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FOCUS

Quelle place ont les maisons médicales dans le projet de réforme des soins de santé mentale ?


2 juin 2014, Christian Legrève

animateur au Centre Franco Basaglia. De janvier 2005 à mars 2018, responsable du service éducation permanente de la Fédération des maisons médicales

, Claire-Marie Causin

secrétaire politique de la Fédération des maisons médicales

, Coralie Ladavid

Secrétaire politique, Fédération des maisons médicales ; assistante sociale à la maison médicale du Gué.

, Dr Olivier Mariage

Médecin généraliste, directeur à la maison médicale le Gué, permanent politique à la Fédération des maisons médicales.

, Marianne Prévost

sociologue et chercheuse à la Fédération des maisons médicales.

La Fédération des maisons médicales examine différents axes et dans différentes régions la place des maisons médicales dans le projet de réforme des soins de santé mentale. Quelques constats, réflexions et ouvertures vers l’avenir.

Quelle que soit la manière dont il y répond, le médecin généraliste est largement concerné par la santé mentale de ses patients. Une revue de la littérature internationale faite il y a quelques années [1] constatait ainsi que, parmi les personnes ayant «  réussi  » leur suicide, 66 % avaient vu un généraliste au cours de l’année précédente, de même que la plupart des patients présentant un problème mental - dont 35 % seulement avaient consulté pour plainte psychiatrique.

Rien ne permet de croire que cela diminuera dans un avenir proche  : les problèmes de santé mentale sont actuellement la cause la plus importante d’invalidité dans le monde. En Europe occidentale, 25 % des gens souffrent d’un trouble mental au cours de leur existence  ; selon les prévisions, ce chiffre doublera d’ici 2020 (OMS ) [2].

Les problèmes les plus fréquemment relevés en médecine générale sont la dépression majeure ( 55 % des cas ), les troubles de la personnalité ( 21 % ), les addictions ( 16 % ), les troubles anxieux généralisés ( 15 % ) et les troubles phobiques ( 15 % ) [3]. Le plus souvent, ces problèmes sont intriqués à des problématiques sociales diverses  : l’article d’Anne Gillet récemment publié dans nos colonnes [4] en témoigne très clairement, ainsi que celui de Marc Jamoulle publié dans ce numéro.

Cette intrication des dimensions sociales et psychiques est particulièrement visible en maison médicale, les usagers de ces structures étant, en moyenne, en situation plus précaire que la population générale résidant en Belgique [5]. Ce qui explique sans doute aussi, en grande partie, qu’ils présentent des problèmes de santé mentale proportionnellement plus fréquents. Une enquête exploratoire menée dans le cadre de l’intergroupe liégeois ( cf ci-dessous ) fait état d’une proportion de patients en souffrance psychosociale allant jusqu’à 10 à 25 % des inscrits, selon les équipes ( ces résultats doivent encore être confirmés et validés ). Une autre étude [6] montre que ces patients ont un profil [7] nettement plus lourd en moyenne, que celui des patients se trouvant dans les services hospitaliers.

Ces patients ont des difficultés multiples, en lien avec des problèmes juridiques, culturels, affectifs, financiers  ; ou encore avec leur situation en terme de logement, leurs relations avec les voisins, les propriétaires  ; l’aide à la jeunesse peut faire partie du tableau … Il faut chaque fois trouver des réponses spécifiques, en se coordonnant avec d’autres acteurs et services  : propriétaires privés et publics, voisins, aides familiales, hôpitaux généraux ou psychiatriques, soins psychiatriques pour personnes séjournant à domicile, services d’administration des biens, créanciers, avocats, psychologues et psychiatres, centres de santé mentale, l’aide en milieu ouvert, le service d’aide et d’intervention éducative, le service de l’aide à la jeunesse, le service de protection judiciaire, juges de la jeunesse, CPAS … Cela représente un travail lourd, complexe et parfois décourageant  : d’autant plus que le rôle de la première ligne dans la prise en charge des problèmes de santé mentale est encore largement méconnu et sous-estimé, tant par les pouvoirs publics que par les intervenants spécialisés. Dès lors, la collaboration avec les psychiatres et les services hospitaliers est souvent malaisée, il est difficile de faire hospitaliser les patients en crise, il n’y a pas de réelle gestion des urgences, le suivi à la sortie est insuffisant … Et les équipes sont surchargées  : la nécessité de financements spécifiques pour les assistants sociaux et les ‘psys’ des maisons médicales est d’ailleurs exprimée depuis plusieurs années – sans grand succès jusqu’ici.

Différentes démarches sont en cours sur le terrain des maisons médicales pour préciser les problèmes rencontrés, les pratiques, les besoins. C’est nécessaire ( et suffisant … ? ) mais cela ne va pas de soi  : le champ est très large - de la petite dépression réactionnelle à la décompensation schizophrénique grave - et il est difficile d’élaborer des indicateurs pertinents et réalistes. Lesquels doivent, bien sûr, ne pas impliquer une charge de travail trop lourde pour les soignants. Un exemple illustre la complexité et la nécessité d’une approche rigoureuse en la matière  : la distinction entre les «  troubles psychiatriques modérés ou graves  » et les «  troubles de santé mentale légers  » est souvent fondée sur le fait que le patient ait, ou non, été hospitalisé ou suivi par un psychiatre. Mais justement, de nombreux patients psychotiques suivis en maison médicale n’ont jamais été hospitalisés en psychiatrie ou même, n’ont jamais voulu consulter un psychiatre … Il faut donc trouver des outils plus fins et plus adéquats.

La Fédération des maisons médicales s’est récemment attelée à ce travail dans le cadre du tableau de bord, outil qu’elle développe depuis plusieurs années de manière à recueillir et analyser des données pertinentes à partir de la pratique [8]. Un groupe de travail s’est mis en place ( travailleurs de maisons médicales et responsable du projet à la Fédération ) afin de concevoir des indicateurs pertinents au niveau de la santé mentale. Cette démarche en est à ses débuts  ; toutefois, les échanges menés avec les équipes fournissent des données qualitatives très intéressantes sur l’activité et les réflexions des maisons médicales en matière de santé mentale [9].

Ces échanges confirment la fréquence des problèmes de santé mentale qui génèrent «  beaucoup de souffrance pour les patients et une charge de travail importante pour les équipes  ». De même pour le contexte social  : «  Si on prend en compte aussi le social, ça représente facilement la moitié de notre quotidien et cette prise en charge peut entrainer une souffrance des soignants  ». Isolement, contexte de vie, travail stressant, analphabétisme, pertes, deuils ( normaux ou pathologiques ), violences familiales, événements traumatisants ( exil, viols, conflits armés ) … autant d’événements qui peuvent faire le terreau de la maladie. Les problèmes de dépression sont très fréquemment rapportés et la consommation générale d’antidépresseurs, importante, ne semble pas toujours appropriée. «  C’est là que l’écoute prend tout son sens, pour ne pas confondre par exemple tristesse et dépression, réfléchir à différentes alternatives avant de prescrire une médication et pouvoir travailler plus sur le relationnel  ». Autre problème fréquent  : les dépendances - à l’alcool, aux drogues et aux médicaments. La consommation excessive d’alcool semble sous-estimée et sous-diagnostiquée lorsqu’il n’y a pas de dépendance avérée  : cette question est plus difficile à aborder que celle du tabac [10]. Au niveau des drogues, certains travailleurs aimeraient pouvoir montrer que les maisons médicales prennent en charge une bonne part des traitements à la méthadone  : «  C’est là qu’on est le plus efficace, mais comment soutenir les soignants ?  ».

Enfin, la psychose devient une question importante dans certaines équipes, surtout depuis l’application de la sortie des hôpitaux pour une prise en charge en ambulatoire [11]. Les médecins généralistes semblent avoir des difficultés particulières à poser un diagnostic de psychose. Qu’en est-il des limites entre le normal et le pathologique ? «  Il y a un certain flou, qui peut aboutir à un traitement inadéquat – et soutenir l’attitude de certains patients psychotiques qui dénient leur situation psychiatrique et leur besoin de soins – ce qui fait partie de leur pathologie …  ».

Une autre démarche est mise en œuvre par le Groupe santé mentale ( GSM ) à Liège qui s’est créé dans le contexte de la réforme ‘psy 107’. Ce projet de recherche-action, dont la finalité est d’améliorer la prise en charge des patients concernés, comporte une étape descriptive dont la méthodologie se veut en lien direct avec la pratique. Au départ, les patients en souffrance psychosociale sont identifiés à partir des éléments de soin et des traitements prescrits ( encodés dans le Dossier santé informatisé )  ; ensuite, chaque thérapeute de référence détermine si ces patients doivent être sujets d’une attention particulière, en se basant sur divers indices de souffrance psychosociale ( et/ou psychiatrique )  : déliaison et facteurs aggravant la rupture du lien social ( isolement social, familial, professionnel, culturel, psychologique )  ; risque de rechute, risque de passage à l’acte  ; présence dans l’anamnèse de séjour( s ) en institution psychiatrique  ; période( s ) de décompensation aigüe et/ou chronique relevant de la maladie mentale avec éventuellement des critères psychiatriques ( délire, paranoïa, dépression, exaltation, repli sur soi, pensées négatives,... ).

La deuxième étape consiste à analyser la prise en charge de ces patients en observant l’évolution de différents indicateurs d’alerte  : dégradation de la santé, de l’hygiène personnelle  ; dégradation du logement, de la gestion administrative,...  ; utilisation inadéquate des services de la maison médicale ( rendez-vous manqués, appels déstructurés, non compliance thérapeutique  ; pas de nouvelles  ; agressivité ). Le suivi, la mise à jour de ces items pour toutes les personnes incluses représente bien évidemment un travail conséquent – d’autant plus qu’il devrait entraîner des démarches thérapeutiques proactives pour répondre à la finalité du projet. On perçoit aisément l’ambition et la complexité de ce travail qui doit incontournablement passer par l’élaboration de définitions pertinentes, relativement précises et qui fassent consensus.

Ces démarches montrent bien que les maisons médicales souhaitent continuer, approfondir et enrichir le suivi de leurs patients souffrant de problèmes en santé mentale. Cette motivation répond à l’approche globale de la santé et au principe d’équité qui sont au fondement du modèle  ; elle est d’autant plus justifiée que les modes d’organisation du travail en maison médicale sont particulièrement appropriés au suivi de ces problématiques.

La pluridisciplinarité est une de ces modalités  : en effet, les médecins travaillant en équipe pluridisciplinaire peuvent s’appuyer de manière naturelle sur leurs collègues  ; l’assistant social peut aller plus loin dans le suivi social associé à un problème de santé mentale, le ‘psy’ – s’il y en a un – peut éclairer ses collègues sur des aspects psychiques qu’ils connaissent mal, voire suivre le patient pendant un temps, seul ou en coordination avec d’autres soignants... Le simple fait que les aspects médicaux et psychosociaux soient pris en charge par des professionnels faisant partie d’une même équipe favorise la synergie et la cohérence des interventions, ce qui est essentiel pour assurer une prise en charge de qualité. Par ailleurs, l’existence d’un accueil professionnalisé favorise le lien avec des patients parfois très déstructurés, permet de soutenir d’autres interactions et de mettre le patient dans de bonnes conditions d’accueil et de sécurité.

Les réunions d’équipe, les supervisions, les coordinations autour de cas, les démarches de qualité …  : autant de modalités de travail qui, en ouvrant la réflexion, le croisement des regards, permettent de mieux suivre des patients dont le trajet, souvent long et émaillé d’embûches répétitives peuvent finalement épuiser un soignant isolé. Enfin, les maisons médicales soutiennent l’accessibilité financière par l’application du tiers payant si elles fonctionnent à l’acte ou par le financement au forfait dans les autres cas ( les plus nombreux ). Ce dernier système, pratiqué dans de nombreuses équipes facilite également la réalisation d’actes non prévus dans la nomenclature.

«  Tant au niveau du soin qu’à celui de la prévention, l’organisation spécifique des centres (  … ), leurs modalités de prises en charge et leurs actions de soutien de la qualité des pratiques [12] permettent un dépistage plus systématique et plus adapté des troubles mentaux, un rôle plus actif dans le renforcement des compétences psychosociales des patients, une facilitation de l’accès aux prises en charge spécialisées et sociales indispensables à la prise en charge des problématiques de santé mentale chez les patients en situation de précarité  » [13].

Ce constat pourrait être fait par les maisons médicales  ; il provient d’une étude récemment menée dans les centres de santé de Grenoble [14] qui ont une philosophie et des modalités d’organisation très proches. Les auteurs soulignent que ces pratiques permettent de limiter trois types de difficultés perçues par les médecins généralistes libéraux dans le cadre de leur pratique en santé mentale  : le manque de temps, le manque de formation – ainsi que le manque d’avis spécialisés [15]. Ces centres ont en effet organisé de collaborations intéressantes avec les centres médico-psychologiques  : demandes d’avis, consultations conjointes et concertations, ce qui permet de pallier «  les difficultés que ressentent les médecins généralistes avec les confrères spécialistes du secteur public du fait du manque de disponibilité et de rétro information sur les patients  ».

La réforme ‘psy 107’ [16] : l’amorce du virage ambulatoire

Ce n’est pas en augmentant l’offre de soins résidentiels que l’on répondra mieux aux besoins et aux demandes des personnes atteintes de problèmes psychiques [17]  ; l’Organisation mondiale de la santé ( OMS ) recommande depuis 15 ans déjà, de sortir des logiques hospitalières et de favoriser, tant que possible, l’accompagnement dans leur milieu de vie des personnes qui présentent des troubles mentaux [18].

D’autres l’avaient dit il y a déjà longtemps  : dès les années 70, Franco Basaglia entreprenait d’ouvrir les hôpitaux psychiatriques en Italie afin que les patients internés puissent revivre dans la société. Ce pionnier a suscité dans le monde entier des expériences similaires – lesquelles ont eu des résultats positifs dans la grande majorité des cas. En Belgique, différents jalons ont été posés depuis environ 40 ans pour organiser des soins plus orientés vers la communauté. Et, dans les années 90 une réforme majeure conduisait à une réduction du nombre de lits hospitaliers et au développement d’alternatives résidentielles ou communautaires. Cette réforme s’inspirait largement d’un mouvement international de désinstitutionalisation des patients chroniques, de l’hôpital vers le milieu de vie. La Belgique confirmait son adhésion à une telle approche, en signant en 2005 la déclaration d’Helsinki  ; celle-ci estimait «  nécessaire et juste  » d’appuyer une nouvelle orientation «  déjà visible dans de nombreux pays européens, où les soins ne sont plus dispensés de manière exclusive dans de grands établissements isolés dans la mesure où il existe désormais un large éventail de services de proximité  » [19].

Et pourtant … en 2008, l’Organisation mondiale de la santé ( OMS ) signalait que la Belgique comptait 152 lits psychiatriques pour 100.000 habitants - ratio le plus élevé de tous les pays européens mis à part Malte ( plus de 180 lits pour 100.000 habitants ). Il n’y en avait alors qu’une vingtaine au Royaume-Uni et … moins de 10 en Italie !

La même année, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé ( KCE ) constatait que 4.730 patients adultes avaient résidé en 2003 pendant plus d’un an dans un service T en hôpital psychiatrique [20]  ; et qu’un tiers de cette population avait déjà séjourné plus de 6 ans dans un service similaire.

En outre, la même étude montrait que nombre de patients sont, à leur sortie de l’hôpital, réorientés plutôt que réintégrés – c’est-à-dire envoyés de l’hôpital vers d’autres structures de soins plutôt qu’accompagnés dans leur milieu de vie. «  Les politiques doivent considérer si cette forme d’«  institutionnalisation  » dans des établissements de soins cadre avec la vision globale des soins de santé mentale  », estiment les auteurs, qui ajoutent  : «  Par excellence, une telle interrogation est de nature sociétale dans laquelle le rôle et la mission des soins de santé et autres structures doivent recevoir une place  ». La conférence interministérielle Santé publique du 28 septembre 2009 décide alors de modifier le système de soins en santé mentale, en réallouant une partie des moyens financiers et humains des hôpitaux à des projets permettant un suivi des patients dans leur milieu de vie. Cette modification est techniquement possible par l’application de l’article 107 de la loi concernant les hôpitaux et autres institutions de soins [21]. La réforme ‘ psy 107 ’ tire son nom de cet article de loi.

Il existe deux types d’unités psychiatriques en hôpital :

• l’unité de type A s’adresse aux personnes ( âgées de 15 ans ou plus ) qui nécessitent des soins psychiatriques dans une phase aigüe. Elle est centrée sur l’observation et l’initiation du traitement ;

• l’unité de type T offre un traitement et un soutien après la phase aiguë et vise autant que possible la réintégration sociale du patient. Elle est destinée à des personnes âgées de 15 ans ou plus ;

Des possibilités résidentielles existent en dehors de l’hôpital : ce sont les maisons de soins psychiatriques et les appartements supervisés ; ces derniers visent à soutenir des personnes ayant des troubles mentaux persistants mais stabilisés ne nécessitant plus de traitements hospitaliers spécialisés ou intensifs. [22]

Concrètement, cela signifie que l’institution psychiatrique peut supprimer volontairement un certain nombre de lits T ( «  gel  » de lits ), à condition d’élaborer un projet avec le réseau de soins ambulatoires oeuvrant sur son territoire. Le projet doit être mis en œuvre avec d’autres acteurs de terrain et développer cinq fonctions essentielles et indissociables  : la prévention et le dépistage, l’accompagnement ambulatoire intensif, la réinsertion sociale, le traitement résidentiel intensif de courte durée, et le développement d’habitats spécifiques diversifiés.

L’institution hospitalière conserve le financement du personnel hospitalier lié aux lits T «  gelés  »  ; par ailleurs chaque projet retenu reçoit 100.000 € maximum pour rémunérer le coordinateur du réseau, 400.000 € de frais de fonctionnement et 225.000 € pour la fonction médicale ( le psychiatre ).

Il s’agit d’une phase pilote  : deux appels à projets ont été lancés en 2010 et 2012 et fin 2013, la Conférence interministérielle a décidé fin 2013 de prolonger cette étape pendant un an. En parallèle, l’évaluation de la réforme a été confiée à deux équipes de recherche universitaires [23].

Onze projets ont été retenus et lancés en Flandre, deux à Bruxelles et cinq en Wallonie  ; certaines maisons médicales y sont associées, et l’on verra ci-dessous les dynamiques à l’œuvre sur le terrain.

La réforme ‘psy107’ a fait l’objet de nombreuses critiques, essentiellement parce qu’elle a été élaborée sans concertation avec la première ligne, que les hôpitaux n’ont aucune obligation de s’y engager, et que le personnel affecté reste celui de l’hôpital. Bref, c’est «  l’hôpital qui sort de ses murs pour s’installer à domicile  » ( cf article de Olivier Mariage, « Psychiatrie : l’amorce du virage ambulatoire », Santé conjuguée n° 52 avril 2010.. Olivier ). Toutefois, cette réforme vise indéniablement à améliorer la prise en charge des patients en ambulatoire. Elle répond donc à certains problèmes observés sur le terrain  ; elle concerne toute la première ligne et présente, malgré ses défauts, des opportunités de changement non négligeables. Elle représente donc un progrès et la Fédération a soutenu les maisons médicales à s’y engager. Cet engagement était aussi nécessaire pour éviter que les hôpitaux s’associent de manière un peu virtuelle avec quelques opérateurs de terrain sans vraiment tenir compte vraiment de ce qui se fait déjà  : une telle dynamique risquait de provoquer des concurrences stériles plutôt que le développement de complémentarités. Enfin, cette réforme donnait l’occasion d’identifier, de communiquer, les réalités et les besoins des maisons médicales dans le domaine de la santé mentale. C’est d’ailleurs dans cette dynamique que s’inscrivent les projets de recueil de données décrits ci-dessus.

Réforme et maison médicale  : mise en œuvre locale des projets ‘psy 107’

Pour les maisons médicales, l’investissement au sein d’un projet ‘psy 107’ se situe à deux niveaux  : participer aux comités d’une ou plusieurs fonctions et accompagner les patients ayant des troubles psychiatriques en collaboration avec les équipes mobiles. Lorsqu’une maison médicale devient partenaire du projet ‘psy 107’ de sa région, elle s’investit au sein d’une démarche novatrice dans laquelle des mondes très différents se rencontrent  : les logiques de prise en charge, la culture hospitalière sont assez éloignées de ce qu’elles sont dans les services ambulatoires, tant en termes d’organisation que de relation avec le patient. Cela demande beaucoup de temps, d’énergie, de diplomatie et patience, comme le montre l’observation des démarches actuellement en cours.

Description

En Hainaut

Il y a trois projets en Hainaut  : Tournai, Mons/Leuze et Manage ( la Louvière ). Nous n’avons pas d’écho du projet de Manage  : et pour cause, il n’y a pas de maison médicale dans les environs.

Correctif suite à la parution

" Nos équipes mobiles (qui ne sont pas les équipes "de Manage", mais "de la Région du Centre") n’ont démarré qu’il y a un an, mais nous avons de suite travaillé avec les centres médicaux de proximité, et en particulier la maison médicale de MPLP à La Louvière. Nous avons des contacts réguliers avec leurs généralistes. Ils nous adressent des patients, nous les voyons ensemble, nous nous concertons sur les prises en charge, et nous leur en adressons aussi. Notre coordinatrice du 107, Mme Makuch, a impliqué les généralistes de la région bien avant le démarrage des équipes mobiles et nous continuons à avoir des réunions régulières."

Frédérique Van Leuven, psychiatre, pour les équipes mobiles de Crise du Centre.

En ce qui concerne Mons et Tournai, signalons d’emblée une bizarrerie territoriale  : l’hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu à Leuze s’est allié avec le ‘Chêne aux Haies’ de Mons alors que de toute évidence, Leuze fait partie du bassin de vie de Tournai. Pour quelle raison ? On l’ignore … Mais le résultat est là  : comme les patients de Leuze viennent essentiellement du Tournaisis, il y a deux projets sur le territoire.

Cette absence de territorialisation par les autorités complique les choses et conduit à des absurdités  ; la concurrence entre institutions prime sur l’intérêt du patient. Et les acteurs de première ligne ont bien du mal à s’y retrouver.

A Tournai même, la situation est particulière et sans doute liée à l’histoire. Le conseil d’administration de l’hôpital psychiatrique ‘Le Marronniers’ a été présidé de 2004 à 2009 par un généraliste venant … d’une maison médicale. Toute cette période a été mise à profit pour tisser des liens entre hôpital et ambulatoire  ; en 2009, un groupe de travail a réuni différents acteurs du réseau pour évaluer la situation et réfléchir à des alternatives. Un réseau informel s’est constitué, favorisant la rencontre entre intervenants et la connaissance du potentiel existant sur le territoire.

Quand l’appel à projets a été lancé en 2010 dans le cadre de la réforme ‘psy 107’, tous les ingrédients étaient donc prêts pour monter un projet. Il se fait aussi que l’hôpital des Marronniers est public, et qu’il dépend de la Région wallonne  : il s’est donc très logiquement inscrit dans la réforme. Cerise sur le gâteau, le coordinateur désigné pour construire le projet faisait partie de la direction de l’hôpital, tout en étant fortement motivé par la nécessité de ce virage ambulatoire. La confiance s’est donc installée rapidement  ; tous les acteurs étaient bien décidés à travailler ensemble dans le respect des spécificités de chacun. Deux équipes mobiles de 15 travailleurs ont été créées, 40 lits gelés et les maisons médicales jouent un rôle important dans le réseau  : elles sont impliquées dans la prise en charge commune de nombreux patients et participent activement à la structure du réseau ( comités de fonction, comité de réseau, concertation, etc. ).

En 2012, nous avons repéré que, parmi les patients pris en charge par les équipes mobiles ( clairement identifiés comme «  psychiatriques  » ), plus de la moitié étaient suivis en maison médicale, alors que celles-ci ne constituent que 10 % de l’offre médicale sur le territoire. Cela situe bien la place importante occupée par la maison médicale dans le réseau.

Tout n’est pas facile pour autant  : les équipes mobiles qui ont débarqué à domicile sont encore très imprégnées de la culture hospitalière, la collaboration n’est pas toujours évidente. Et tout cela mobilise beaucoup de moyens. Mais il y a des avancées  : par exemple, les rapports de sortie de l’hôpital sont transmis beaucoup plus vite qu’auparavant ( ce qui peut paraître élémentaire, mais il a fallu plus de 20 ans pour obtenir cette coordination ! ).

A Mons par contre, les maisons médicales ne sont pas impliquées dans la structure et ont le sentiment que les équipes mobiles fonctionnent pour l’hôpital. Elles ont bien du mal à percevoir l’intérêt qu’il y aurait à s’engager  ; un travail est en cours au sein de l’intergroupe du Hainaut pour voir comment avancer.

A Charleroi

Le clivage chrétien/public est ici très présent. Mais il y a une autre particularité  : il n’y a pas d’hôpital psychiatrique à Charleroi, et donc pas de lits T. Il y a des lits A ( lits de soins psychiatriques intensifs ) en hôpital général, mais ceux-ci sont mieux financés, ce qui motive moins les gestionnaires à en supprimer. L’hôpital psychiatrique de référence se trouve à Manage, où un projet a été retenu dans la deuxième vague ( décision en juin 2011 ).

Des rencontres ont lieu entre intervenants dans les commissions de la plateforme des soins psychiatriques, mais aucun financement fédéral ne soutient la participation à ces rencontres. Il y a, par contre, une demande importante pour les concertations autour des situations, organisées par le service intégré de soins à domicile - SISD avec le soutien financier de l’INAMI.

A Bruxelles

L’offre hospitalière psychiatrique à Bruxelles est plus faible que dans les autres régions [24]  ; le taux d’admission y est plus élevé et la durée de séjour plus courte. Cette région a développé un réseau de structures ambulatoires très dense, des réseaux formels et informels se sont créés, pour répondre à ces spécificités et développer des alternatives à l’hospitalisation.

Cette moindre quantité de nombres de lits psychiatriques et la diversité des structures ambulatoires ont un impact sur l’opérationnalisation de la réforme  : moins de moyens financiers alloués par le fédéral ( puisque moins de lits à «  geler  » ) et plus de difficultés à réorganiser et réformer les pratiques.

Deux projets ont vu le jour sur Bruxelles. Le premier, Bruxelles-Est est organisé autour du centre hospitalier Jean Titeca et des cliniques Saint-Luc. Il a pu être financé par la fermeture de 30 lits, antérieure à la réforme et provisoire ( pour cause de travaux ). Comme son nom l’indique, il couvre le territoire de l’est de Bruxelles. Deux maisons médicales sont membres de ce projet. Le second, Hermès Plus s’est construit autour de la clinique Sanatia et du centre de santé mentale Antonin Artaud, sans fermeture de lits  : ce projet est financé en partie par les partenaires du réseau. Il couvre le territoire du pentagone et des quartiers non-couverts par le premier. Sept maisons médicales sont membre de ce projet.

Dans le cadre de la fonction 1 ( voir p. 7 ), les projets se sont construits selon la demande et les besoins identifiés par les acteurs. Les modalités et résultats diffèrent donc en fonction des spécificités locales mais l’objectif reste le même  : soutenir et rendre visibles les activités de prévention et de prise en charge en santé mentale des structures ambulatoires et développer des synergies entre celles-ci. Dans le cadre de la fonction 2, les deux projets ont investi dans des équipes mobiles de crise qui interviennent sur le terrain et au domicile du patient. Leur finalité est de ( re )construire ou de réactiver le réseau social/santé du patient en travaillant en collaboration avec les acteurs ambulatoires en présence dans son milieu de vie.

A Bruxelles, la non-fermeture de lit ( stricto sensu ) et les spécificités territoriales peuvent questionner la façon dont a été construite la réforme. Ainsi, la difficulté de sa mise en œuvre remet en exergue la nécessité, pour répondre au défi du maintien du patient dans son milieu de vie ( auquel s’attèle déjà depuis longtemps le secteur ambulatoire ), d’allouer à ce dernier des moyens supplémentaires. Notamment pour décloisonner les pratiques sectorielles tout en optimisant la singularité de chacune. Mais pas seulement  : la mise en œuvre du projet remet aussi en lumière ce qui ne devrait pas relever de la psychiatrie mais bien de la politique  : les conditions de vie du patient ( logement, inégalités sociales, manque de cohésion, précarité ) et la souffrance psychosociale qu’elles génèrent.

A Namur

Le démarrage du projet sur le terrain a été plus lent. Le paysage hospitalier est caractérisé par un clivage entre piliers institutionnels très marqué. Seul le pilier chrétien a présenté et obtenu le financement d’un projet [25] et les maisons médicales s’y sont investies  ; mais elles ne souhaitent évidemment pas mettre en péril leurs collaborations avec le pôle public.

Par ailleurs, au bout de quelques mois, elles ont souhaité ne pas assumer seules la représentation de la première ligne et son coût. Or, si les médecins des maisons médicales ont de bons rapports avec le cercle de médecine, celui-ci n’envisage pas de mandater de représentants, d’autant moins que ces mandats ne sont pas rémunérés. Le nouveau président du cercle est un médecin de maison médicale... à suivre Il faut noter enfin qu’il n’y a pas de service intégré de soins à domicile [26] à Namur. Or, l’INAMI a confié aux services intégrés de soins à domicile l’organisation locale du financement des concertations multidisciplinaires en santé mentale, dans la continuité des projets thérapeutiques qui ont pris fin en mars 2012.

A Verviers

A Verviers, l’hôpital général ne comporte pas de service psychiatrique. Il existe deux hôpitaux psychiatriques à proximité de Verviers, mais ils sont situés dans des zones rurales assez éloignées. La clinique des Frères Alexiens, à Henri-Chapelle ne pouvait pas proposer la désaffectation de suffisamment de lits  : son projet a été refusé. Un accord a alors été pris avec l’hôpital de Lierneux, qui dépend de la province de Liège et est rattaché à la coupole psychiatrique publique de Liège ( Intercommunale de soins spécialisés de Liège - ISOSL ). Le nouveau projet a été accepté par la Conférence interministérielle dans la deuxième vague.

Les deux maisons médicales présentes sur le terrain s’étaient engagées assez tôt dans les premières discussions  ; mais elles observent actuellement une certaine opacité dans l’évolution du projet, ce qui entraîne une impression de manipulation, et d’enjeux institutionnels cachés. Enfin, plusieurs personnes se sont succédées au poste de coordination du projet, ce qui a achevé de démobiliser les services ambulatoires. Depuis un an, Henri-Chapelle a mis en place une «  plateforme mobile d’intervention psychiatrique  » qui répond assez bien aux besoins. Les avis sont contradictoires sur le fait qu’il s’agit ou non d’une équipe mobile du projet ‘psy 107’. Enfin, il faut encore noter que la coordination sociale, très dynamique a lancé une réflexion sur l’urgence psychiatrique, en dialogue avec la clinique Sainte-Elizabeth, qui dépend … du pôle chrétien du projet liégeois !

A Liège

Deux réseaux sont entrés en con-currence pour l’appel à projets. La Conférence interministérielle les a obligés à fusionner, et le projet intitulé «  Fusion Liège  » a été accepté en juin 2011. Son territoire correspond aux arrondissements de Liège et de Huy-Waremme ( 750.000 habitants ). Le coordinateur est l’ancien coordinateur de la plateforme psychiatrique liégeoise.

L’IGL a saisi l’opportunité de ce démarrage pour, d’une part mobiliser les équipes sur l’élaboration d’une vision des soins de santé mentale et d’autre part se fédérer pour changer le rapport de forces avec la deuxième ligne.

C’est ainsi que s’est mis en place le «  groupe santé mentale  » ( GSM ) évoqué ci-dessus, qui comporte un délégué pour chacune des 18 maisons médicales présentes sur le territoire du projet ‘Fusion Liège’. Ce groupe vise essentiellement à soutenir l’abord psychosocial et la prise en charge des situations difficiles qui se présentent dans les maisons médicales en développant la reliaison pluridisciplinaire et la proactivité dans le maintien des liens – entre patients et soignants, avec la maison médicale, les proches …

Le groupe santé mentale se réunit régulièrement. Il a pu organiser la rencontre de chacune des 4 équipes mobiles en vue de créer les conditions de bonnes collaborations. Plusieurs formations ont été organisées à l’intergroupe liégeois en lien avec cette thématique. Il a participé à chacune des réunions ( mensuelles ) des comités des fonctions 1, 2 et 3, et au comité de réseau. Pour construire un point de vue commun, il s’est appuyé sur le cahier de propositions politiques élaboré par le Mouvement pour une psychiatrie démocratique dans le milieu de vie dont fait partie la Fédération des maisons médicales.

Il reste bien sûr encore beaucoup de travail ! «  Il n’est pas sûr que nous parviendrons à rencontrer les enjeux, qui s’annoncent colossaux. Les institutions hospitalières restent arc-boutées sur ce qu’elles considèrent comme leurs acquis, et l’organisation interdisciplinaire des maisons médicales pour le suivi psychosocial peine à prendre un véritable essor  ».

Réflexion  : Impact sur la pratique

Après plus de deux ans de fonctionnement, nous pouvons tirer quelques constats et analyses à partir de notre pratique quotidienne à la maison médicale de Tournai, essentiellement sur l’accompagnement des patients mené en collaboration avec les équipes mobiles.

Tout d’abord, le nombre de patients souffrant de troubles de santé mentale semble augmenter, ce qui s’expliquer de différents manières  :

-  étant un partenaire du projet ‘psy 107’, nous sommes identifiés comme un acteur investi dans le domaine  ; des personnes sont donc envoyées à la maison médicale par des acteurs du réseau et nous les prenons en charge  ;

-  la composante psychique des patients est davantage prise en compte  ; l’accompagnement, qu’il soit médical, psycho-social ou autre est réfléchi à partir de cet angle de vue, qui est dès lors mis en évidence  ;

-  les patients suivis par l’équipe mobile du ‘psy 107’ sont maintenant étiquetés «  psy  » alors qu’auparavant les troubles de santé mentale représentaient un élément parmi d’autres.

Notre charge de travail augmente indéniablement, surtout pour les fonctions médicales et psycho-sociales  ; les problèmes affectant les patients ayant des troubles de santé mentale sont multiples, et exigent des réponses pointues, construites sur le long terme en coordination des acteurs très différents ( du propriétaire à la famille, en passant par les voisins, l’aide familiale, sans oublier l’avocat, le psychologue ou le psychiatre, le centre de santé mentale, l’aide en milieu ouvert, le Services d’aide et d’intervention éducative, le service de l’aide à la jeunesse, le service de protection judiciaire, le CPAS et le juge de la jeunesse,  … ). Et n’oublions pas que le logement représente une problématique cruciale en Belgique  : dans certains services de psychiatrie, on dénombre jusqu’à 80 % de sans domicile fixe ( ces patients sont alors domiciliés à l’hôpital … ). La déshospitalisation prévue dans le cadre de la réforme ‘psy 107’ pourrait dès lors augmenter la précarité et l’errance de certains patients.

Les changements de mentalités, le décloisonnement ne se font pas sur simple arrêté de subvention  : sur le terrain, la culture de travail des équipes mobiles, constituées au départ de travailleurs hospitaliers se confronte avec la réalité du travail dans le milieu de vie. Ces travailleurs prennent conscience des leviers et contraintes de ce nouveau cadre de travail, et notamment de l’ensemble des conditions de vie des patients. Mais il leur appartient de s’ouvrir à une nouvelle culture de travail  ; cette transformation se fait par l’expérience, entre autres par la collaboration avec les intervenants de la première ligne. Cela nécessite du temps et souvent la réussite de ce challenge repose sur des personnes qui ont envie de faire bouger les choses.

Si tous ces changements en sont encore à leurs débuts, certains effets positifs sont déjà évidents  :

-  grâce à la mise en place des équipes mobiles, les patients bénéficient d’une permanence 24h/24h tout en restant au domicile. Ce dispositif permet aux patients qui en ont besoin d’avoir un cadre structurant et un filet de sécurité à tout moment de la journée.

-  la composante psychique des patients n’était sans doute pas assez prise en compte par les intervenants non spécialisés ( médecin généraliste, assistant social, kinésithérapeute, infirmier-e, accueil … ) de la maison médicale alors qu’elle est déterminante dans la façon d’aborder le patient. On ne travaille pas de la même façon avec un psychotique ou un névrosé. L’accompagnement est dès lors plus approprié.
-  les hospitalisations sont moins fréquentes et celles qui ont lieu sont moins longues.

Il reste à faire reconnaître ce travail par les entités fédérées si nous voulons continuer à le réaliser de manière optimale. Pour offrir un accompagnement pluridisciplinaire et global aux patients, beaucoup de maisons médicales ont dû engager un psychologue et des assistants sociaux – en «  bricolant  » avec des financements divers  : maribel, ‘miniaccord’, aide à la promotion de l’emploi … et souvent en grande partie sur fonds propres. Mais certaines équipes n’en ont pas les moyens  : le soutien de la première ligne est un enjeu fondamental. Face à ce manque de moyens de la première ligne, remarquons que le nombre d’équivalent temps plein engagés à l’hôpital psychiatrique de Tournai est passé de 700 en 2008 à plus de 1000 en 2013 … soit 50 % d’augmentation en cinq ans ! On constate aussi qu’à de nombreux endroits, les hôpitaux ont une fâcheuse tendance à vouloir rester au centre du système  ; les maisons médicales ne sont pas suffisamment impliquées dans les projets ‘psy 107’, quand elles ne sont pas carrément «  écartées  » de la réforme par les hôpitaux. Une étude réalisée à Bruxelles ( ref voir ci-dessous ) a permis de cerner l’importance des problématiques psycho sociales dans le secteur de l’ambulatoire à Bruxelles. Vingt-sept équipes ont été interrogées par questionnaires écrits et entretiens. Le tableau suivant montre le nombre d’équipes recevant des patients présentant certains types de problématiques ainsi que la proportion de ces patients dans leur patientèle.

Tableau 34. Distribution des institutions du secteur en fonction des «  groupes à risque  » parmi les publics cibles ( N=27 )

Yves Coppieters et Amélie Cremers, Cadastre des services ambulatoires agréés par la COCOF en Région bruxelloise, école de santé publique à l’université libre de Bruxelles, Centre de recherches politiques et systèmes de santé – Santé internationale en collaboration avec le Conseil bruxellois de coordination sociopolitique, 2012.

Conclusion

Au départ de cet article, nous voulions éclairer quelques questions sur l’évolution des soins de santé mentale à partir de la volonté d’investissement des maisons médicales dans la réforme lancée par les autorités.

Nous nous demandions quelles sont les possibilités d’articulation entre la première et la deuxième ligne en santé mentale. Comme les soins palliatifs ou le suivi des usagers de drogues, la santé mentale interroge notre système de santé et met clairement en évidence ses limites et ses faiblesses. Ce sont, potentiellement, des situations problématiques qui permettent de faire évoluer ce système. Dans cette perspective, la réforme ‘psy 107’, aussi imparfaite soit-elle, crée des opportunités à saisir.

Nous nous demandions quel peut être le rôle du premier échelon dans le système de soins en santé mentale. Ce rôle nous semblait largement méconnu et sous-estimé. En particulier, le dépistage précoce en première ligne nous semblait pourvoir être amélioré. Nous nous demandions, également, si l’expérience limitait le suivi en première ligne aux situations de troubles modérés. En somme, nous voulions questionner l’apport des soins généralistes à la psychiatrie. Enfin, nous voulions explorer les éventuels atouts des maisons médicales pour la prise en charge en soins de santé mentale.

Après ce panorama de la réforme vue depuis les maisons médicales, il se confirme qu’elle constitue un premier pas dans le bon sens, et qu’elle renforce nos hypothèses. Partout, malgré les résistances ( en première comme en deuxième ligne ), l’initiative fédérale crée les conditions d’une rupture avec le passé. De nouvelles alliances se font jour, des rencontres ont lieu, des expériences s’échangent, des dialogues se nouent, des lignes bougent. La rencontre des équipes mobiles et des intervenants du domicile montre qu’une collaboration est possible, fructueuse pour les patients, et formatrice pour les soignants.

Toutefois, pour donner sa pleine de mesure, il importe que la démarche initiée par les autorités se poursuive, s’approfondisse, et modifie de manière structurelle l’organisation des soins de santé mentale. La reconnaissance du rôle de la première ligne généraliste, et singulièrement des maisons médicales, nous semble un incontournable fondement de ce nouvel élan.

Les maisons médicales et les centres de santé de première ligne en général doivent être reconnus comme acteurs majeurs du système étant donné leur proximité avec le patient et leurs compétences dans le domaine de la santé mentale. Des moyens nouveaux doivent être affectés à la première ligne généraliste  : la fonction de liaison psycho-sociale doit être reconnue et financée. Puisqu’il y a transfert de missions de l’hôpital vers l’ambulatoire, le financement doit être adapté.

Le financement de l’ambulatoire doit sortir des hôpitaux  : il n’est pas cohérent que les équipes mobiles soient constituées de personnel dépendant de l’hôpital. Les logiques de travail sont trop différentes, et nous voulons sortir d’une logique de soins centrés sur la maladie au bénéfice d’un système centré sur le patient dans son milieu. Les équipes mobiles et les hôpitaux doivent se positionner en soutien à la première ligne.

Les réseaux doivent être autonomes et disposer d’une structure juridique associant les acteurs du réseau et de représentants des usagers ( en envisageant éventuellement une fusion avec les plateformes de santé mentale ) et être les employeurs des équipes mobiles

Une réflexion doit être entamée rapidement sur la question des territoires  : ceux-ci doivent être déterminés par les pouvoirs publics, en cohérence avec la structuration globale du système de santé ( bassins de vie/bassins de soins ). La taille de ces territoires doit permettre un travail adapté de qualité, et se rapprocher des standards européens.

Enfin, il y a lieu de multiplier le nombre de maisons médicales. Actuellement, certaines équipes sont débordées par la prise en charge de ces patients qui affluent en grand nombre. Cela démontre que ce type de structure répond bien aux besoins des patients, mais il importe d’éviter une trop grande concentration de patients psychiatriques dans les maisons médicales, ce qui leur ôterait une part de leur plus-value. La meilleure manière d’y arriver est d’en multiplier le nombre. Un meilleur soutien des pouvoirs publics à l’installation de nouvelles structures est absolument indispensable pour soutenir la réforme.

[1J.M. Thomas, Prévalence des pathologies psychiatriques en médecine générale, Département de médecine générale, université libre de Bruxelles, 2004. L’étude consiste en une revue de littérature ( 1966 à avril 2004 ).

[2OMS, World Health Statistics, 2012.

[3J.M. Thomas, Prévalence des pathologies psychiatriques en médecine générale, Département de médecine générale, université libre de Bruxelles, 2004. L’étude consiste en une revue de littérature ( 1966 à avril 2004 )..

[4Anne Gillet-Verhaegen, « La santé mentale en médecine générale : état de la question », Santé conjuguée n° 65 juillet 2013.

[5Quelle population suivons-nous en maison médicale au forfait - 1er mai 2011, Le service d’études et de recherches sur le site maisonmédicale.org

[6Voir ref Olivier  : étude dans le cadre réforme Psy 107.

[7Etabli sur base de l’échelle « Honos ».

[8« Le tableau de bord de la Fédération des maisons médicales », François Carbonez, Santé conjuguée n° 58, octobre 2011.

[9Document interne au service d’études de la Fédération des maisons médicales.

[10D’autres types de diagnostics tardifs sont évoqués, surtout pour les enfants et les maniaco-dépressifs, ainsi que le risque inverse – les troubles d’hyperkinésie par exemple.

[11Réforme Psy107, cf plus loin

[12Conformes aux recommandations des rapports sur les perspectives d’organisation des soins en santé mentale.

[13Delphine Dubois-Fabing, Philippe Pichon, Alizée Arnevielhe, Marie-Paule Suscillon, Bruno Caron, Fabienne Saillard, Patrice François, « Santé mentale, précarité et pratiques des médecins généralistes, Enquête en centres de santé de Grenoble » in Santé publique : Psychiatrie et santé mentale : dynamique et renouveau oct-déc 2011.

[14Delphine Dubois-Fabing, Philippe Pichon, Alizée Arnevielhe, Marie-Paule Suscillon, Bruno Caron, Fabienne Saillard, Patrice François, « Santé mentale, précarité et pratiques des médecins généralistes, Enquête en centres de santé de Grenoble » in Santé publique : Psychiatrie et santé mentale : dynamique et renouveau oct-déc 2011.

[15Delphine Dubois-Fabing, Philippe Pichon, Alizée Arnevielhe, Marie-Paule Suscillon, Bruno Caron, Fabienne Saillard, Patrice François, « Santé mentale, précarité et pratiques des médecins généralistes, Enquête en centres de santé de Grenoble » in Santé publique : Psychiatrie et santé mentale : dynamique et renouveau oct-déc 2011.

[16La plupart des éléments de ce paragraphe sont extraits du Guide vers de meilleurs soins en santé mentale, consultable sur le site de la réforme http  ://www.psy107.be/SiteFiles/Wallonie.pdf %20def.pdf

[17Madeleine Moulin, Miguelle Benrubi, Monique Boulad, Anne Gillet, Patrick Jensen, Bernadette Taeymans, Peter Van Breusegem, Bernard Vercruysse, « La souffrance mentale : l’entendre, l’écouter, y répondre », Santé conjuguée n° 19.

[18Mental Health Policy and Service Guidance Package, Organization f services for mental Healh, WHO 2003.

[19Santé mentale  : relever les défis, trouver des solutions. Rapport de la Conférence ministérielle européenne de l’OMS. http  ://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0008/98918/E88538.pdf

[20Rapport KCE Les séjours psychiatriques de longue durée en Lit T, KCE reports 84B

[21Selon cet article, « Le Roi peut prévoir des modalités spécifiques de financement afin de permettre, sur une base expérimentale et pour une durée limitée, un financement prospectif des circuits et des réseaux de soins, axé sur les programmes  ».

[22Olivier Mariage, « Psychiatrie : l’amorce du virage ambulatoire », Santé conjuguée n° 52 avril 2010.

[23Après une évaluation de la faisabilité de leur projet, elles lancent l’évaluation proprement dite en 2014.

[24Qui s’explique notamment par la volonté politique historique de construire ces structures en dehors des agglomérations.

[25Notons aussi qu’en 2011, la Province a pris l’initiative de la création d’une équipe ambulatoire en santé mentale.

[26Ils sont de compétence régionale.

Cet article est paru dans la revue:

n° 68 - juillet 2014

Médiation dans les soins, parapluie ou porte-voix ?

Santé conjuguée

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