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Une place pour l’ostéopathie en maison médicale ?


19 mars 2018, Gaëlle Chapoix

chargée de mission dans l’équipe de l’Éducation permanente de la Fédération des maisons médicales.

La reconnaissance de l’ostéopathie aux niveaux légal et médical n’est pas acquise. Pourtant, en 2010, une étude du Centre fédéral d’expertise en soins de santé (KCE) mettait en évidence l’intérêt et la satisfaction des usagers pour cette pratique. Elle fait partie de l’off re de soins de plusieurs maisons médicales. Qu’est-ce qui y motive son développement ? Quelle pourrait être sa contribution à la qualité des soins ?

Il y a deux ans, Adrien Obolensky et Arnaud Fermin quittaient leur fonction de kinésithérapeutes en maison médicale pour cofonder l’asbl Microtubules [1] avec l’objectif de rendre l’ostéopathie accessible aux patients des maisons médicales. Mais au sein du mouvement et parfois des équipes, comme dans la société belge, il n’y a pas unanimité sur la place de cette pratique dans le système de santé ni sur sa validité. La coexistence de plusieurs conceptions et pratiques de l’ostéopathie contribue à sa méconnaissance et à la méfiance qu’elle suscite, liée peut-être aussi à ses origines.

L’éclairage partiel proposé ici vise à soutenir le débat autour de ce phénomène qualifié de «  médical mais également sociologique  » par le KCE [2]. Selon l’enquête de l’Institut de santé publique de 2013, 6% des Belges ont consulté un ostéopathe dans les douze derniers mois (12% parmi les diplômés de l’enseignement supérieur). En 2007, une enquête de l’association de défense des consommateurs [3] montrait un taux de satisfaction et de confiance très élevé, confirmé en 2010 par une étude du KCE [4] qui révélait par ailleurs que 87% des répondants recourant aux médecines dites alternatives consultaient également un médecin conventionnel… mais qu’ils ne l’informaient presque jamais de leur démarche, connaissant ou supposant ses réticences. Une situation dommageable pour la relation et la qualité des soins. Développer la connaissance mutuelle, voire des collaborations, pourrait y remédier. Si la plupart des ostéopathes travaillent en solo, ils intègrent de plus en plus des structures de soins.

En maison médicale

Trois maisons médicales accueillent un dispensaire social d’ostéopathie pour adultes ou pour enfants  : La Perche et la Free Clinic à Bruxelles, et Espace Santé à Ottignies. Cette dernière a répondu positivement à une proposition de la Société belge d’ostéopathie il y quatre ans. Une convention de collaboration prévoit une plage hebdomadaire de consultations à bas prix par des ostéopathes volontaires organisés en tournante. Ceux-ci rédigent un compte-rendu dans le dossier santé informatisé (DSI) des patients de la maison médicale qui met à disposition un local équipé, s’occupe des prises de rendez-vous et reçoit une contribution financière pour couvrir partiellement ses frais. Dans d’autres maisons médicales, un kinésithérapeute de l’équipe est devenu ostéopathe. A Bautista Van Schowen (Seraing) comme au Goéland (Linkebeek), il participe alors à la dynamique et au travail d’équipe et pratique également en privé. Les patients prennent rendez-vous de leur propre initiative ou sur les conseils d’un autre soignant.

Aux Primeurs (Forest), il y a longtemps que les soignants orientent les patients vers un dispensaire ou des ostéopathes en privé. L’équipe a été une des premières à signer une convention avec Microtubules. Une participation financière de la maison médicale complète celle des patients. Les aspects logistiques sont similaires à ceux des dispensaires. Une demi-journée par semaine, l’ostéopathe reçoit des patients de la maison médicale qui lui sont référés par un kinésithérapeute ou par un médecin. Les patients ne peuvent donc pas prendre rendez-vous directement, ce qui permet de gérer l’accessibilité car les consultations se remplissent vite. Une plage est prévue pour les urgences et, quand la consultation est pleine, les patients peuvent encore être référés à l’extérieur.

Origines et fondements

En 1874, suite au décès de ses enfants, A.T. Still, médecin de campagne américain, qui doutait de la médecine offi cielle de l’époque, s’est mis en quête d’alternatives. Convaincu que l’organisme humain détenait la capacité de lutter contre les maladies, il a développé, par des recherches et expérimentations, une approche globale visant les causes des dysfonctions plutôt que les symptômes. Les principes qui en ont découlé sont : l’approche de l’être humain comme un tout fonctionnel et dynamique dont l’état de santé est infl uencé par le corps et l’esprit, l’existence de mécanismes d’autorégulation et d’autoguérison du corps, l’interrelation structure-fonction à tous les niveaux du corps [5].

À son arrivée en Belgique en 1970, l’ostéopathie s’est polarisée selon deux visions : l’une axée sur les principes fondateurs, l’autre sur une approche plus technique et scientifi que. Cette polarisation se refl ète au niveau des formations, des pratiques, des associations professionnelles et des défi nitions : d’une « approche manuelle thérapeutique et diagnostique des pathologies, qui est exclusivement axée sur la motricité anormale du système locomoteur et sur le système nerveux périphérique » (SPF Santé publique) à « une approche diagnostique et thérapeutique manuelle des dysfonctions de mobilité articulaire et tissulaire en général dans le cadre de leur participation à l’apparition des maladies ou le maintien de la santé » (Académie belge d’ostéopathie).

Les techniques utilisées peuvent être classées en trois catégories : structurelles (mobilisations, étirements…), fonctionnelles (techniques douces incluant l’approche craniosacrée) et viscérales.

Concurrence ou complémentarité  ?

L’ostéopathie est-elle alternative ou complémentaire  ? Une concurrente ou une spécialisation de la kinésithérapie ou de la médecine générale ? En 2010, 83% des ostéopathes belges étaient kinésithérapeutes, ce qui contribue sans doute à l’image de kinésithérapeute spécialisé. De plus, par des formations en thérapie manuelle, les kinésithérapeutes peuvent acquérir certaines techniques utilisées par les ostéopathes. Cela permet aux patients d’en bénéficier dans le cadre des soins reconnus et remboursés. Le développement des formations complémentaires en kinésithérapie pourrait accentuer cette tendance. Sans remettre en question l’intérêt de ces formations, il paraît important de les distinguer de celle en ostéopathie, à la fois plus approfondie et plus globale, au niveau de l’approche diagnostique, des techniques pratiquées...

Une fois diplômés (DO), les ostéopathes ont deux ans pour rendre leur numéro Inami de kinésithérapeute et passer à une pratique exclusive [6]. Selon plusieurs témoignages, ce principe semble s’inscrire logiquement dans le processus de reconnaissance de cette profession et amener à plus de clarté pour les patients comme pour les praticiens.

Le fait que l’ostéopathe puisse être consulté sans prescription médicale et pose des diagnostics – d’exclusion et ostéopathique – n’en fait pas non plus un concurrent du médecin. Les formations initiales cultivent malheureusement plus la logique de territoires et de concurrence que la complémentarité et l’interdisciplinarité. «  Entre kiné et ostéo, c’est un peu comme entre psy et assistant social  : ils travaillent sur le même terrain, avec des fonctions différentes et complémentaires, explique Karin Verbist, médecin généraliste aux Primeurs. L’avis de l’ostéopathe est souvent demandé en complémentarité à l’avis du kinésithérapeute.  » C’est d’ailleurs la demande d’examens cliniques des médecins, peu formés en médecine physique, qui a amené Rik Nijskens, alors kiné à Bautista Van Schowen, vers l’ostéopathie, qui comporte une formation plus poussée en sémiologie.

Contexte légal En 1997, une directive européenne vise la reconnaissance de quatre médecines dites non conventionnelles et l’encadrement de leur exercice et des formations pour la sécurité des usagers. En 1999, elle est transposée dans la « loi Colla » qui amène les associations professionnelles à se regrouper au sein du Groupement national représentatif des professionnels de l’ostéopathie (GNRPO). Celui-ci milite pour une pratique exclusive de l’ostéopathie et délivre le titre d’ostéopathe DO (diplômé en ostéopathie) nécessaire pour que le patient puisse bénéfi cier du remboursement partiel proposé depuis les années 2000 par les mutualités dans le cadre de l’assurance complémentaire. Faute de reconnaissance, l’ostéopathie n’a trouvé sa place dans l’enseignement offi ciel comme formation de base qu’en 2004 à l’ULB et s’est d’abord enseignée en privé à partir des années 80. Près de vingt ans plus tard, la loi Colla n’est toujours pas mise en oeuvre. Sous la législature précédente, un arrêté royal (6 avril 2010) avait été bloqué par l’Open Vld. En 2016, la ministre de la Santé a voulu modifi er la loi et rendre indispensable la prescription médicale, dans une logique qui n’est pas sans rappeler celle appliquée aux soins psychologiques et où les enjeux économiques et corporatistes semblent présents. Des ostéopathes et des patients défendent l’accès en première ligne entre autres pour le coût et la rapidité de la prise en charge. Notons que la loi relative aux droits des patients (2002) leur garantit la liberté de choix du praticien professionnel, y compris non conventionnel.

Selon le profil de compétences professionnelles en ostéopathie [7], un des objectifs de celle-ci est «  de récupérer la fonction normale et d’éviter et/ou de limiter de cette façon la consommation de médicaments, des interventions techniques ou la chirurgie  ». Catherine Frédérick est kinésithérapeute aux Primeurs, formée en thérapie manuelle. Pour elle, l’intégration de l’ostéopathie à la maison médicale permet effectivement de prescrire moins d’examens et aussi de libérer de la place en kiné. «  L’ostéopathie réharmonise là où quelque chose ne fonctionne plus, dit-elle. La kinésithérapie revalide et stabilise sur le plus long terme. Les ostéopathes font en sorte que les fondations soient solides, ‘à niveau’ et alignées, pour que les kinés puissent construire avec les patients un mur qui ne part pas de travers.  » Plusieurs témoignages de patients et de soignants convergent  : une ou deux séances d’ostéopathie permettront parfois de résoudre un problème aigu, de débloquer une situation, de soulager la douleur et de faciliter voire de raccourcir le traitement de kinésithérapie s’il est nécessaire. «  L’ostéopathe conseille le patient pour éviter les rechutes et évalue avec lui et ses collègues la pertinence d’une rééducation posturale en kinésithérapie  », explique Jean-Pascal le Pallec, ostéopathe au Goéland. L’étude du KCE sur les lombalgies [8] confirme cette complémentarité. Michel, patient d’une maison médicale, souligne le double intérêt de soulager rapidement les douleurs liées aux mauvaises postures de travail, pour le confort du patient et pour la société par la réduction des arrêts de travail et de leur coût. Une occasion aussi de réduire la consommation d’antidouleurs dont les effets secondaires sont avérés, alors que l’ostéopathie en a peu ou pas comme l’a indiqué le KCE en 2010. En raison de sa maladie chronique, Irène expérimente la complémentarité de ces pratiques dans un suivi combiné à long terme. Les équipes dont un kinésithérapeute est formé en thérapie manuelle et effectue des manipulations vertébrales ressentent peut-être moins le besoin de ce type de collaboration avec les ostéopathes même si, à Bautista Van Schowen, par exemple, les deux se complètent.

(Re)connaissance et interdisciplinarité

Les apports de l’ostéopathie ne s’arrêtent pas là. Les motifs de consultations cités dans l’étude du KCE de 2010 sont, entre autres, les lumbagos, les affections liées au stress, les maux de tête et migraines, les troubles digestifs, les plaintes psychosomatiques et, pour les bébés, le reflux gastro-œsophagien et le torticolis congénital. La collègue kinésithérapeute de Rik Nijskens formée à l’urogynécologie lui envoie des (futures)mamans. Il reçoit aussi fréquemment les bébés et leurs parents  ; s’il décèle une difficulté de lien, il soutient les parents et en parle en équipe si besoin. Karin Verbist oriente également vers l’ostéopathe les bébés et les femmes en période périnatale, de même que les patients souffrant de pathologies pas strictement ostéo-articulaires, comme une migraine ou une constipation rebelle.

En pratique, le recours à l’ostéopathie en maison médicale semble dépendre des connaissances, expériences et sensibilités des autres soignants par rapport à cette pratique, et plus particulièrement aux techniques craniosacrées et viscérales. Microtubules rencontre les équipes pour expliquer les principes de l’ostéopathie, discuter de ses indications et des modalités de collaboration. D’après Rik Nijskens, cela devrait faire partie de la formation des médecins. Aux Primeurs et au Goéland, les stagiaires et assistants en médecine passent par le cabinet de l’ostéopathe. Les ostéopathes intégrés à une équipe de maison médicale participent aux réunions du secteur kiné et aux réunions d’équipe, ce qui permet d’affiner la connaissance des compétences de chacun, de croiser les expertises complémentaires dans des situations complexes et de développer un langage commun. «  Avec Microtubules, c’est toujours le même ostéo- pathe. On commence à le connaître, on connaît sa façon de travailler, il vient nous voir et on échange  », explique le Dr Verbist. Par rapport au dispensaire d’ostéopathie, ça améliore la continuité des soins.  » La convention prévoit un temps de travail pour compléter le DSI et, à la demande de certaines équipes, pour des réunions cliniques. «  Les retours de l’ostéopathe dans le DSI sont très étayés  », poursuit-elle. Il y précise ce qu’il a fait, ses hypothèses et d’autres éléments comme l’état d’esprit du patient.  » La qualité des échanges interdisciplinaires est perçue par les patients, comme en témoignent Irène et Michel.

Intégration et diversité

À travers les expériences de maisons médicales, les études du KCE et le profil de compétences de l’ostéopathe, se dessine la place de cette profession au premier échelon du système de santé (même s’il peut y avoir aussi des ostéopathes au deuxième) dont elle partage les critères de qualité de globalité de l’approche du patient, d’intégration du préventif, du curatif et de l’éducation à la santé. Lui donner une place dans une pratique d’équipe ou de réseau pluri- ou interdisciplinaire libère la parole du patient, permet de développer la connaissance mutuelle et la complémentarité, tout en assurant la continuité des soins et en améliorant l’accessibilité à cette thérapie. Xavier Van Houtvin, médecin généraliste et ostéopathe, souligne que «  la consultation préventive en ostéopathie est un luxe impayable pour les maisons médicales et leurs patients.  » Et pourtant Irène, en tant qu’usagère et citoyenne, rêve de son utilisation plus fréquente pour tous pour le rééquilibrage global qu’elle permet.

Être à l’écoute des patients est aussi un moyen de mieux connaître les apports de l’ostéopathie. La satisfaction des patients porte notamment sur le soulagement de maux de société  : stress et souffrance psychosociale, maladies chroniques, troubles liés vieillissement… [9] Cela interroge les limites des pratiques dites conventionnelles. En plus du développement de recherches adaptées, développer l’interdisciplinarité et laisser une place à l’empirisme pourrait contribuer à sa reconnaissance. Dans un contexte encore défavorable, notamment en termes de financement, il ne s’agit pas de conclure sur la pertinence de l’intégrer ou non en maison médicale, mais de poursuivre ensemble la réflexion, sur le fond et sur les modalités, comme pour d’autres fonctions telles que psychologues, assistants sociaux, diététiciens…

Evidence-based ? Selon le KCE, les preuves scientifi ques de l’effi cacité clinique de l’ostéopathie sont peu nombreuses, comme les études. Une certaine effi cacité apparaît cependant pour les maux de nuque et du bas du dos. Le KCE souligne aussi, pour ces maux, le manque d’effi cacité démontrée pour les traitements conventionnels ainsi que l’importance de prendre en compte la puissance de l’eff et placebo. Le manque de preuves est donc à distinguer de la preuve du manque. L’evidence based medecine (EBM) « ne rend compte que de la partie émergée des symptômes et des maladies explicitement formalisées » [10] et se pose ainsi la question de l’adéquation des protocoles de recherche conventionnels à l’approche ostéopathique globale dans le diagnostic comme dans le traitement. Notons que la prise en compte des préférences du patient concernant son traitement fait également partie de l’EBM, avec l’expérience clinique et les données de la recherche.

[2KCE. Etat des lieux de l’ostéopathie et de la chiropraxie en Belgique. Rapport 148B, Bruxelles, 2010.

[3Test-Santé n°52 référencé par P. van Dun et al. in Document d’information sur l’Ostéopathie. ROB et GNRPO asbl, Bruxelles, mars 2013.

[4Op cit

[5F. Le Corre et S. Toff aloni, L’ostéopathie. Éditions PUF, Que sais-je ? 2007.

[6Seuls les médecins (1% des ostéopathes en 2010) peuvent combiner les fonctions et bénéfi cier du titre.

[7Approuvé par le Chambre d’ostéopathie le 12 juin 2012, et repris par Van Dun, op cit.

[8KCE. Lombalgie et douleur radiculaire. Rapport 295B. Bruxelles, 2017.

[9Les troubles musculosquelettiques chroniques (TMS) constituent un problème de santé publique complexe et croissant pour lesquels le recours à l’ostéopathie est fréquent (OMS. Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023).

[10A. Lazarus et G. Delahaye, « Médecines complémentaires et alternatives : une concurrence à l’assaut de la médecine de preuves ? », Les Tribunes de la santé, 2007/2.

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