Comment atteindre les patients issus de milieux précarisés sans les stigmatiser, notamment dans l’approche d’une problématique aussi sensible que le sevrage de tabac ? Il n’y a pas de réponse univoque à cette question, mais une attitude proactive semble à privilégier.
Depuis 2007, 31 maisons médicales, soutenues par la Région wallonne (21) et la Commission communautaire française (au nombre de 10) se sont mises en projet autour du tabac. L’objectif général de ces projets est la sensibilisation des patients fumeurs et leur soutien dans leur cheminement vers une vie sans tabac. Pour ce faire, différents lieux ou activités sont investis : l’accueil, la salle d’attente, la consultation, un groupe de paroles, la santé communautaire.
Dans les maisons médicales, il y a une proportion importante de personnes précarisées. En 2007, nous comptions, 30.1 % de bénéficiaires de l’intervention majorée (y compris OMNIO) contre 13.1 % dans la population générale [1].
Pour différentes raisons, les campagnes dites « grand public » en matière de prévention ont un impact quasiment nul auprès de ces publics précarisés [2], [3]. Nous savons par ailleurs qu’il existe une difficulté chez les médecins généralistes d’aborder le tabac avec leurs patients issus des populations défavorisées [4].
Nous avons demandé aux maisons médicales ce qu’elles mettaient en oeuvre pour que les patients plus précarisés soient touchés et participent aussi au projet. Il ne s’agit pas d’encourager les maisons médicales à développer des projets visant exclusivement les personnes précarisées mais bien de s’assurer que les projets développés leur sont accessibles au-delà d’une accessibilité géographique et temporelle.
Dix maisons médicales nous ont répondu. Les résultats ont été présentés le 2 juin 2010 à la rencontre Tabac et pauvreté : un débat social ! organisée par la Coalition nationale contre le tabac dans le cadre de la Journée mondiale sans tabac.
Certaines d’entre elles nous ont expliqué d’emblée qu’elles ne mettaient rien en place de particulier car elles ne voulaient pas stigmatiser les plus pauvres. Elles pensaient bien ainsi n’exclure personne, atteindre tout le monde mais reconnaissaient ne pas avoir évalué si tel était bien le cas. Peut-être cela vaudrait-il la peine d’être investigué pour en tirer les leçons.
Pour les autres, une grande diversité de démarches ont été répertoriées. Nous les passons en revue pour essayer d’en retirer des enseignements, des pistes de réflexion ou d’action utiles aussi bien pour les projets développés autour du tabac que pour toute autre thématique.
Que les affiches dans la salle d’attente soient élaborées à la maison médicale ou reprises de campagnes existantes, les maisons médicales misent essentiellement sur le visuel, avec très peu de texte et l’utilisation de mots simples pout toucher aussi le public précarisé. Le message est clair et court.
A l’accueil, c’est essentiellement l’importance du relais oral de toute activité qui est souligné.
Rappeler oralement une information est intéressant à plusieurs niveaux : elle donne accès à l’information aux personnes qui ne savent pas lire et à celles qui ne s’intéressent pas aux affiches et brochures en salle d’attente, elle rappelle et renforce une information lue dans la salle d’attente ou donnée en consultation, elle donne l’image de cohérence et de globalité à la maison médicale et enfin elle personnalise le message.
Conscients de cette tendance à ne pas parler du tabac avec les personnes précarisées pour ne pas « les embêter avec ça », les médecins généralistes dans certaines maisons médicales, essaient de ne pas exclure leurs patients d’emblée et laissent le patient décider pour lui-même si c’est un bon moment de parler du tabac.
Une autre manière d’être sûr de n’exclure personne, c’est le côté systématique : on demande le statut tabagique à tous les patients, on parle du groupe de paroles tabac à tous les patients fumeurs.
Certains travailleurs préfèrent référer le patient à un autre professionnel (un tabacologue par exemple), ils estiment alors utile de proposer une aide à la première prise de contact. Ce n’est en effet pas toujours une démarche facile d’aller voir un nouveau professionnel que l’on ne connaît pas. Une petite aide est souvent nécessaire. Mais jusqu’où-va-t-on ? Fournir les coordonnées du professionnel, prendre rendez-vous pour le patient, l’accompagner à son premier rendez-vous ? Comment aider le patient tout en encourageant son autonomie ?
De manière plus générale, on constate combien il est important de prendre le temps d’écouter et d’échanger avec le patient issu de milieux plus défavorisés et ce, peut-être encore plus que pour d’autres. Le temps est pourtant une denrée rare. Une maison médicale a dès lors prévu, dans l’horaire de l’infirmière, du temps pour échanger avec les patients autour du tabac.
« Lorsque l’on organise une activité de santé communautaire, ce sont souvent les mêmes patients qui viennent ». Pour donner une chance aux plus pauvres de participer, à ceux qui ne viennent jamais, certains établissent en équipe une liste de patients prioritaires qu’ils contactent personnellement.
Dans plusieurs maisons médicales, une démarche proactive est pratiquée quand il y a une activité : on n’attend pas que les patients abordent le sujet, on leur en parle, on leur téléphone la veille d’un groupe de paroles pour leur rappeler le rendezvous (selon l’expérience des équipes, cela augmente le taux de participation aux séances), on va jusqu’à les chercher chez eux la première fois. Assistanat ? Oui pour certains. Non pour d’autres : « on leur donne une chance, on leur donne le petit coup de pouce nécessaire à leur première participation ».
En ce qui concerne plus spécifiquement les groupes de paroles, il apparaît important que le groupe soit relativement restreint, afin que chacun puisse y trouver sa place. Et pour assurer la participation de tous, c’est tout un art pour les animateurs ! Que ces animateurs soient justement des professionnels de la maison médicale, bien connus des patients est également un atout. La convivialité est primordiale, du café et des biscuits sont un plus. En termes d’accessibilité horaire, c’est la journée qui est privilégiée, avant le retour des enfants de l’école.
L’objectif de ces groupes de paroles n’est pas l’arrêt du tabac en lui-même mais bien de réfléchir à sa consommation. Cela permet à chacun d’avancer à son rythme.
Que pouvons-nous conclure à propos de ces expériences, quelles seraient les démarches ou les activités à privilégier pour atteindre les patients les plus pauvres ? En fait, c’est plutôt une attitude à retenir : la pro-activité. Elle peut être déclinée à tous les niveaux : de l’accueil, à la consultation en passant par les activités communautaires et les groupes de paroles.
N’attendons pas passivement que les plus exclus viennent à nous. Parlons-leur du tabac. Et cette attitude pourra être profitable dans le cas d’autres thématiques de santé : parlons-leur librement d’activité physiques ou de vaccins,... Invitonsles person-nellement aux activités que nous aurons préparées en veillant à une meilleure accessibilité pour chacun.
Soulignons encore l’importance du contact personnel et le fait de pouvoir prendre le temps.
Par ailleurs, à la fin de cet article, on se rend vite compte que la plupart de démarches sont tout aussi valables pour l’ensemble des patients. Les patients défavorisés, plus difficiles à atteindre, nous poussent à réfléchir un peu plus loin. Ce que l’on met en place alors, contribue souvent à l’amélioration de la qualité de nos services.
Retenons enfin que les apprentissages tirés de ces projets tabac sont plutôt transversaux et peuvent orienter les projets liés à d’autres thématiques santé.
[1] Chiffres 2007, Service étude et de recherche de la Fédération des maisons médicales.
[2] D. Doumont, C. Feulien, En quoi la promotion de la santé peut-elle être un outil de réduction des inégalités de santé ? Fondements des inégalités et stratégies d’intervention, UCL RESO, septembre 2010.
[3] D. Doumont, F. Renard. Quelle est la place des réseaux de profanes dans les programmes d’éducation pour la santé auprès de populations défavorisées ? UCL RESO, Juin 2000.
[4] L.H. Nguyen et al, « La prise en charge du sevrage tabagique des patients défavorisés en médecine générale », Louvain médical, 2006 ; 125, 9 :S364-370
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