s’appuie sur le principe de solidarité. Par contre, un système d’assurance maladie où les opérateurs disposent d’une certaine liberté dans la fixation des primes et des prestations relève d’une activité économique, à laquelle s’applique par conséquent le droit de la concurrence. Autrement dit, les activités exercées par les mutualités belges dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire ne sont pas de nature économique, tandis que les assurances maladies complémentaires facultatives sont quant à elles des activités économiques.

Pendant longtemps les états membres de l’Union européenne sont partis du principe que les soins de santé n’étaient pas régis par les règles du marché intérieur lorsqu’ils étaient financés par la sécurité sociale. Mais les choses ont changé dès 1998. Dans une série d’arrêts, la Cour de justice a qualifié d’activité économique les prestations de soins de santé fournies contre une rémunération, même lorsque celles-ci sont remboursées par la sécurité sociale. Selon la Cour, il n’est pas nécessaire que le service soit directement payé par le patient et la manière dont est organisé le système des soins de santé qui rembourse ces soins n’a aucune importance.

Les soins médicaux, les assurances maladie facultatives et en principe les services sociaux fournis contre paiement sont donc des activités économiques et sont par conséquent soumis aux règles qui régissent la libre circulation des services. Par ailleurs, en tant qu’entreprises, les prestataires de soins ou compagnies d’assurance maladie concernées tombent sous le champ d’application du droit de la concurrence. Les critères permettant de qualifier d’activité économique une prestation de soin de santé purement publique proposée directement et gratuitement par l’état n’ont pas encore clairement été établis.

Régulation et financement public entravent le fonctionnement du marché intérieur

L’objectif des règles relatives à la libre circulation est d’éliminer les obstacles aux échanges commerciaux entre les états membres. Ce qui implique que les états membres ne peuvent imposer aucune limite à la dispensation de soins transfrontaliers, excepté s’il existe des raisons valables de protéger un « intérêt public ». Les prestataires de soins qui souhaitent s’établir de façon permanente dans un autre état membre pourraient se heurter à la législation nationale, par exemple lorsque l’offre de services de soins de santé est planifiée par l’état, avec limitation du nombre de prestataires de services sur le territoire. Certaines conditions et systèmes d’autorisation, comme les normes d’agrément ou la détermination du statut juridique d’un prestataire de soins peuvent donc constituer un obstacle pour les prestataires de soins qui désirent s’établir dans un autre état membre. Lorsqu’il est attesté qu’une activité menée dans le secteur de la santé et du bien-être présente un caractère économique, la question est de savoir à quel moment un état membre qui poserait des limites à cette activité entrave la libre circulation ou la liberté d’établissement.

Le seuil fixé pour l’application des principes de libre circulation aux prestations de soins est très bas. Pratiquement toutes les réglementations du secteur de la santé pourraient être considérées comme une entrave potentielle à l’exercice d’une activité transfrontalière et être attaquées par les prestataires de soins devant la Cour. Autrement dit, le marché intérieur a une dynamique de dérégulation, puisqu’il impose d’abolir certaines réglementations nationales sans qu’elles soient nécessairement remplacées par des normes européennes.

De son côté, le droit de la concurrence européen impose diverses exigences en matière de comportement des entreprises et de relations entre états membres et entreprises. Les entreprises doivent par exemple s’abstenir de conclure des accords qui pourraient fausser la concurrence ( et notamment des accords sur les prix ). Il leur est également interdit d’abuser de leur position dominante sur le marché. De même, les états membres ne peuvent fausser la concurrence en octroyant à certaines entreprises des aides publiques. Tout comme ils n’ont pas le droit de leur accorder un « droit exclusif », ou monopole, puisque cela implique un abus de position dominante.

L’application des principes du droit de la concurrence aux services de soins de santé peut s’avérer contraire aux valeurs de solidarité sociale et d’accès universel que l’on trouve généralement à la base de l’organisation de ces services. En effet, pour garantir l’accès universel, les services sont en grande partie subsidiés par les autorités et des accords sont pris avec les prestataires pour que les prix restent accessibles aux patients. Divers accords conclus par les organisations professionnelles médicales ont été condamnés dans certains états membres parce que considérés comme cartels ne respectant pas le droit de la concurrence européen.

Dans la plupart des états membres, les contrats ou accords collectifs et sélectifs, négociés entre les groupes professionnels et les mutualités ou les autorités qui fixent le prix et le contenu des soins sont un pilier du système des soins de santé. Or, ces accords pourraient être contraires au droit de la concurrence européen. Chez nous, on ne sait pas dire avec certitude si le modèle de concertation belge entre les médecins et les mutualités qui inclut les accords sur les prix des prestations est conforme aux normes européennes. Cet exemple illustre à merveille le flou juridique auquel sont confrontés les systèmes de soins de santé, y compris en ce qui concerne leurs caractéristiques fondamentales. Les aides d’état octroyées pour les prestations de soins ne sont autorisées que sous certaines conditions très strictes, puisque ces subventions publiques peuvent être considérées comme potentiellement contraires au Traité de l’Union européenne.

Les objectifs d’intérêt général justifient les interventions des autorités

L’application sans réserve des règles de marché intérieur dans le secteur de la santé et du bien-être aurait pu pousser les autorités à opérer des changements radicaux et une forte déréglementation. Ces règles ont en effet rendu contestables les interventions des autorités visant à garantir l’accès aux soins pour tous et elles ont limité les options politiques. Tant le Traité que la jurisprudence de la Cour de Justice prévoient des cas justifiant les interventions des autorités notamment lorsqu’il est question de préserver « l’intérêt général ». Toutefois il n’existe pas de définition légale claire et précise du concept « mission d’intérêt économique général » ; de même, les conditions à remplir pour protéger une tâche d’intérêt général n’ont pas été définies. Les états membres jouissent en principe de la liberté de définir eux-mêmes ce qu’ils considèrent comme des services d’intérêt économique général. La Commission européenne est néanmoins habilitée à contrôler leur définition à la recherche d’éventuelles « erreurs manifestes ».

Autrement dit, les entraves à la libre circulation des services peuvent être justifiées au nom de la protection de l’intérêt général. Ces possibilités protègent les secteurs concernés dans une certaine mesure contre une dérégulation débridée. La Cour reconnaît notamment que préserver l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale est un objectif légitime. Toutefois, il arrive que même lorsque des raisons d’intérêt général légitiment une réglementation spécifique, l’autorité de régulation doive prouver que les mesures prises sont en mesure de garantir la réalisation de l’objectif visé. De leur côté, la Commission européenne et la Cour vérifient si pour atteindre le même objectif d’intérêt général il n’existe pas d’autres moyens moins restrictifs en matière de concurrence et de libre circulation. Elles évaluent en outre quel pourrait être l’effet si aucune exception n’était tolérée aux règles de marché intérieur.

Autrement dit, les états membres doivent disposer d’arguments solides pour obtenir une exception aux règles de marché intérieur ( par exemple, les conditions d’autorisation limitant le nombre de prestataires sur le territoire ). C’est à eux qu’incombe la charge de la preuve. Les autorités ont donc tout intérêt lors de l’élaboration de leur législation à vérifier si leur réglementation est appliquée de manière systématique, cohérente et identique à tous les prestataires de soins et si les critères, sur base desquels les décisions sont prises, sont explicites et transparents.

De la jurisprudence à la politique

Comme cela a été dit plus haut, les évolutions décrites ont surtout été encouragées par la jurisprudence de la Cour de Justice européenne. La Cour émet des arrêts sur base de cas spécifiques et concrets. Les principes sous-jacents sont appliqués de manière générale, mais l’application à chaque cas concret est une question d’interprétation et de prise en compte d’une série de critères. Les systèmes sociaux des états membres de l’Union européenne sont très différents les uns des autres, ils sont en constante évolution et sont caractérisés par des mécanismes assez complexes en matière d’organisation, de financement et de réglementation. Cela a engendré agitation et incertitude dans les secteurs concernés. De plus, il arrive que la jurisprudence évolue sur certains points fondamentaux. C’est pourquoi les acteurs concernés, les autorités et les organisations du secteur social insistent, surtout depuis la proposition d’une directive sur les services en 2004, pour que la spécificité et les objectifs sociaux des services de santé et de bien-être soient mieux reconnus et protégés lors de l’application des règles de marché intérieur.

Petit à petit on a commencé à prendre des initiatives politiques basées sur les lignes directrices tracées par la Cour, qu’elles aient ou non fait l’objet d’une interprétation et spécification détaillée. Via ces initiatives politiques, ou au contraire en l’absence d’initiatives dans certains domaines, les différentes institutions européennes ( le Conseil qui représente les états membres, le Parlement qui représente les citoyens européens et la Commission européenne qui défend les intérêts de l’Union européenne ) ont cherché à réaliser leur propre agenda et leurs propres objectifs politiques. Des groupes de pression ont également tenté d’influencer la politique et d’utiliser à leur avantage les nouvelles possibilités créées par la jurisprudence.

Concernant l’application des règles de marché intérieur, le Traité de Lisbonne instaure une série de dispositions permettant d’aborder davantage les services sociaux du point de vue de leurs objectifs sociaux. Une base juridique a donc été créée pour la définition des missions d’intérêt économique général et un protocole a été annexé au Traité avec des précisions complémentaires sur les services d’intérêt général. Ces dispositions exigent de la part de l’Union la mise en place de conditions favorables au bon fonctionnement des services d’intérêt général. Ainsi, une nouvelle clause sociale dite horizontale impose à l’Union, lorsqu’elle élabore sa politique, de tenir compte de la dimension sociale ; elle doit notamment garantir une protection sociale adéquate et la lutte contre l’exclusion sociale. La Commission devra désormais évaluer l’impact social de ses initiatives politiques sur base de cette disposition avant qu’elles puissent être appliquées. Le Traité reprend la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît entre autres le droit à l’accès à la sécurité sociale et à la protection sociale pour tous. Ces dispositions pourraient jouer un rôle dans les évaluations faites par la Cour dans sa jurisprudence et pourraient ainsi permettre une approche des services sociaux et services de santé davantage axée sur leurs objectifs sociaux spécifiques.

Interventions de l’État comme garantie de l’accès aux soins de santé pour tous

Dans notre société, la santé est considérée comme un bien très précieux et l’accès aux soins de santé comme un droit fondamental. Pour garantir à tous cet accès, les soins de santé sont en grande partie organisés, réglementés et financés par les pouvoirs publics sur base des principes de solidarité sociale. On ne peut appliquer ainsi les mécanismes de marché aux soins de santé. Comme les patients ne supportent pas intégralement le coût des soins fournis, il est impossible de fixer le prix sur base d’un équilibre entre l’offre et la demande. De plus, les patients ne disposent généralement pas de toutes les informations utiles et connaissances de base pour opérer un choix éclairé par rapport au soin dont ils ont besoin et pour pouvoir évaluer correctement la qualité du soin qu’ils reçoivent. Cette asymétrie de l’information fragilise la relation entre les patients et les prestataires, puisque les prestataires ont des intérêts différents de ceux des patients. Les risques liés aux coûts médicaux sont par ailleurs très inégalement répartis dans la population. Ce qui pousse les assureurs à ne vouloir assurer que les patients avec un profil de risque très bas.

Toutes ces raisons expliquent l’échec des mécanismes normaux du marché dans le secteur des soins de santé et la nécessité des interventions de l’état. Pour assurer une utilisation efficace de moyens financiers limités, garantir la qualité des services et éviter que les acteurs du marché n’utilisent le système qu’à leur seul avantage, le Gouvernement doit pouvoir mener des interventions directrices et correctrices dans le secteur des soins de santé. Il en résulte une grande complexité des systèmes de santé et un subtil enchevêtrement des équilibres supposés garantir la participation des acteurs du marché à un système en grande partie financé par les autorités publiques. Les instruments employés par les autorités pour pouvoir préserver les objectifs sociaux des systèmes sont nombreux ( par exemple dispersion géographique de l’offre ; subventionnement des services ; accords entre les prestataires de soins et les assureurs pour limiter les tarifs et fixer le contenu des soins ; limitation des possibilités de profit pour les fournisseurs ; etc. ). Or, bon nombre de ces interventions pourraient être considérées comme entraves au marché dans la logique de l’Union européenne.

Conclusions

Les règles du marché intérieur ont un impact manifeste sur les services sociaux et services de santé. Ils ont également pour effet de restreindre les interventions des autorités et de limiter les possibilités de choix en matière de politique. Les interventions des autorités dans le secteur de la santé et du bien-être visent essentiellement à préserver l’accès à des soins de qualité pour tous. Les autorités sont sur la défensive et doivent apporter des arguments hautement probants pour légitimer leurs interventions. L’inquiétude et la confusion dans les secteurs intéressés sont grandes.

Des contradictions sont apparues à l’intérieur du système de l’Union européenne entre l’intégration du marché au niveau supranational et la protection sociale au niveau national. Petit à petit, des compétences économiques renforcées ont interféré avec la sphère sociale. Les mécanismes qui sont à la base de tout ceci sont ancrés dans le Traité européen, où la logique du marché est la logique dominante. Le paysage des services sociaux se redessine ainsi progressivement sans grand bouleversement. Les acteurs intéressés, et notamment les fournisseurs commerciaux de services de santé ont tenté de profiter des nouvelles opportunités ainsi créées pour conquérir de nouveaux marchés. Les rapports de forces politiques peuvent soit ralentir soit renforcer ce processus.

Le modèle belge, où les autorités ont en grande partie confié l’exécution des services sociaux à des acteurs privés sans but lucratif s’en trouve extrêmement fragilisé. L’Europe reconnaît le « marché » et les « autorités », le secteur tertiaire se trouve lui dans une zone grise, comprimé entre ces deux concepts. Au cours de l’histoire, les initiatives prises en Belgique dans le secteur de la santé et du bien-être émanent de la société civile et ont pour but de répondre à certains besoins de la société. Plus tard, on a commencé à frapper à la porte des autorités pour obtenir un financement. Financement que les autorités ont ensuite assorti de conditions légales et de restrictions quant au nombre de services financés. C’est là un concept dont l’Europe ne sait pas très bien quoi faire.Avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne est également entrée en vigueur une série de dispositions qui permettent une meilleure évaluation de l’équilibre entre les objectifs économiques et les objectifs sociaux lors de l’élaboration de la politique de l’Union européenne. Quant à la manière dont les institutions européennes aborderont la zone de tension entre les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux, seul l’avenir nous le dira.

La directive européenne relative aux services

Il ne fait aucun doute que c’est la directive sur les services initialement proposée en 2004 ( également connue sous le nom de directive Bolkestein ) qui a permis au secteur social de prendre conscience de l’influence du fonctionnement du marché intérieur de l’Union européenne.

Dans sa version originale, cette directive s’appliquait sans distinction aux services sociaux et de santé. Les états membres ont été contraints de passer au crible leur législation nationale pour vérifier l’éventuelle existence de dispositions pouvant entraver le fonctionnement du marché intérieur. Certaines mesures étaient tout spécialement visées, notamment celles qui renferment des restrictions quantitatives ou territoriales pour les fournisseurs de soins ( par exemple, les restrictions basées sur l’ampleur démographique ou la distance géographique minimum entre les fournisseurs ), les mesures qui exigent une certaine forme juridique du prestataire de soins ( par exemple, asbl ), les tarifs minimums et/ou maximum obligatoires, etc.

Il a fallu attendre plusieurs années d’intense débat politique pour que les soins de santé ( et la plupart des services sociaux ) ne relèvent plus du domaine d’application de la directive. Mais cela n’empêche pas que les principes du Traité de l’Union européenne et ceux issus de la jurisprudence de la Cour continuent d’être appliqués aux soins de santé.

Cet article est un résumé d’un article paru précédemment : Baeten, R. ( 2011 ) Effecten van de Europese Unie op de gezondheids- en welzijnszorg, Welzijnsgids Gezondheidszorg Beleid, 79, p. 1-26.

[1Le fonctionnement de l’Union européenne repose sur des traités signés par les états membres de l’Union européenne. Le traité le plus récent réglementant le fonctionnement de l’Union européenne est le Traité de Lisbonne, il est entré en vigueur le 1er décembre 2009 ( http://europa.eu/eu-law/decision-making/treaties/index_nl.htm ).

Cet article est paru dans la revue:

n° 69 - décembre 2014

Europe et marchandisation des soins - Politiques et résistances

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...