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Spiritualité et santé


janvier 2007, Dr Pierre Drielsma

médecin généraliste au centre de santé de Bautista van Schowen et membre du bureau stratégique de la Fédération des maisons médicales.

De quelques réflexions autour de Dieu et de l’athéisme.

Je me couche spirituel et je m’éveille imbécile
Maine de Biran (1766-1824)

Avant que j’entre dans la matière qui fait l’objet de ces nouveaux mémoires, j’ai besoin de rendre compte d’une hypothèse qui paraîtra sans doute étrange, mais sans laquelle il m’est impossible d’aller en avant et d’être compris : je veux parler de l’hypothèse d’un dieu. Supposer Dieu, dira-t-on, c’est le nier. Pourquoi ne l’affirmez-vous pas ? Est-ce ma faute si la foi à la divinité est devenue une opinion suspecte ? Si le simple soupçon d’un être suprême est déjà noté comme la marque d’un esprit faible, et si, de toutes les utopies philosophiques, c’est la seule que le monde ne souffre plus ? Est-ce ma faute si l’hypocrisie et l’imbécillité se cachent partout sous cette sainte étiquette ?
Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère (1809-1865).

Prélude

Un jour, il y a très longtemps, j’ai proposé à notre bien-aimé rédacteur en chef de mettre en chantier deux numéros de notre glorieuse revue l’un sur Dieu l’autre sur le sexe.

Bien plus tard, il a été décidé de faire un numéro sur la spiritualité et l’autre sur le genre.
L’évolution est significative, les deux thèmes que je proposais correspondaient à des mots obscènes en l’an de grâce 2006. Nous pensons que le choix du cache-sexe s’inscrit pleinement dans la tendance au politiquement correct qui envahit jusqu’à la pensée et nous empêche de philosopher avec un marteau (Nietzsche).

La spiritualité est un concept quelque peu flasque qui s’accommode à toutes les sauces : comme le dit très bien Alain Houziaux : or s’il y a bien un mot qui semble ne pas avoir de signification précise c’est bien celui-là… le mot a certes une résonance, mais il n’a pas de définition précise. La spiritualité est de l’ordre de la quête d’un je ne sais quoi… L’Esprit est un souffle, un presque rien….

La spiritualité est individuelle, voire individualiste. La spiritualité est de l’ordre de la psychologie alors que la sagesse a des points communs avec la philosophie et de l’éthique…

Mais, in fine pour Houziaux, la spiritualité peut aider à une critique féconde d’un Dieu clérical et dogmatique. Il observe que les églises traditionnelles et même les nouvelles chapelles se caractérisent par le développement d’un intégrisme identitaire peu ouvert aux exercices solitaires de la spiritualité.

Voilà pourquoi nous traiterons de Dieu et pas de la spiritualité, non pas que nous dénigrions la spiritualité, au contraire, nous en appelons à une re-spiritualisation de l’Occident. Mais ce mot évoque aussi l’effusion, l’émotion ce dont notre société déborde et regorge. En matière d’émotion le problème n’est pas l’absence mais le trop-plein.

Comte-Sponville, zélateur de l’athéisme, écrit d’or quand il déclare : la spiritualité est une chose trop importante pour être laissée aux fondamentalistes… rien ne serait pire que de nous laisser enfermer dans le face-à face mortifère entre le fanatisme des uns - quelle que soit la religion dont ils se réclament - et le nihilisme des autres.

Je dessine souvent le carré magique suivant qui permet de bien comprendre l’horreur du débat intellectuel dans lequel nous trouvons. Si on le lit horizontalement, le théisme s’oppose à l’athéisme et ce sont les fanatiques des deux bords qui gagnent. Si par contre on verticalise la lecture, alors le criticisme se met en ordre de bataille pour défaire les intégrismes antagonistes.

Criticisme Fanatisme
Théisme Spiritualisme fraternel intégrismes
Athéisme Culture théiste/négation du dieu personnel Athéisme d’Etat/nihilisme

La critique de Comte-Sponville porte donc sur le fanatisme religieux et le nihilisme, il est regrettable qu’il n’ait pas signalé l’athéisme d’Etat qu’ont connu plusieurs grand pays (URSS/Chine) et leurs vassaux. Ne pas oublier non plus qu’il s’est trouvé certains athées occidentaux pour applaudir à ces persécutions au nom du progrès.

Pour les philosophies orientales (confucianisme, taoïsme, bouddhisme) devenues religions, il écrit : le besoin de croire tend à l’emporter, presque partout, sur le désir de liberté .
Il ajoute heureusement un peu plus loin : il y a des esprits libres dans les deux camps. C’est à eux que je m’adresse. Je laisse les autres, croyants ou athées, à leurs certitudes. On retrouve le carré magique.

Comme Debray, il pense qu’il faut une communion, du sacré, (c’est-à-dire une valeur absolue … qui s’impose de façon inconditionnelle) de la fidélité à... Or la question du Dieu personnel nous semble largement subsidiaire, nous verrons plus bas que, en réalité, la question du dieu personnel n’est pas religieuse, ni même théiste, mais qu’elle est rendue nécessaire pour préserver la possibilité d’un dialogue avec Dieu.

Une interview dans l’émission la pensée et les hommes, où Lemaire recevait le neuropsychologue Xavier SERON nous offre des perspectives darwiniennes intéressantes. Il donne une explication plausible de l’existence de centres neuronaux actifs lors d’événements religieux. La croyance serait utile pour gérer l’incertitude, on retrouve ici Debray, l’homme ne dispose ni de toutes les données pour faire un choix, ni de moyens de traiter toutes les données qu’il possède, en temps utile, il doit donc faire comme s’il savait.
Cette hypothèse présente aussi l’avantage d’expliquer l’effet anxiolytique de la croyance. Le placebo fonctionne de la même façon (cf. plus bas).

Dieu dans l’économie générale des systèmes sociaux

Dieu un concept tout terrain

Comme le disent très bien les corédacteurs en chef de la revue Critique, Dieu n’est pas la question mais la réponse. C’est même la réponse à toutes les questions. C’est d’ailleurs cette omnipotence responsive qui pose question. Avant d’aller plus loin dans le questionnement de la réponse, il faut faire un retour sur celui qui pose la question, c’est-à-dire Homo sapiens, voire Homo neandertaliensis. Les premières traces anthropologiques de religion, se trouvent dans les tombes des néandertaliens. Pour la plupart des auteurs, pas d’enterrement sans croyance en l’au-delà. Nous revenons sur les traits essentiels de l’humanité : la mémoire et la conscience de soi. La mémoire, souvent considérée à tort comme une simple faculté de stockage de l’information, dilate le temps présent de la vie animale vers le passé et l’avenir. En effet alors qu’a priori on s’attendrait à voir la mémoire tournée vers le passé, on observe qu’au fur et à mesure où le passé s’étend, un avenir se profile. Ce futur prend d’abord un aspect passé, c’est le concept de l’histoire cyclique présente chez les peuples premiers. Ce qui est arrivé garanti ce qui va se produire . Mais l’évolution vers une histoire eschatologique ne modifie pas le nécessaire équilibre entre présent et passé. Tout présent se pense comme au milieu de deux infinis : les origines qui se perdent dans la nuit des temps et la fin, si proche pour certains millénaristes, qui est toujours remise à demain. Les cosmologistes eux-mêmes nous placent à mi-chemin de la formation du soleil et de son extinction.

La première question difficile fut donc la mort, comment penser que cet autre moi-même à la mémoire féconde puisse ne pas poursuivre ad libitum sa pensée réflexive. Comment ce Moi qui perdure à toutes les transformations de la jeunesse, de l’âge adulte et de la vieillesse, comment ce Moi disparaîtrait-il et pourquoi ? Notre mémoire nous donne la perception ou l’illusion de l’infini. La mort semble un déni de mémoire. Le culte des morts représenterait une action de mémoire collective contre la mort individuelle. Il y a quelque chose après la mort. Il s’agit à la fois d’une affirmation et d’une volonté  : il doit y avoir, il faut qu’il y ait !
Ce point est important la croyance n’est pas une crédulité mais une volonté. D’ailleurs dans sa traduction de la Bible, Chouraki remplace croire par adhérer.

Dieu un millefeuille ou la danse des sept voiles de Dieu

Donc un au-delà, un (ou plusieurs) autre (s) monde (s) existai(en)t. Sur ce monde régnaient des dieux, puis Un seul qui fit le ménage céleste. Ce cortège de dieux donnait réponse aux questions que se posaient les Homo sapiens. Un dieu pour les bois, un dieu pour le foyer, un dieu pour le soleil et pour la lune, sa sœur, etc.
Pour résumer nous dirons que les dieux faisaient office de sciences c’est-à-dire de théorie explicative du monde. Le développement des sciences eu lieu d’abord en Grèce mais il fut trop rapidement stoppé à la fois à cause d’un programme de recherche limité, mais aussi par les péripéties de l’histoire. Les Arabes préservèrent l’héritage grec, l’amplifièrent puis repassèrent le flambeau à l’Europe. A la Renaissance, l’essor des sciences repris pour ne plus s’arrêter. Cette démarche permit de répondre de mieux en mieux et de plus en plus aux questions sur la nature (physis en grec). La crise culmina lors de l’affaire Galilée. Pourtant Galilée ne s’attaquait pas à la religion comme éthique, mais comme science !

Alors, Dieu entrepris sa danse des sept voiles, se dépouillant chaque jour d’un peu de son rôle d’explication du monde ; pour paraphraser la Genèse, ils virent que Dieu était nu
La remise en question du Dieu de science engendra la mise à la question du Dieu d’éthique.
Au XVIIe siècle déjà, mais surtout au XVIIIe, les libertins défoncèrent la morale théiste, ils l’épuisèrent en particulier au lieu insigne de sa faiblesse, la morale sexuelle. Alors que Galilée était dualiste : un Dieu de sciences à renvoyer aux poubelles de l’histoire et Dieu d’éthique à conserver, nos libertins étaient monistes (un seul et même Dieu), ils pensaient que la science accoucherait d’une morale…
On trouve encore cette illusion lyrique dans l’ouvrage du Prince Kropotkine , la morale anarchiste : l’idée du bien et du mal n’a ainsi rien à voir avec la religion ou la conscience mystérieuse ; c’est un besoin naturel des races animales…
Il explique un peu plus loin que c’est l’extension de la bienfaisance d’une tribu-famille au genre humain qui fait la morale. Outre que cette extension n’a rien de naturel, elle n’est nullement garantie par la science ou l’évolution probable de nos sociétés.
Après Auschwitz et le Goulag, nous avons perdu cette illusion, si Dieu est nu, l’Homme est à poil.
Alors nous devons aborder la question que pose Régis Debray , sans a priori (si c’est possible ?) : « peut (on) se dépatouiller dans la vie quotidienne sans prêter foi à des choses qu’on ne voit pas ou sans s’en remettre à certaines autorités dont on a quelque raisons de penser qu’elles en savent plus que nous… ? ». Ou encore l’humanité, qui s’adore elle-même, c’est le serpent qui se mord la queue. L’immanence du Grand-Etre comtien à lui-même, a tué dans l’œuf l’idée d’ériger directement la sociologie en théologie. Ce choix ne ressemble-t-il pas au légendaire baron de Münchhausen, qui tombé malencontreusement dans un étang, voulut remonter à la surface en se soulevant lui-même par les cheveux

Dieu dans l’interstice

Le problème c’est qu’une société n’évolue pas de façon homogène, chaque groupe social marche à son rythme, et à l’intérieur des groupes c’est la même chose. Il en résulte que par exemple, lorsque l’aristocratie est athée, la bourgeoisie hésite et le peuple est catho. Mais comme chantait Sardou : dans le Lot-et-Garonne on bouffait du curé, on priait la Madone tous les soirs en Vendée…. Au XIX//////ème siècle la bourgeoisie catholique est dominante en Belgique, la paysannerie aussi, la classe ouvrière quitte l’Eglise, la bourgeoisie éclairée est laïque.
La religion apparaît comme conservatrice, quand c’est l’Eglise qui l’est. Aujourd’hui, heureusement, les Eglises sont affaiblies, mais comme la nature spirituelle a horreur du vide, elle envahi les domaines les plus fantaisistes. Comme l’écrit Debray, moins il y a de religion plus il y a de superstition.

Dieu un placebo ?

Debray dans son remarquable ouvrage clôture le dernier chapitre, l’éternel de l’éternel, par un sous chapitre titré l’incomplétude et l’effet placebo. Ce qui nous ramène enfin à notre sujet. Mais nous permet de le traiter à fond.
En effet, nous allons d’abord considérer que toutes les perceptions des maladies et toutes les réactions à celles-ci sont médiatisées par notre psychologie. Or l’état psychique de quelqu’un dépend, outre son histoire psychique, de ses croyances, c’est-à-dire ses paris sur l’avenir, la valeur qu’il attribue aux choses et aux êtres, le sens qu’il attribue à sa propre vie, les valeurs sociales mêmes qu’il met en œuvre avec ses frères humains. L’adhésion à une option spiritualiste va agir comme un détournement, une distraction des frustrations matérielles. C’est probablement pourquoi Marx a parlé d’Opium du peuple. Ce que Marx a loupé c’est que le militant a aussi besoin d’opium pour mener son dur et long combat. C’est que le changement social a besoin de carburant. Ce qui reste actuellement du militantisme marxiste des années ’68 me paraît la meilleure démonstration qu’on peut difficilement durer dans la lutte sociale sur une base purement matérialiste. Le libéralisme n’est-il pas lui-même un matérialisme.

Dieu ou la spiritualité comme source de solidité morale, comme source de santé mentale, comme source de santé physique

De nombreux auteurs se sont penché sur la question de l’influence des croyances sur la santé subjective et objective tant dans le domaine de la santé mentale que de celui de la santé physique et ce jusqu’aux études de mortalité. La plupart des études semble conforter l’idée d’un effet positif des croyances sur la santé. Ce phénomène peut évidemment se lire à la lumière de nos conceptions sur l’effet placebo. Mais nous ne devons pas oublier que la religion, le divin, le spirituel fonctionnent à plusieurs niveaux.

Le schéma ci-dessus ne prétend pas épuiser le sujet mais permet de saisir d’un coup d’œil une série de mécanismes de satisfaction du sujet en rapport avec une spiritualité qui fait norme.
En vert, le sens de la vie intégré dans la plupart des grandes religions a pour effet de diminuer l’angoisse du sujet qui se trouve sinon jeté au monde, comme Robinson sur son île.

Les valeurs sociales négatives , par négatives il ne faut pas entendre qu’elles sont mauvaises au contraire mais qu’elles ont un impact d’élagage du désir. C’est-à-dire qu’elles nous font percevoir le peu d’importance du succès individuel, de la richesse, de la notoriété, etc. En cela elles nous libèrent des dépendances sociales les plus déprimantes. On remarquera la flèche courbe qui signifie qu’il existe une satisfaction sui generis de pouvoir se détacher, perçu à raison comme une force intérieure. Ces aspects sont particulièrement développés dans les religions orientales.

Et en dessert, les valeurs sociales positives, ces valeurs au lieu d’éloigner du monde, y ramènent, c’est-à-dire qu’elles imposent au sujet de bien agir. En particulier envers ses frères humains, ses prochains… Cette activité est la plus riche en flèches car le receveur de la générosité est souvent (pas toujours) heureux de l’aide qu’il reçoit, et par un sourire envoie un message positif à l’émetteur. La relation humaine mutuellement satisfaisante est une source de bonheur. Mais le simple fait de faire le bien crée une légitime satisfaction : le devoir accompli. C’est cela qui est représentée par la flèche bleue réflexive. Dans ce cas, on peut jouir de faire le bien, même face à l’ingratitude.

A cela, il faut ajouter l’appartenance à un groupe identitaire qui permet de savoir qui on est (mais cet aspect n’a pas que des conséquences positives). Le groupe permet aussi un soutien communautaire, par exemple dans ma patientèle à Seraing le groupe des témoins de Jéhovah, souvent vilipendé, rend visite aux déprimés, les soutient face à leur solitude, les véhicule quand c’est nécessaire. Tous ces aspects sont non-spécifiques au religieux mais contribuent probablement aux bons résultats de santé qu’on rencontre pour l’appartenance religieuse.

Le dernier livre de Boris Cyrulnik aborde également le continent des âgés et son rapport à Dieu, nous citons : Dieu en tant que base de sécurité internalisée devient un partenaire de l’existence quotidienne. On croit qu’il parle d’une vie ailleurs, après la mort, alors qu’il partage notre quotidien, sécurise, dynamise, donne sens et organise notre style relationnel.
On s’attache à Lui, comme on s’attache à la vie, de manière confiante et enjouée, parfois rigide, ambivalente et apeurée.

Dieu ne semblent pas un substitut : ceux qui se détachent des hommes…. usés par la misère… se détachent aussi de Dieu. Quand les âgés sont entourés d’une constellation affective, ils gardent en eux la force et le plaisir de croire gaiement en Dieu.
L’attachement à Dieu permet de réfléchir au sentiment religieux en tant qu’expérience émotionnelle. Il ne s’agit pas d’apporter des preuves de son existence... Il s’agit….de comprendre l’effet affectif de Dieu, comme une ferveur personnelle, une illumination intime… et si globalement, les croyants se sentent mieux que les non croyants c’est qu’ils maintiennent au fond d’eux-mêmes une base de sécurité.
Toutes les religions parlent de nos origines et de notre mort,… créant une représentation dilatée du temps.
Cet attachement à Dieu n’a pas que des effets bénéfiques. L’enveloppe affective peut se transformer en dictature du peuple croyant
.

C’est d’ailleurs cette dérive (historiquement fréquente) qui génère une légitime défiance envers les religions. On a pu dire que les guerres de religions ont conduit à la laïcisation de nos sociétés occidentales et au développement de l’athéisme comme position philosophique.

Il nous faut conclure : les croyances semblent bonnes pour la santé individuelle de ceux qui y adhèrent. De nombreux observateurs pensent aussi que les croyances sont bonnes pour la vie en société. La vie en société elle-même étant bonne pour la santé mentale et donc physique.

Si la société souhaite utiliser dieu-le-placebo, comme le bon docteur use de la pilule-au-lactose, pourra-t-on lui en tenir rigueur ? Le rôle des services de santé, du médecin est-il de jouer au barbier muni d’un rasoir d’Occam , ou d’améliorer la santé globale de la population ?

D’accord, mais alors, serait-ce au prix de l’ignorance ? Déjà Descartes s’inquiétait : « c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. »
Descartes, Lettre à Élisabeth, 6 octobre 1645.

Ou pire encore de la sottise, souvenons du camarade Voltaire qui écrivait : Vous avez raison, me répondit-il, je me suis dit cent fois que je serais heureux si j’étais aussi sot que ma voisine, et cependant je ne voudrais pas d’un tel bonheur…

Alors la question se repose autrement : l’usage du placebo est-il une sottise ? Et le ré-enchantement du monde une aliénation ? Cela paraît difficile à défendre, en effet, même avec un microscope à effet tunnel, nous ne voyons pas plus d’intelligence chez les athées critiques que chez les théistes du même tonneau. S’il faut absolument partager l’humanité en deux catégories ce sera plutôt entre les critiques et les fanatiques, qu’entre théistes et athées (cf. le carré magique). De même sur l’autre versant, un athée fanatique n’a rien envier un théiste intégriste. Les nihilistes lançaient d’aussi jolies bombes que les fous de dieu.

Donc rien d’intelligent ne nous interdit d’aller vers un plus grand bonheur, Descartes et Voltaire peuvent dormir en paix …CQFD.

Une anecdote amusante : des représentants des pays européens ont rencontrés des représentants de pays du Sud du bassin méditerranéen en Egypte, ils ont débattu du statut de la femme. Les représentants du Sud, ont demandé : au nom de quoi les occidentaux voulaient imposer leur vue. Ils ont fait état pour défendre leurs pratiques inégalitaires du relativisme culturel et moral. Cet argument me paraît solide. Il me semble que c’est précisément au nom d’un absoluïsme moral que l’on peut régler cette question. L’absolu serait ici l’absolue égalité des sexes.

Glossaire critique

Agnosticisme : doctrine d’après laquelle tout ce qui est au delà du donné expérimental (tout ce qui est métaphysique) est inconnaissable (Robert 91).
Terme créé par Huxley en 1869, il désigne actuellement soit l’habitude d’esprit qui consiste à considérer toute métaphysique (ontologique) comme futile (Baldwin) ; soit l’ensemble des doctrines philosophiques…. ,qui admettent l’existence d’un ordre de réalité inconnaissable par nature. (Positivisme de Comte, l’évolutionnisme de Spencer, relativisme de Hamilton, quelque fois aussi, sous réserve, le criticisme de Kant) (Lalande 68).

Athée : personne qui ne croit pas en Dieu, nie l’existence de toute divinité ( petit ROBERT 1991). Athéisme : doctrine de ceux qui nient l’existence de Dieu, spécialement doctrine de ceux qui nie l’existence d’un dieu personnel (Robert 1991).
Doctrine consistant à nier l’existence de Dieu (Lalande,1968).
La définition de ce terme ne peut être que verbale, le contenu de l’idée d’athéisme variant nécessairement en corrélation avec les diverses conceptions possible de Dieu et de son mode d’existence.

La théologie ( en tant que prétendue théorie d’un être qui serait à la fois l’Absolu et une personne morale ) s’évanouit en présence de la Critique, dont le vrai nom à cet égard serait l’athéisme, si , borné au domaine de la science pure, ce mot n’excluait aucune croyance légitime, et ne servait point à couvrir des doctrines aussi peu fondées que celles qu’il prétend désavouer ; et le panthéiste, de son côté, se voit appliquer ce nom d’athée contre lequel il proteste. En ce sens, l’athéisme est une erreur profonde, mortelle à l’humanité (Renouvier, cité dans le Lalande,1968 ).

Et aussi,
La religion précède sans doute l’athéisme car les sociétés naissent religieuses, sous le signe d’un dogmatisme spontané qui exclut tout doute ou négation. Le manque de religion serait un acte antisocial…

Nul n’est athée dans l’abstraction ; on est athée par rapport aux dieux, à Dieu, par rapport à telle type de croyance religieuse.

Ce qui caractérise notre époque ce n’est pas que l’athéisme soit diffusé (chose impensable avant le XIX////////ème siècle) ; c’est que l’athéisme soit au travail chez des croyants (E.U. thésaurus 1985, pp 218).

Clergé, Clerc vient de klèros (kleroV) tiré au sort pour devenir prêtre, se rapporte aussi à l’idée que le lévite (sous-prêtre) n’a pas reçu de terre en héritage, comme les autres tribus d’Israël, mais la cléricature. Les clercs sont donc des prêtres, secondairement des lettrés car quasi seuls les ecclésiastiques étaient lettrés.

Déisme, de Deus (dieu en latin) ce mot a été pris en des sens variables, il a été créé par les sociniens au XVI//////ème siècle pour se distinguer des athées. Pascal l’oppose à la fois au christianisme et à l’athéisme.
Clarke l’applique à toutes les conceptions philosophiques de dieu. Déisme en français a gardé de son origine une nuance péjorative.

Dieu/dieu/dieux,

Pour synthétiser les onctions de Dieu : Dieu est sens, Dieu est éthique donc morale, Dieu est mystique, donc jouissance.
Qui peut vivre sans ces trois ?…

Eglise(s), du grec ekklesia assemblée réunie sur appel, il s’agissait donc d’un groupe humain, puis il s’est étendu au bâtiment ou ce groupe se rassemblait, enfin à l’institution qui chapeaute l’ensemble de ses assemblées et leur bâtiments.
L’Eglise en devenant un institué a perdu son aspect prophétique (instituant) et le spirituel a été enclos dans les monastères. Les Eglises quelles qu’elles soient ne sont pas fondées à représenter les religions, tout au plus à transmettre un héritage (Debray).

Immanence, de in-manere = demeurer-dans
Immanent, qui résulte du cours naturel des choses sans intervention d’un agent qui se distinguerait d’elles. S’oppose fréquemment à transcendant. Mais de nombreux philosophes nient cette opposition :
si en vivant nous nous dépassons nous-mêmes, si l’action est créatrice, n’est ce pas parce qu’il y a un transcendant qui nous immanent (Lalande, 1968).

Laïc, laïque : 1° qui ne fait pas partie du clergé.
qui est indépendant de toute confession religieuse.

Laïcité :2° principe de séparation de la société civile et de la société religieuse.
La laïcité c’est à dire l’état neutre entre les religions (Renan).
En Belgique, d’aucuns distinguent une laïcité politique qui correspond à la définition ci-dessus et une laïcité philosophique que définit ici Jérôme Jamin : La « laïcité philosophique », n’est finalement qu’une poussée à l’extrême et au niveau personnel et individuel du principe de la séparation du politique et du religieux. La laïcité philosophique est un déplacement de cette séparation du niveau collectif (le politique) au niveau individuel (le philosophique). Elle consiste finalement à ne pas vouloir s’arrêter en si bon chemin et donc à séparer notre conduite personnelle, notre vie et notre réflexion, du religieux bien entendu. Cette acception nous paraît néfaste pour plusieurs raisons, en effet tout d’abord elle n’est que le cache-sexe de l’athéisme et de ce point de vue elle ajoute inutilement des mots. Mais ce qui est plus grave, alors que dans notre société la laïcité (politique) doit se tenir à égale distance du théisme et de l’athéisme, elle prend le risque d’une confusion entre laïcité (politique) et athéisme ce qui refoulerait tout théiste critique dans l’obscurantisme. Et fausserait gravement le fonctionnement du carré magique.

Mysticisme, croyance à la possibilité d’union intime et directe de l’esprit humain au principe fondamental de l’être, union constituant à la fois un mode d’existence et un mode de connaissance étrangers et supérieurs à l’existence et à la connaissance normale.
Mystique, relatif aux mystères, des cultes initiatiques, cachés, (mustès= initié) ; (muein= se fermer). Le mystique accède donc au sens caché.
Croyance (particulièrement morale ou sociale) qui s’affirme chez un individu ou un parti sans chercher à se justifier par le raisonnement (qu’elle soit ou non en elle-même susceptible de cette justification).

Positivisme : toute doctrine qui se réclame de la seule connaissance des faits, de l’expérience scientifique (Robert 91).
ensemble des doctrines d’Auguste Comte
on donne par extension ce nom à des doctrines… qui ont pour thèse commune que seule la connaissance des faits est féconde.

Prophète, issu de pro-phanaï, annoncer à l’avance, pré-dire, celui qui inspiré par Dieu, parle en son nom pour manifester ses volontés.

Religion :
D’étymologie controversée soit religare (relier) soit religere, (recueillir, revenir sur ce qu’on a fait, se recueillir ) de toutes façons les deux étymologies possibles collent bien avec l’acception actuelle.
A. Institution sociale caractérisée par l’existence d’une communauté d’individus unis (religare), par
1° des rites, des formules (religere).
2° croyance en une valeur absolue
3° mise en rapport de l’individu avec une puissance spirituelle supérieure à l’homme, puissance diffuse, multiple ou unique : Dieu.
B. système individuel de sentiments, de croyance et d’actions habituelles ayant Dieu pour objet. (Lalande 1968)

Sagesse, de sage dérivé du latin populaire sapius/sabius, qui a du gout, de la saveur et au figuré sage, vertueux. Le verbe savoir a la même origine et le chemin du concret (avoir du goût) vers l’abstrait (connaître) serait passé les intermédiaires suivant -> sentir par le goût -> avoir du jugement->être sage. (Dictionnaire historique de la langue française, Robert, 1998)
L’idéal du sage a tenu dans la morale stoïcienne, une place dont on ne saurait ignorer l’importance. A peine admettrait on qu’elle ait eût été réalisée une ou deux fois et encore par des êtres mythiques… c’est à se demander s’il n’y a pas là une influence orientale et si le sage n’était pas dans son fond historique un Bouddha (Lalande 1968). La comparaison avec la science nous paraît éclairante : la science est l’acte de l’esprit qui sait ; la sagesse est l’expérience de l’acte de ce qui est su, goûté, de l’être qui se communique et se laisse posséder, elle est l’union de l’intellectus à son objet essentiel (Lalande, 1968).

Spiritualité :
de spiritus esprit, souffle.
A. caractère de ce qui est spirituel (et non matériel).
B. vie de l’esprit (en général, au sens religieux de cette expression).

Théisme, de Théos (dieu en grec), l’étymologie du mot ramène à lumière du ciel, pourrait on dire alors les lumières contre la Lumière ?
Doctrine qui admet l’existence d’un dieu personnel, cause du monde : si le théiste ne fonde son sentiment (adhésion) que sur des probabilités, l’athée… ne paraît fonder le sien que sur des possibilités contraires (J.J. Rousseau, lettres sur la providence ; in Lalande 1968).

Transcendance, de trans- (au-delà) scandere (monter), d’où franchir, dépasser, escalader.
B. existence de réalités transcendantes
1) de la doctrine théologique d’après laquelle Dieu n’est pas dans le monde comme un principe vital,… mais à l’égard des créatures, selon Leibniz, ce qu’un inventeur est à sa machine, …
2) … il y a derrière les apparences sensibles … des substances permanentes ou des choses en soi dont elles sont la manifestation.

Aperçu bibliographique

1. P.Cordoba and A de Libera, Dieu, Critique tome LXII, N°704-705, 3-192. 2006. 2006.
Ref Type : Journal (Full)
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http://www.ville-ge.ch/bpu/imv/gazette/05/pdf_05/05_voltaire.pdf

http://perso.orange.fr/jean-pierre.proudhon/index.htm

Cet article est paru dans la revue:

n° 39 - janvier 2007

Spiritualité et santé

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...