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Les chemins de la souffrance, une juste punition ?


janvier 2007, Cuvelier Lawrence

Lawrence Cuvelier est médecin généraliste à la maison médicale Enseignement.

Selon une idée communément répandue, l’idée que la souffrance est un juste châtiment des fautes commises ici bas est un concept religieux particulièrement inscrit dans les dogmes judéo-chrétiens. Il serait utile à tous de revisiter cette pensée préétablie car elle fait encore des ravages chez certains soignants même si ils n’ont que de vagues notions de religion.<

Des notions qui ont fait fureur

La notion d’un péché dont il fallait racheter ici bas la faute a été une pensée dominante durant les deux derniers siècles. Quand la reine Victoria a utilisé des opioïdes pour accoucher, elle faisait face à un préjugé religieux. Un siècle plus tard, les femmes revendiquaient fièrement le fait de pouvoir accoucher « sans douleur » en opposition au verset : « tu accoucheras dans la douleur ». Les médecins hygiénistes de l’ère pré pasteurienne véhiculaient surtout, à travers un discours pseudo scientifique, un salmigondis moralisateur. Avant que la psychologie réponde à toutes les interrogations que posaient les mystères de la médecine, c’était cette culture teintée de christianisme bigot qui expliquait tout de façon péremptoire et définitive. Les maladies génétiques, il y a à peine 50 ans, s’expliquaient par les ravages d’une hérédité « alcoolo syphilitique ». C’était pesé, jugé emballé et le malheureux qui avait une fois été « voir les filles » à l’armée était stigmatisé pour le restant de ses jours. Pensons aussi aux réflexions de bonnes sœurs au chevet de femmes en travail, « tu souffres par là où tu as péché », et ceci pas toujours murmuré.

Cette idée de la souffrance comme juste rétribution à la faute peut paraître archaïque, et cependant le traitement correct de la douleur des cancéreux a juste vingt ans, et il existe toujours des patients qui ne bénéficient pas de soins appropriés. Pire encore, beaucoup de patients toxicomanes, sous prétexte qu’ils sont sous méthadone, ne bénéficient pas d’analgésie correcte lors d’hospitalisation. La raison officielle est « qu’ils ont déjà ce qu’il faut » et ce qui réside souvent en dessous est qu’ils ne le méritent pas « car ils ont fauté ».

Nous croyons souvent à tort que la médecine, avant de devenir expérimentale, n’avait pas d’explication face aux multiples mystères qui l’environnaient. Bien au contraire, les études de médecine étaient compliquées d’un discours hermétique, avec une explication globale d’un équilibre à préserver entre les quatre fluides. Vous pouviez être nerveux, pléthorique, lymphatique, bilieux ou sanguin. La rupture d’équilibre était le plus souvent la résultante d’une faute. Ce discours culpabilisant avait un caractère rassurant pour le soignant et pour la population saine dans la mesure où la faute c’était l’autre. Il s’intégrait facilement dans une religiosité avide de contrôle social.

Ce retour sur naguère et autrefois peut faire sourire, et pourtant il n’y a pas de quoi. Une patiente sur le point de mourir d’un cancer dépassé gémissait sur l’inanité de sa vie, disant que son existence avait été faite d’une énorme erreur. Soignée une première fois d’un cancer guérissable, elle avait donné des conférences et des soins en expliquant qu’elle avait guéri son cancer par la naturopathie. Là aussi, il s’agissait d’équilibre rompu, de médecine globale et de régime fautif. Je suis persuadé que cette logique imprègne profondément notre culture, comme d’autres, et qu’elle reste ancrée dans notre subconscient collectif, avec une faculté intacte de faire des dégâts car elle ne se porte pas directement à notre conscience. Alors la religion, coupable ?

L’indigence de Job

Tel Job sur son fumier, je crie aussi ma révolte contre l’indigence de la pensée qui consiste pour les chrétiens et les non chrétiens de ne pas connaître des textes pourtant fondamentaux de la pensée humaine. Le livre de Job débute par un préambule où Dieu se réjouit de la dévotion et de la droiture de Job. Satan insinue que sa dévotion est due à sa félicité et qu’elle disparaîtra au moment où le malheur s’abattra sur lui. Dieu permet à Satan de lancer ce défi et à ce moment la tourmente s’acharne sur le malheureux. Voilà donc Job, nu, malade et pauvre. Alors, fou de douleurs, il tient un discours où il appelle à ne plus vivre, il déprime sérieusement. Ses amis pieux et dévots viennent le réconforter mais surtout, tel des inquisiteurs, veulent savoir par où il a péché. Eliphaz, le premier accusateur tient un discours sur l’absolue justice de dieu. A quoi Job répond que la souffrance morale qu’inflige son ami en le jugeant est bien pire que les tourments qui l’accablent. Il pose alors clairement la question de pourquoi la douleur et pourquoi la souffrance. Il dénonce l’idée d’un dieu vengeur ou tourmenteur. Plus loin, il remarque que dans les cataclysmes les bons et les méchants sont également atteints. Il dit que la misère rend honteux même ceux qui sont innocents. Le troisième accusateur en rajoute une couche en l’adjurant de se repentir. Il lui fait remarquer qu’il continue à s’adresser à Dieu alors qu’Il se montre si injuste avec lui. Job répond finement que la justice n’est pas de ce monde. Le texte continue, d’une beauté et d’une vérité stupéfiante. Job crie au ciel vengeance au scandale de ses amis. Plus loin, un autre intervenant fait valoir la valeur éducative de la souffrance. Et comme souvent, dans la bible, c’est le révolté, l’impie qui obtient gain de cause par un discours de Yahvé qui confirme Job comme son dévoué serviteur, le rétablit dans sa fortune et sa santé et dénonce les amis comme manquant de droiture dans leur cœur. Et pourtant, à lire le discours de ces amis, combien il ressemble aux propos moralisateurs dont j’ai parlé au premier paragraphe.

But alors you are french ? Je suis désolé pour ceux pour qui l’idée d’une morale judéo chrétienne ravageuse et intangible était un acquis irréfragable mais il faut encore les détromper sur la perfection. Le christianisme s’impose parfois comme une religion faite pour des surhommes parfaits alors que Jésus dit qu’il y a plus de place pour un repenti que pour cent justes, alors qu’il déclare encore qu’il vient pour les prostituées et les marchands. On confond souvent l’image du saint chrétien avec celle du héros grec mi-homme, mi-dieu, qui présente toutes les qualités d’un héros de bande dessinée américaine alors que le prophète est un homme tourmenté qui généralement fuit le fait de devoir délivrer un message. L’église préconciliaire a souvent tout fait pour conforter cet archétype. Une affaire de tour effondrée : de même lorsque la tour de Siloé s’écroule et qu’onze personne sont tuées, Jésus s’indigne de la question de savoir si les victimes avaient pêché.
Je ne prétend pas ici résoudre ici les problèmes théologiques posés par la liberté de Dieu, le libre-arbitre des hommes et le sens rédempteur de la souffrance. Un magnifique conte de Tolstoï a pour titre la mort de Ivan Ilitch. Il s’agit d’un fonctionnaire particulièrement égoïste qui, sentant la mort venir, devient encore plus injuste et inique, martyrise son entourage qui agit pourtant avec dévouement. Il se révolte contre la douleur et le sens de son malheur. A l’heure où le trépas s’approche il ressent une sorte de délivrance, de la tendresse pour les siens, l’inutilité de sa quête d’un pourquoi. Ce récit bouleversant renverse aussi cette présomption de culpabilité de l’homme souffrant.

Pour ne pas conclure

Le livre de Job fait partie des livres sapientiaux placés le plus souvent entre le Cantique et la Sagesse. Ce cycle de livres écrits autour du Ve siècle se caractérise par une grande poésie, comme dans le Cantique des cantiques et par un très grand réalisme comme dans l’Ecclésiaste (« tu es poussière et tu redeviendras poussière »). Il fait clairement la transition avec une religion purement monothéiste. En effet, l’explication du mal dans une religion polythéiste peut aisément se comprendre par un jeu de concurrence et de jalousie entre dieux rivaux. Impliquer le mal dans la volonté d’un Dieu infiniment bon et puissant devient une opération malaisée. Sans doute, le prix à payer est une religion où le rapport avec Dieu devient plus complexe mais aussi beaucoup plus humain car placé dans une logique du libre-arbitre.
Pourquoi revenir avec tous ces « caramels de l’ancien temps » ? Notre société s’est fortement sécularisée avec un retour inconscient vers un polythéisme fait d’un bazar de croyances diverses dans lesquelles souvent la santé tient un grand rôle. Les boutiques de ce type de croyance font flores. La maladie et le vieillissement sont de plus en plus considérés comme inacceptables. A cet égard, un récent éditorial du New England Journal of Medecine faisait état d’une patiente de près de quatre-vingt ans qui exécute une série de figures impressionnantes de yoga, mais se plaint de ne plus pouvoir exécuter la transition entre deux figures : « Il doit sûrement me manquer une vitamine ou un oligo-élément … ». Cet espèce de polythéisme laïque des temps modernes où les dieux sont tombés sur la tête est émaillé d’un discours souvent très culpabilisant. Le type de conclusions sur l’autisme que Bruno Bettelheim a tenu était effroyable pour les mères qui dès leurs grossesses auraient conçu inconsciemment un autiste. J’espère que ce petit texte permet au thérapeute de trouver un plus grand espace de liberté et d’humanité dans leur relation avec les malades.

Cet article est paru dans la revue:

n° 39 - janvier 2007

Spiritualité et santé

Santé conjuguée

Tous les trois mois, un dossier thématique et des pages « actualités » consacrés à des questions de politique de santé et d’éthique, à des analyses, débats, interviews, récits d’expériences...