Quelques repères pour situer les clivages fondamentaux de notre société et les courants qui la traversent.
La démocratie participative est une démarche qui intègre toute une série de dispositifs et de procédures qui visent l’implication des citoyens dans la vie politique et l’accroissement de leur rôle dans les prises de décision. Dans un système parlemen-taire, les partis politiques sont les médiateurs privilégiés de la volonté politique des citoyens. Pour comprendre et analyser le fonctionnement de la démocratie participative, il est donc utile de s’intéresser à la structuration du champ des partis politiques.
Les partis politiques sont des organisations qui visent à mobiliser les individus dans une action collective, menée contre d’autres forces, afin de réaliser leur projet en accédant au pouvoir ou en influençant les décisions. Les partis politiques sont donc par définition un facteur de division. Ils sont les agents du conflit, puisque leur but est de défendre leur programme prioritairement, contre les autres. Mais ils sont aussi les instruments de l’intégration du conflit et des contradictions entre groupes. Par exemple, concernant le conflit en matière d’euthanasie, chaque parti va intégrer la thématique, avec les différentes facettes de son conflit, dans son programme, défendre l’une d’entre-elles, argumenter son point de vue et tenter de trouver un compromis autour de la question avec les autres partenaires, partis politiques, en confrontant les différents aspects du problème.
Pour mieux comprendre comment ils sont structurés, nous pouvons placer les partis politiques sur un axe idéologique, symbolisé par le continuum gauche/droite. Les grandes luttes historiques furent toujours bipolaires [1]. Chaque fois que des populations se soulèvent pour faire entendre leur voix, l’opinion se cristallise autour de deux pôles.
Le clivage gauche/droite existe depuis longtemps et a évolué selon les contextes. Le scientifique Maurice Duverger (M.Duverger – politologue né en 1917, in Les partis politiques) explique qu’il n’y a pas toujours un dualisme de partis mais presque toujours un dualisme de tendance. Pour lui, le centre n’existe pas en politique. Il peut y avoir un parti du centre mais pas une tendance du centre. Un parti qui se réclame du centre est traversé par des courants, plus à gauche et plus à droite.
Selon Stein Rokkan (politologue et sociologue norvégien - 1921-1979), il existe quatre clivages fondamentaux qui engendrèrent les différents partis politiques. Il est bien entendu que ces clivages peuvent être traversés transversalement par d’autres, par exemple économiques ou ethniques.
1. le clivage Eglise/Etat, d’origine culturelle. Les cléricaux sont les tenants de l’influence politique et sociale de l’Eglise. Les anticléricaux prônent la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
2. Le clivage centre/périphérie, d’origine également culturelle. Il oppose les centralistes unitaristes aux régionalistes autonomistes ou fédéralistes.
3. Le clivage secteur primaire/secteur secondaire et tertiaire, d’origine socio-économique. Il oppose les intérêts urbains, commerciaux et industriels à ceux des paysans. Dans les pays développés, ce clivage disparaît avec la disparition progressive de la paysannerie.
4. Le clivage possédants/travailleurs, d’origine socio-économique. Il oppose les intérêts des propriétaires des moyens de production et d’échanges à ceux des ouvriers. Même si les réalités, notamment socioéconomiques ont évolué par rapport à l’époque de sa conception, cette lecture sociologique des clivages garde toute sa pertinence, à condition de la réinterpréter dans notre contexte.
Au versant droit du clivage, c’est-à-dire des possédants, on rencontre les partis qui médiatisent la volonté politique des milieux d’affaires, industriels, financiers, ou commerciaux. On les qualifiera de familles libérales, qui prônent la défense de l’économie de marché. Au versant gauche, c’est-à-dire les travailleurs, on trouve les partis qui médiatisent la volonté politique du monde du travail et plus spécialement du mouvement syndical, coopératif et associatif.
Pour affiner les distinctions entre partis, on s’intéressera à quelques distinctions sous forme de définitions. Différents courants existent, tant du point de vue des objectifs que des stratégies pour réaliser le projet. L’exercice ici sera d’en donner une définition pour mieux comprendre les nuances entre ces projets politiques.
L’anarchisme (naissance en Belgique dans les années 1870 - déclin en 1914) préconise l’absence d’autorité, considère l’Etat comme source de désordre et souhaite sa disparition. Ce mouvement critique radicalement les institutions telles l’armée, la police, le capitalisme ou encore la religion. Pour les anarchistes, les libertés individuelles devraient constituer la base de l’organisation sociale.
La stratégie révolutionnaire, poursuivie par certains partis, consiste en un changement, un bouleversement important et brusque dans la vie d’une nation. Le terme de révolution s’applique à de nombreux domaines : social, politique, économie, culture, morale, science, techniques... Sur le plan politique, une révolution est la suppression de manière brutale et parfois sanglante de l’ordre établi et du régime politique en place et son remplacement par une autre forme de gouvernement. Le propre de la révolution, par rapport à une révolte, une insurrection, une réforme ou un coup d’Etat est l’instauration d’un ordre nouveau. Il ne s’agit ni d’une simple prise de pouvoir, ni d’une déstabilisation. La révolution vise le retour à une stabilité de l’état sur des bases nouvelles.
Le conservatisme est l’opinion ou l’état d’esprit de ceux qui refusent les innovations politiques, sociales et même techniques. Il s’oppose au progressisme. Le conservatisme défend l’ordre qui est supposé être apporté par la continuité et assure un soutien sans faille à la monarchie, au paternalisme, à la propriété, à l’autorité et à l’Eglise.
Le courant réactionnaire est un mouvement antimoderniste s’opposant aux évolutions, aux innovations ou aux changements sociaux qui ne découlent pas des principes traditionnels auxquels ils sont attachés. Adeptes de la tradition plutôt que du progrès, les réactionnaires souhaitent le maintien ou le rétablissement des formes d’organisation ou des institutions héritées du passé.
Le réformisme est une stratégie, une tendance politique favorable à des réformes légales et progressives, excluant à la fois la révolution et le conservatisme. Les réformistes sont partisans d’une transformation progressive des structures économiques et sociales de la société capitaliste, allant vers ce qu’ils considèrent comme davantage de justice sociale. Le réformisme diffère des mouvements révolutionnaires essentiellement par le choix des méthodes.
Le libéralisme est une doctrine politique, apparue au XIXème siècle comme prolongement du libéralisme philosophique, privilégiant l’individu et non la société. En matière économique, le libéralisme défend la libre entreprise et la liberté du marché. Le principe fondamental du libéralisme est qu’il existe un ordre naturel qui tend à conduire le système économique vers l’équilibre entre la production et la consommation sous réserve de liberté des marchés et de libre concurrence, seules censées garantir l’ajustement optimum des ressources disponibles à la demande. On cite souvent l’expression de « main invisible du marché » formulée par Adam Smith . Pour les économistes libéraux Smith et Mandeville, si chaque individu suit son intérêt, l’ensemble de la société se portera bien.
Le néolibéralisme, voire l’« ultralibéralisme », est un terme ayant une connotation péjorative, pour désigner tout à la fois une idéologie, une vision du monde, des modes de gouvernement, des théories marquant un renouveau et une radicalisation du libéralisme, forme actuelle du capitalisme. Le néolibéralisme se caractérise notamment par une limitation du rôle de l’Etat en matière économique, sociale et juridique. Les années 1980 sont marquées par un virage néolibéral dans le monde occidental, dont les gouvernements abandonnent alors les systèmes de contrôle de l’économie par l’état désignés comme « keynésiens » [2].
Le socialisme est une doctrine politique de gauche visant la propriété collective des moyens de production. L’égalité des chances, la justice sociale, la répartition équitable des ressources, la solidarité, la lutte contre l’individualisme, la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, sont autant de valeurs défendues par la doctrine socialiste.
Enfin, l’écologie politique illustre différents courants qui soulignent l’importance des enjeux écologiques en politique et dans le domaine social. Il est question ici de la survie de l’espèce humaine. C’est dans les années 60-70 que ce courant apparait et s’affirme sur la scène politique. Il remet en cause la société de consommation et sensibilise à la question environnementale.
Pour en revenir au clivage gauche-droite, qui traverse toutes ces définitions, il arrive fréquemment qu’on le présente comme dépassé. Beaucoup de gens affirment qu’il ne signifie plus rien, prenant comme preuve les options libérales de différents gouvernements socialistes européens. Et chez nous, en Belgique, actuellement, qu’en est-il ? Ce clivage signifiet- il encore quelque chose ? Fournit-il une grille de lecture utile ?
En Belgique, comme dans d’autres démocraties, le système électoral conduit à la mise en place de gouvernements de coalition. La dérive particratique de ce système permet aux présidents de partis de détenir le pouvoir de décision finale. Et cela, sans la légitimité du suffrage universel. Or, quand les élections produisent des résultats très polarisés, comme c’est le cas actuellement entre le Nord et le Sud de notre pays, cette situation devient problématique.
Au coeur du problème actuel, on retrouve le conflit qui oppose les idéologies de gauche et de droite. Et ça, même si les partis en présence, par le jeu des alliances, sont devenus des partis de centre gauche et de centre droite.
L’impuissance politique que nous vivons actuellement est définie par l’incapacité des gouvernements à générer une décision dans les affaires importantes en fonction d’un projet commun. L’instabilité y contribue, parce que les gouvernements, sans vue à long terme, ne disposent pas du délai nécessaire pour aller au bout de leurs projets, que leurs successeurs s’empressent de modifier sans pouvoir les mener à terme non plus. La division des décisions en différents niveaux pouvoirs accentue encore la perte de cohérence. Mais les changements de législatures sont moins décisifs que les contradictions internes d’un gouvernement appuyé sur une coalition réunissant des partis d’orientations différentes. Chaque département peut régler les problèmes qui dépendent de lui seul. Ceux qui demandent un accord général restent indéfiniment au point mort.
On voit que, même dans un contexte politique qui semble avoir perdu de ses couleurs, la grille gauche droite garde bien toute sa pertinence.
[1] Pour rappel, la formulation de ce clivage est né de la place respective des groupes parlementaires sur les tribunes de l’Assemblée nationale à la Révolution française, les modérés se tenant à la droite du président (qui se trouve face à l’hémicycle), et les radicaux à sa gauche.
[2] En référence à l’économiste Keynes, théoricien de ces systèmes.
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